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testants augmentent graduellement en raison directe des scrupules et des remords du grand roi, et qu'il croit, à la lettre, faire pénitence à leurs dépens. Mais M. Sue oublie trop toujours l'atmosphère singulière de ce règne et le souffle universel qu'on y respirait, l'illusion profonde que se firent si naturellement alors les hommes les plus illustres et les plus sages dans les conseils du monarque. Bossuet, le chancelier Le Tellier et tous les autres, en effet, n'eurent qu'un avis, qu'un concert d'acclamations pour célébrer la sagesse et la piété du maître quand il révoqua l'Édit. Le grand Arnault, banni lui-même, se réjouit de cette révocation; persécuté, il applaudit de loin aux persécutions et aux premières conversions en masse, avec une naïveté incomparable. En étudiant beaucoup les faits, les matériaux et les pièces du temps, M. Sue n'a pas voulu les remplacer, pour ainsi dire, dans la lumière qui seule les complète, ni entrer dans cet esprit général et régnant qui a été comme la longue ivresse et l'enchantement propre de l'époque de Louis XIV; il y fallait entrer pourtant à quelque degré, sinon pour le partager, du moins pour le juger, et pour y voir personnes et choses dans leur vraie proportion. Cet inconvénient perce surtout dans l'introduction historique, et s'y trahit par de certains anachronismes d'expression, comme lorsque, par exemple, l'auteur nous dit qu'à cette époque le clergé français, sauf quelques exceptions, était profondément déconsidéré. Certes, ni le mot ni la chose n'existaient et n'avaient cours sous Louis XIV. Comme c'est là le seul grave reproche que j'aic à

adresser en général à l'intéressant et instructif roman de M. Sue, on m'excusera de m'en bien expliquer. J'ai (et sans superstition, je crois), j'ai une si grande idée de l'époque de Louis XIV, je la trouve si magnifiquement et si décidément historique, que je me figure que rien n'est plus difficile et peut-être plus impossible que d'y établir, d'y accomplir à souhait un roman. Et, pour m'en tenir au langage, qui est chose si considérable dans un livre, comment l'observer, le reproduire fidèlement, ce langage d'alors, dans son unité, son ampleur merveilleuse et son harmonie? Avec toute autre époque on peut, je m'imagine, éluder ́jusqu'à un certain point; on emprunte quelque appareil de ce tempslà, quelques locutions qui sentent leur saveur locale ; on se déguise, on jette du drame à travers, et l'on paraît s'en tirer. Mais ici comment éluder ? Ce langage du beau siècle et qui en reste la manifestation vénérée, nous l'avons appris d'hier, nous le contemplons par l'étude, il subsiste vivant dans notre mémoire, il retentit à nos oreilles, mais nos lèvres ne savent plus le proférer. Si je m'échappe à dire d'un roi qu'il est expėrimenté par l'infortune, si je dis d'un voyageur que l'aspect de certains lieux sauvages l'impressionne désagréablement, j'ai déjà blasphémé : me voilà rejeté à cent lieues du siècle que je veux aborder, et qui me renvoie les échos de ma voix qu'il ne connaît pas (1). Mais que

(1) Je me rappelle avoir lu dans le Journal des Savants (décembre 1835), à l'article Nouvelles littéraires qui termine, une simple petite note indiquant la publication de l'Histoire de la Marine française, par M. Sue. L'excellent rédacteur, M. Daunou,

sera-ce donc si j'ai à faire parler dans mon récit un de ces hommes dont le nom seul enferme tout un culte et un héritage évanoui de vertu, de gravité et d'éloquence, quelque Daguesseau, quelque Lamoignon? M. Sue, en produisant M. de Bâville et en le mettant aux prises avec Villars, a fait preuve d'une remarquable habileté de dialogue; mais l'habileté ici ne suffit pas. M. de Bâville a-t-il jamais pu parler à son fils comme il le fait dans le roman? a-t-il pu l'entretenir de la France et de la religion politiquement, en homme qui alu De Maistre, ou en disciple récent de nos historiens de la civilisation moderne? « Quand l'expérience aura mûri votre raison, mon fils, vous verrez toute la vanité de ces distinctions subtiles. Qui dit catholique, dit monarchique; qui dit protestant, dit républicain, et tout républicain est ennemi de la monarchie. Or la France est essentiellement, je dirai même plus, est géographiquement monarchique. Sa puissance, sa prospérité, sa vie, tiennent essentiellement à cette forme de gouvernement. L'élément theocratique qui entre dans son organisation sociale lui a donné quatorze siècles d'existence (1)... » A-t-il bien pu, lui, M. de Bâville, dans le courant de la phrase, dire Bossuet tout court, citer d'emblée et sur la même ligne Pascal, Molière et Newton, Molière un comédien d'hier, Newton que Voltaire

