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Comme tous les peuples sans mouvement intellectuel, sans commerce avec l'extérieur, les Indiens s'immobilisaient dans leurs préjugés, devenus la suprême loi. Afin de sauver l'essentiel, les Jésuites sacrifièrent l'accessoire. Ils n'avaient pas renoncé à leur patrie, à leur famille, à leur avenir, ils ne s'étaient pas condamnés à de périlleuses navigations, à un jeûne absolu, à une vie misérable, sous un ciel dévorant, pour entretenir les naturels dans leur idolâtrie. Ils commençaient à réaliser le bien, ils voulurent aller jusqu'au mieux, et ils s'égarèrent.

La question des rites malabares était déjà un sujet de division entre les Missionnaires des différents ordres religieux épars sur ces continents, lorsqu'en 1703 CharlesThomas Maillard de Tournon, patriarche d'Antioche, nommé par Clément XI légat du Saint-Siége aux Indes et en Chine, prit terre à Pondichéry. Investi de tous les pouvoirs ecclésiastiques, il avait ordre de mettre fin à des disputes qui menaçaient les chrétientés naissantes. Tournon venait pour réformer les abus qu'un zèle peutêtre excessif introduisait par les Jésuites dans les croyances religieuses; afin de se pénétrer de l'étendue de ses devoirs, il consulta deux Pères de la Compagnie. Le mandement qu'il publia sur les rites malabares a souvent été invoqué; mais, par une inexplicable préoccupation, les historiens, les polémistes qui citent ce document ont oublié de relater un fait qui s'y trouve consigné. L'archevêque d'Antioche ignorait les causes déterminantes de la mésintelligence, il les apprit de la bouche même des Jésuites, c'est ce passage du mandement que tous les écrivains ont omis. Le Légat parle ainsi1: « Ce que nous n'avons pu faire immédiatement par nous

1 Bullarium romanum xv1, 232.

même a été heureusement suppléé par l'obéissance que le Père Venant Bouchet, supérieur de la Mission de Carnate, et le Père Michel Berthold, Missionnaire du Maduré, tous les deux recommandables par leur doctrine, par leur zèle pour la propagation de la Foi, ont témoignée au Saint-Siége et à nous. Ces deux Missionnaires, depuis long-temps instruits des mœurs, de la langue et de la religion de ces peuples, par le séjour qu'ils ont fait parmi eux, nous ayant révélé divers abus qui rendent les branches de cette vigne languissantes et stériles, parce qu'elles s'attachent plus aux vanités des Gentils qu'à la véritable vigne, qui est Jésus-Christ, l'abondance de notre joie a été mêlée de beaucoup de tribulations. »

Le Légat, de même que tous les hommes qui arrivent dans un pays revêtus d'une autorité illimitée, avait tranché les questions; et, au moment de son départ pour la Chine, il lançait son mandement comme pour éluder les objections. L'Archevêque de Goa et l'Évêque de San-Thomé résistèrent à ce décret, le conseil supérieur de Pondichery le déclara abusif, les Jésuites se rangèrent à cet avis. La précipitation du Patriarche évoquait plus d'un danger; mais les disciples de Loyola devaient trop avoir l'instinct de l'autorité pour en compromettre le représentant apostolique. Il fallait obéir d'abord, sauf à recourir au Saint-Siége et à expliquer les perplexités de leur situation. Les choses ne se passèrent point ainsi. L'Église voulait conquérir à la Croix tous les peuples de l'Inde elle y envoyait des Missionnaires de différents Instituts; et, par l'extinction des Chrétientés japonaises, elle n'ignorait pourtant pas que la diversité des esprits ou des méthodes enfanterait des inconvénients de plus d'une sorte.

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La Cour de Rome crut pourvoir à tout en nommant un Légat; cé Légat envenima les querelles au lieu de les calmer. Avec de hautes vertus et des intentions excellentes, qu'un zèle moins intempérant aurait dû diriger, Tournon brisait l'édifice élevé avec tant de peine. Mais il parlait au nom du pouvoir : il appartenait aux Jésuites de se soumettre sans réflexion. Le besoin de sauver d'une ruine complète les régions déjà catholiques, une connaissance approfondie des mœurs et des lois indiennes, la pureté de leurs vues, les progrès que le sacrifice fait à des usages invétérés contribuait si puissamment à étendre, le sentiment trop humain peut-être de leur droit, tout se combina pour les exciter à la résistance. Une lutte étrange dans cette histoire s'ouvrait au fond de l'Asie. Les hommes les plus dévoués à l'autorité pontificale allaient s'engager contre elle dans une guerre de devoirs évangéliques et de principes moraux. Cette guerre, commencée à Pondichéry, se développe à la Chine sur un plus vaste théâtre. La question s'y présente dans toutes ses subtilités : c'est donc là qu'il s'agit de l'étudier.

