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appeller Poëtes ou Philofophes. Que leur en coûtoit-il en effet pour ufurper deux titres dont on fe pare à fi peu de frais, & qu'on fe flate toûjours de ne guere devoir à des lumieres empruntées? Ils croyoient qu'il étoit inutile de chercher les modeles de la Poéfie dans les Ouvrages des Grecs & des Romains dont la Langue ne fe parloit plus; & ils prenoient pour la véritable Philofophie des Anciens une tradition barbare qui la défiguroit. La Poëfie fe réduifoit pour eux à un méchanisme puéril: l'examen approfondi de la nature, & la grande étude de l'homme, étoient remplacés par mille queftions frivoles fur des êtres abftraits & métaphyfiques; queftions dont la folution bonne ou mauvaise, demandoit fouvent beaucoup de fubtilité, & par conféquent un grand abus de l'efprit. Qu'on joigne à ce defordre l'état d'efclavage où prefque toute l'Europe étoit plongée, les ravages de la fuperftition qui naît de l'ignorance, & qui la reproduit à fon tour: & l'on verra que rien ne manquoit aux obftacles qui éloignoient le retour de la raifon & du goût; car il n'y a que a que la liberté d'agir & de pen

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fer

fer qui foit capable de produire de grandes chofes, & elle n'a befoin que de lumieres pour se préferver des excès.

Auffi fallut-il au genre humain, pour fortir de la barbarie, une de ces révolutions qui font prendre à la terre une face nouvelle l'Empire Grec eft détruit, fa ruine fait refluer en Europe le peu de connoiffances qui reftoient encore au monde : l'invention de l'Imprimerie, la protection des Medicis & de François I. raniment les efprits; & la lumiere renaît de toutes parts.

L'étude des Langues & de l'Histoire abandonnée par néceffité durant les fiecles d'ignorance, fut la premiere à laquelle on fe livra. L'efprit humain fe trouvoit, au fortir de la barbarie, dans une espece d'enfance, avide d'accumu ler des idées, & incapable pourtant d'en acquérir d'abord d'un certain ordre par l'efpece d'engourdiffement où les facultés de l'ame avoient été fi long-tems. De toutes ces facultés, la mémoire fut celle que l'on cultiva d'abord, parce qu'elle eft la plus facile à fatisfaire, & que les connoiffances qu'on obtient par fon fecours, font celles qui peuvent le plus aifément être entaffées. On ne comTome I

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mença donc point par étudier la Nature, ainfi que les premiers hommes avoient dû faire; on jouiffoit d'un fecours dont ils étoient dépourvûs, celui des Ouvrages des Anciens, que la générofité des Grands & l'Impreffion commençoient à rendre communs: on croyoit n'avoir qu'à lire pour devenir favant; & il eft bien plus aifé de lire que de voir. Ainfi, on dévora fans diftinction tout ce que les Anciens nous avoient laiffé dans chaque genre: on les traduifit, on les commenta; & par une efpece de reconnoiffance on se mit à les adorer, fans connoître à beaucoup près ce qu'ils valoient.

De-là cette foule d'Erudits, profonds dans les Langues favantes jufqu'à dédaigner la leur, qui, comme l'a dit un Auteur célebre, connoiffoient tout dans les Anciens, hors la grace & la fineffe, & qu'un vain étalage d'érudition rendoit fi orgueilleux; parce que les avantages qui coûtent le moins font affez fouvent ceux dont on aime le plus à fe parer. C'étoit une efpece de grands Seigneurs, qui fans reffembler par le mérite réel à ceux dont ils tenoient la vie, tiroient beaucoup de vanité de croire

leur appartenir. D'ailleurs cette vanité n'étoit point fans quelque efpece de prétexte. Le pays de l'érudition & des faits eft inépuifable; on croit, pour ainfi dire, voir tous les jours augmenter fa fubftance par les acquifitions que l'on y fait fans peine. Au contraire le pays de la raifon & des découvertes eft d'une affez petite étendue; & fouvent au lieu d'y apprendre ce que l'on ignoroit, on ne parvient à force d'étude qu'à defapprendre ce qu'on croyoit favoir. C'est pourquoi, à mérite fort inégal, un Erudit doit être beaucoup plus vain qu'un Philofophe, & peut-être qu'un Poëte: car l'efprit qui invente eft toûjours mécontent de fes progrès, parce qu'il voit au-delà; & les plus grands génies trouvent fouvent dans leur amour propre même un juge fecret, mais févere, que l'approbation des autres fait taire pour quelques inftans, mais qu'elle ne parvient jamais à corrompre. On ne doit donc pas s'étonner que les Savans dont nous parlons miffent tant de gloire à jouir d'une Science hériffée, fouvent ridicule, & quelquefois barbare.

Il eft vrai que notre fiecle qui fe croit deftiné à changer les lois en tout gen

re, & à faire juftice, ne penfe pas fort avantageufement de ces hommes autrefois fi célebres. C'est une efpece de mérite aujourd'hui que d'en faire peu de cas; & c'eft même un mérite que bien des s gens fe contentent d'avoir. Il femble que par le mépris que l'on a pour, ces Savans, on cherche à les punir de l'eftime outrée qu'ils faifoient d'euxmêmes, ou du fuffrage peu éclairé de leurs contemporains, & qu'en foulant aux piés ces idoles, on veuille en faire oublier jufqu'aux noms. Mais tout excès eft injufte. Joiiiffons plûtôt avec re-, connoiffance du travail de ces hommes laborieux. Pour nous mettre à portée d'extraire des Ouvrages des Anciens tout ce qui pouvoit nous être utile, il a fallu qu'ils en tiraffent auffi ce qui ne l'étoit pas on ne fauroit tirer l'or d'une mine fans en faire fortir en même ren tems beaucoup de matieres viles ou moins précieuses; ils auroient fait comme nous là féparation, s'ils étoient venus plus tard. L'Erudition étoit donc néceffaire pour nous conduire aux BellesLettres.

En effet, il ne fallut pas fe livrer long-tems à la lecture des Anciens

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