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quand, voulant marquer que la poésie d'une époque exprime encore moins ce qu'elle a que ce qui lui manque et ce qu'elle aime, il dit : « C'est une médaille vivante où les vides creusés dans le coin se traduisent en saillies sur le bronze ou sur l'or, » ceci n'est-il pas frappé, de l'idée à l'image, comme la médaille même? Un tel mot cité me paraît la juste médaille du style de M. Vinet quand il devient du meilleur aloi: car c'est alors un écrivain plutôt encore graveur que peintre.

J'ai parlé des excellentes petites biographies et des notices en quelques lignes, mises à la tête des extraits. Mais tous ces mérites se retrouvent condensés, assemblés et agrandis dans la Revue des principaux Prosateurs et Poëtes français, morceau très-plein et très-achevé, véritable chef-d'œuvre littéraire de M. Vinet. Toutes ses qualités de précision, de propriété, de suite, de sagacité fine et de relief en peu d'espace, y sont fondues entre elles, et en équilibre avec le sujet même, qui ne demandait ni un certain essor ni une certaine flamme dont l'auteur ne manquerait peut-être pas, mais qu'il s'interdit. C'est le sujet que M. Nisard a également traité dans un fort bon morceau, où pourtant il s'est attaché plutôt à quelques principales figures, et où il s'est donné plus de carrière. M. Vinet n'a fait que fournir celle que lui traçait régulièrement son

XVIe siècle sans doute, et même auparavant, il y avait une langue de cour et du centre, qui se piquait d'être la bonne. Viret demande déjà excuse en son temps de parler un français un peu étrange; mais de loin ces différences s'effacent, et l'on n'est plus frappé que des ressemblances.

titre même. Il passe en revue toute la littérature française, depuis Villehardouin jusqu'à M. de Chateaubriand, et en insistant avec continuité sur les trois siècles littéraires. Il n'y a pas un point, pas une maille du tissu qui ne soit solide, exactement serrée; c'est la lecture la plus nourrie, la plus utile, la plus agréable même, aussi bien que la plus intense. Le style de Marie-Joseph Chénier, dans son Tableau de la Littérature, égalé ici pour la netteté et l'élégance, est surpassé pour la nouveauté et la plénitude du sens. Je ne sais que la manière de M. Daunou, dans son Éloge de Boileau, qui me paraisse se pouvoir comparer avec convenance et avantage à celle de M. Vinet dans ce discours. Combien d'heureux traits d'une concision ingénieuse, où la pensée se double, en quelque sorte, dans l'expression, et fait deux coups d'un même jet! Ce sont comme deux courants inverses sur le même axe: on reste tout surpris et charmé. Je n'en citerai qu'un seul petit échantillon après un mot sur Amyot et ses grâces françaises, « Ronsard cependant, dit M. Vinet, égarait la poésie loin de la veine heureuse, que son siècle et lui-même avaient rencontrée. » Il est impossible de plus enfermer en un l'adoucissement dans la critique, de plus précisément greffer l'éloge dans le blâme. Pas un mot qui ne soit ainsi mesuré et proportionné. Quelle balance sensible et sûre! et pourtant le glaive entrevu parfois! Soit qu'il nous peigne ce grand style de Pascal, si caractérisé entre tous par sa vérité, austère et nu pour l'ordinaire, paré de sa nudité même, et qu'il ajoute pour le fond: « Bien des para

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graphes de Pascal sont des strophes d'un Byron chrétien; » soit qu'il admire, avec les penseurs, dans La Rochefoucauld, ce talent de présenter chaque idée sous l'angle le plus ouvert, et cette force d'irradiation qui fait épanouir le point central en une vaste circonférence; soit qu'il trouve chez La Bruyère, et à l'inverse de ce qui a lieu chez La Rochefoucauld, des lointains un peu illusoires créés par le pinceau, moins d'étendue réelle de pensée que l'expression n'en fait d'abord pressentir, et qu'il se montre aussi presque sévère pour un style si finement élaboré, dont il a souvent un peu lui-même les qualités et l'effort; soit que, se souvenant sans doute d'une pensée de Mme Necker sur le style de Mme de Sévigné, il oppose d'un mot la forme de prose encore gracieusement flottante du XVIIe siècle à cette élégance plus déterminée du suivant, qu'il appelle succincta vestis; soit qu'en regard des lettres capricieuses et des mille dons de Mme de Sévigné, toute grâce, il dise des lettres de Mme de Maintenon en une phrase accomplie, assez pareille à la vie qu'elle exprime, et enveloppant tout ce qu'une critique infinie déduirait : «Le plus parfait naturel, une justesse admirable d'expression, une précision sévère, une grande connaissance. du monde, donneront toujours beaucoup de valeur à cette correspondance, où l'on croit sentir la circonspection d'une position équivoque et la dignité d'une haute. destinée; » soit qu'il touche l'aimable figure de Vauvenargues d'un trait affectueux et reconnaissant, et qu'il dégage de sa philosophie généreuse et inconséquente les attraits qui le poussaient au christianisme; soit qu'en