En 1669 la majorité de l'empereur Kang-Hi avait rendu les disciples de saint Ignace à leurs Catéchuinènes. Pour donner à ses sujets un témoignage éclatant de sa gratitude en faveur des Missionnaires, il accorda au Jésuite Adam Schall, l'ami de son père, les honneurs s ›lennels de la sépulture. Ce fut l'Etat qui paya les frais de cette cérémonie, à laquelle un mandarin assista comme délégué de l'Empereur. Kang-Hi ne se contenta pas de cette réparation. On avait persécuté en son nom des hommes qui accroissaient le domaine de la science: il leur laissa toute latitude religieuse, et il nomma le Père Ferdinand Verbiest président de son tribunal des

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mathématiques. Sous un prince qui sentait sa force, et qui désirait faire régner la justice dans son empire, les Missionnaires eurent bientôt repris dans les provinces l'ascendant que l'exil, la prison ou la mort leur avaient fait perdre. Ils revinrent à leur point de départ: il rouvrirent leurs églises, ils rassemblèrent leurs Néophytes dispersés; puis, à l'abri du sceptre de Kang-Hi, ils poursuivirent leur apostolat comme si rien ne pouvait l'interrompre. L'action du Christianisme sur les Chinois était incessante: elle s'étendait peu à peu, car il importait aux Jésuites de ne pas effrayer ce peuple des progrès qu'un culte étranger réalisait au milieu de lui. Ils marchaient avec circonspection, et, dans les villes les moins considérables comme dans les capitales des provinces, ils se créaient une supériorité dont la Foi catholique retirait autant d'avantages que l'érudition.

Louis XIV avait compris les changements qu'un pareil état de choses provoquait en Europe. Afin d'assurer un jour à la France la plénitude du commerce dans ces empires, il chercha à donner à la Mission chinoise un cachet national. Le Père Verbiest seconda ses voeux. Il obtint de Kang-Hi un édit par lequel la Religion chrétienne était déclarée sainte et exempte de tout reproche, et le 3 décembre 1681 Innocent XI, s'associant aux espérances de Louis XIV, adressa à ce Jésuite le bréf suivant: « Mon cher fils, vos lettres nous ont causé une joie presque incroyable. Il nous a été surtout bien doux de connaître avec quelle sagesse et quel à-propos vous appliquez l'usage des sciences humaines au salut des peuples de la Chine, à l'accroissement et à l'utilité de la Religion, repoussant par ce moyen les fausses accusations et les calomnies que quelques-uns vomissaient contre le nom chrétien; gagnant la faveur de l'Empe

reur et de ses conseillers pour vous mettre à couvert vous-même des fâcheuses avanies que vous avez longtemps souffertes avec tant de force et de grandeur d'âme, pour rappeler de l'exil les compagnons de votre apostolat, et rendre non-seulement la Religion à son ancienne liberté et gloire, mais aussi afin de l'amener de jour en jour à de meilleures espérances; car il n'est rien qu'on ne puisse espérer, avec le secours du Ciel, de vous et d'hommes semblables à vous, faisant valoir la Religion dans ces contrées. »

Des événements politiques augmentèrent encore le crédit des Jésuites à la cour de Péking. Usanguey, ce général qui autrefois avait introduit les Tartares en Chine, se révolta, et entraîna dans son parti les provinces occidentales. Retiré au sein des montagnes, il semblait braver les armées impériales. Il fallait le forcer dans ces retranchements ou laisser une porte toujours ouverte à l'insurrection. Kang-Hi se décide à l'attaquer; mais, pour réussir dans cette difficile entreprise, les généraux et l'Empereur lui-même sentent que l'artillerie est indispensable. Le Père Verbiest, qui accompagne l'armée, reçoit ordre de fondre des pièces de canon de divers calibres. Il résiste, et donne pour excuse que son ministère fait descendre les bénédictions du ciel sur les princes et sur les peuples, mais qu'il ne leur fournit pas de nouveaux moyens de destruction. Le nom chrétien avait des ennemis auprès du monarque. Ils lui persuadent que les Jésuites sont les complices d'Usanguey, et que leur refus est un acte d'hostilité. Kang-Hi menace les Missionnaires et leurs catéchumènes : Verbiest se soumet. Il crée une fonderie, il en dirige les travaux, et la victoire si impatiemment attendue couronne les armes de l'Empereur. Il la devait aux Jésuites; c'est au

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