avait trouvé moyen dans cette simple note d'apparence bibliographique, et par une citation malicieusement choisie, de faire ressortir les locutions, selon lui vicieuses, et le néologisme, auquel il ne pardonnait pas.

(1) Tome II, page 237.

le premier en France vulgarisera? Ce qu'il n'a pas pu dire, je le sais bien; comment il aurait pu parler, qui le saura, à moins d'avoir eu l'honneur d'être familier autrefois en cette maison même des Malesherbes? Voilà des difficultés insurmontables. Walter Scott, si véritablement historique par le souffle et l'esprit divinateur, Walter Scott, avec tout son génie d'évocation, n'avait du moins dans ses Puritains d'Écosse qu'à peindre des temps plus voisins, plus épars, sans idéal vénéré encore, et à reproduire un langage local dont il savait l'accent comme il savait le son de ses cornemuses et l'odeur des bruyères.

Après cela, M. Sue nous répondra qu'heureusement pour lui et pour son sujet, Jean Cavalier n'est qu'un partisan et un révolté dans le règne de Louis XIV, que la scène se passe hors du cercle et de la sphère harmonieuse, que c'en est un épisode irrégulier, une infraction sanglante et cruelle, qu'ainsi donc les difficultés s'éludent. Il a raison; mais encore, comme le cadre de ce règne est partout à l'entour, il vient un moment où l'épisode sauvage y va heurter; si loin qu'on soit du centre, la révolte, avant d'expirer, passe à une certaine heure sous un brillant balcon, et sur ce balcon sont trois hommes du pur grand siècle, Bâville, Villars et

Fléchier.

Les lettres de ce dernier nous ont laissé des renseignements prochains et des impressions fidèles sur les camisards et Jean Cavalier. Le prélat se trouve assez d'accord avec la sœur Demerez. M. Sue, dans le portrait de son héros, a bien tenu compte des principales

données de l'histoire. Cavalier, simple boulanger d'abord, et fils d'un paysan des Cévennes, prit vite dans l'insurrection un rang que tant d'exemples analogues, dans toutes les Vendées qui ont suivi, nous font aujourd'hui aisément comprendre : c'était alors une énigme inexpliquée. Ce jeune homme avait évidemment quelque étincelle du génie militaire; après quelques combats, Villars le jugea digne en effet d'une conférence réglée. Dans le jardin des Récollets de Nîmes où le jeune chef se rendit (mai 1704), le peuple admira, au passage, sa jeunesse, son air de douceur, sa belle mine; et en sortant du jardin, est-il dit, on lui présenta plusieurs dames qui s'estimaient bienheureuses de pouvoir toucher le bout de son justaucorps. Dans la suite, Cavalier, retiré en Angleterre où il avait le grade d'officier général, écrivit, à ce qu'il paraît, ses Mémoires en anglais; il y exposa l'ensemble de sa conduite, de ses desseins, les conditions qu'il stipula, assure-t-il, pour les siens, et qu'on n'observa point. Mais la sincérité du narrateur est loin d'être avérée, et certains détails controuvés autorisent le soupçon. Ainsi Cavalier, avant de sortir de France, alla à Paris et vit le ministre Chamillard à Versailles. «< Chamillard, écrit un historien (1), écouta Cavalier. On assure que le roi le voulut voir: on le plaça pour cela sur le grand escalier où Sa Majesté devait passer. Ce monarque se contenta de jeter les yeux sur lui et haussa les épaules. Cavalier assure qu'il eut un long entretien avec lui: il en rapporte même les termes... ; ce qui ne

(1) Histoire des troubles des Cévennes, 3 vol. Villefranche, 1760.

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