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style de Vauvenargues lui-même il recomande, dans les Éléments de Philosophie de d'Alembe, un style qui n'est orné que de sa clarté, mais d'une clarté si vive qu'elle est brillante ; sur tous ces points et sur cent autres, je ne me lasse pas de repasser les jugements de l'auteur, qui sont comme autant de pierres précieuses, enchâssées, l'une après l'autre, dans la prise exacte de son ongle net et fin. Je ne trouve pas un point à mordre, tant le tout est serré ct se tient. J'a cru un instant rencontrer une critique à faire à propos de Saint-Évremond, dont le nom venait un peu tard dans la série, après Rollin; mais à peine avais-je achevé de lire la phrase, que l'adresse de l'auteur l'avait déjà fait rentrer dans le tissu et ma critique était déjouée.

Quand on songe que celui qui a écrit ce précis est un ministre protestant, et non pas un protestant socinien et vague, mais un biblique rigoureux, un croyant à la divinité du Christ, à la rédemption, à la grâce, on admire sa tolérance et sa comprehension si étendue, qui ne dégénère pourtant jamais en relâchement ni en abandon. Voltaire est merveilleusement apprécié ; je remarquerai seulement et signalerai à l'auteur, pour qu'il le revoie peut-être, un certain paragraphe de la page XLII (1), qui offre beaucoup d'embarras et de pesanteur dans la diction : je ne voudrais pas

(1) Commençant par ces mots : Le caractère de Voltaire, etc., etc. Il y a encore quelques points du portrait que je retoucherais: « Avec ses cent bras qui atteignaient à tout, il fut le Briarée de la littérature. » Ce Briarée est un reste de superstition à la fable, comme en cet endroit du commentaire où M. Vinet oppose la fou

qu'on pût dire que le malin a porté malheur, sur ún ́point, à qui l'examine avec tant de conscience et avec une profondeur si sérieuse, éclairée du goût. Lorsque, venant au poëme qu'on évite de nommer, mais qu'il ose louer littérairement, M. Vinet en apprécie l'inspiration et l'influence, lorsque, pour le réprouver plus à coup sûr, il s'arme d'une citation empruntée à Voltaire lui-même, il devient éloquent de toute l'éloquence dont la critique est capable, et cela par le choix que lui seul a su faire d'une citation telle.

Les poëtes, nos grands poëtes surtout, sont fort bien appréciés de M. Vinet, moins sûrement pourtant que les prosateurs. En général, la fin et le commencement de ce morceau (vrai chef-d'œuvre, je le répète) sont ce qu'il y a de moins parfait. Le début, exact de position et d'aperçu, semble un peu court et insuffisant; la fin, un peu languissante, non terminée net, trahit dans les jugements et les classements quelque indécision, quelque concession indulgente. M. Vinet se montre avec tendresse et solennité funèbre dans quelques mots sur le dernier chant de Gilbert, que je n'appellerai pourtant pas un grand poëte (1). Je ne puis trouver exact qu'on représente André Chénier dans l'idylle

dre de Jupiter aux flèches de son fils, c'est-à-dire d'Apollon. Ces petits glaçons mythologiques sont demeurés là dans son style on ne sait comment.

(1) Pas plus que je ne décernerais l'éloge d'admirables à quelques spirituels apologues de feu M. Arnault : ce que fait notre critique dans une de ses préfaces. - (En étudiant plus tard et de près M. Arnault, j'en suis venu à reconnaître que M. Vinet avait raison. Voir le tome VIIe des Causeries du Lundi.)

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