صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

vaient communiquer avec la caste des pariahs, sous peine de devenir pariahs eux-mêmes. Les Pères Emmanuel Lopez, Antoine Acosta et plusieurs autres ne consentirent pas à laisser sans secours cette population avilie. Ils s'habillèrent comme les rayas; ils se placèrent en intermédiaires, afin de pouvoir offrir à tous les soins de leur charité. « N'était-ce pas un spectacle tout-à-fait co'mique, raconte 'un voyageur, de voir deux confrères, deux membres du même Institut, deux amis, qui, quelque part qu'ils se rencontrassent, ne pouvaient ni manger ensemble, ni loger dans la même maison, ni même se parler? L'un était vêtu d'un angui éclatant comme un grand seigneur; il montait un cheval de prix ou se faisait porter fastueusement en palanquin, pendant que l'autre voyageait demi-nu et couvert de haillons, marchant à pied, entouré de quelques gueux, dont l'accou'trement était encore plus misérable que le sien. Le Missionnaire des nobles allait tête levée, et ne saluait personne. Le pauvre Kourou des pariahs saluait de loin son confrère, se prosternait à son passage, et mettait la main sur sa bouche, comme s'il eût craint d'infecter de son haleine le docteur des grands. Celui-ci ne mangeait que du riz 'préparé par des Brahmes, et l'autre se nourrissait de quelque morceau de viande corrompue dont ses malheureux disciples le régalaient. Rien sans doute n'honore plus la religion que ces ressources du zèle, rien ne fait plus l'éloge d'un prêtre que de pareils sacrifices 'faits au désir qu'il a d'attacher les hommes à la vérité; mais enfin ces sacrifices sont trop pénibles pour durer long-temps. Aussi cette méthode était déjà abolie à mon

arrivée dans l'Indostan.

Benoît XIV l'avait approuvée dans la bulle de 1744,

Voyage dans l'In·lostan, par Perrin, t. 11, p. 106 et 107.

et, pour encourager les Jésuites, ce grand Pape s'exprime ainsi1:

[ocr errors]

Lorsque, excité par les enseignements du Christ Notre Seigneur, et par l'exemple des Pontifes qui nous ont précédé, nous cherchions avec anxiété par quel moyen nous pourrions enfin réellement obtenir ce que nos prédécesseurs avaient tant désiré, il arriva fort à propos que les Missionnaires de la Compagnie de Jésus, auxquels surtout sont confiées les Missions du Maduré, de Maïssour et de Carnate, après nous avoir demandé une déclaration sur l'article des pariahs, se sont offerts et nous ont promis (si cependant nous l'approuvions) de déléguer quelques Missionnaires qui seraient spécialement occupés de la conversion et de la direction des pariahs. Nous avons espéré que ce moyen pourvoirait suffisamment à leur conversion et à leur salut; le recevant donc avec une joie paternelle, nous avons pensé qu'à cause des circonstances du temps, il fallait l'approuver et le recommander. »

Cette séparation éternelle des Jésuites Missionnaires, ce mur infranchissable qu'ils élevaient volontairement entre eux, afin de travailler sur la même terre au bonheur d'une population que des préjugés invincibles divisaient, cette vie de grandeur et d'abaissement à laquelle les uns et les autres se condamnaient, tout cela était accepté avec joie. Les plus heureux étaient les Pères qui obtenaient l'honneur des humiliations, et, dans une lettre d'un Missionnaire de Goa, écrite à Rome, on voit quels étaient les transports de ceux qui se dévouaient à la dégradation pour servir les pariahs. Le Jésuite s'exprime ainsi :

[ocr errors][merged small][merged small][merged small]

compagnons du Christ, votre chef et votre maître. Vous voilà, suivant le langage de l'Apôtre, réputés comme les ordures du monde, comme les balayures rejetées de tous, mais en réalité la gloire véritable de notre Compagnie et le plus bel ornement de cette province. Que votre cœur ne se trouble pas de ce que vous êtes devenus étrangers à vos frères, inconnus aux fils de votre mère, en sorte qu'ils vous refuseront les embrassements ordinaires et fuiront votre abord, bien que, si la chose était permise, ils voulussent vous rendre tous les devoirs de la charité. Lorsqu'en les rencontrant vous leur répéterez avec Paul: Vous voilà nobles, et nous misérables, je vous réponds que vous leur tirerez des larmes des yeux, que vous les forcerez à envier saintement votre ignominie. »>

Cette exaltation religieuse ne s'affaiblit jamais; les Jésuites avaient trouvé le seul moyen de réunir les castes indiennes; ils espéraient les amener à l'égalité par le Christianisme. Ce fut une pensée morale qui les dirigea dans l'accomplissement d'une œuvre aussi difficile; par les résultats qu'ils obtinrent, on peut conjecturer que, dans un temps donné, ils auraient brisé la barrière placée entre les enfants d'un même Dieu et d'un même pays. Des difficultés venues du fond de l'Europe, et la suppression de l'Ordre ne permirent pas de réaliser ces projets.

Brahmes ou pariahs, les Jésuites ne tendaient qu'à un but unique: ils l'atteignirent, et, animés par la même pensée, quoique séparés par les flots ou par les préjugés de culte, ils marchaient tous au développement de l'idée civilisatrice. Le nombre des Chrétiens vivant au coeur des Indes était incalculable: les Missionnaires avaient trouvé ces peuples lâches, efféminés, sans carac

tère, toujours accessibles à la flatterie, toujours prêts à se laisser séduire par l'indolence ou par l'attrait du plaisir. La Foi réveilla dans ces natures inertes l'énergie qui sommeillait depuis de longs siècles; elle leur communiqua une nouvelle vie, elle épura leurs moeurs, elle les fit généreux et constants, forts contre la persécution et grands dans les souffrances. La guerre passa souvent sur cette immense presqu'ile; on désola à diverses reprises, on brûla, on égorgea toutes les populations qui ne se réfugiaient pas dans les forêts. Les Marati vinrent en corsaires ravager les côtes du Maduré, d'autres descendirent des montagnes du nord-ouest et saccagèrent les provinces. Les Européens, à leur tour, se mêlèrent à ces dévastations: Maures et Chrétiens, Français et Hindoux, s'attaquèrent, se poursuivirent sans relâche pour conserver ou pour conquérir l'empire. Les Jésuites éprouvèrent le contre-coup de tant de déchirements. Les Européens, dans les Indes, commirent des excès de plus d'une sorte; ces excès retentissaient au loin, ils justifiaient l'aversion instinctive que le naturel d'un pays porte à l'étranger qui veut le dominer; ils rejaillissaient jusque sur la religion, en détruisant dans l'esprit des Hindoux le salutaire effet que produisaient la vérité de ses dogmes et la pureté de sa morale. En présence de ces fléaux, les Jésuites ne se sentirent pas découragés, et ce que les Pères Bouchet, Dolu, Lopez, Acosta, Diusse, Mauduit, Petit, Carvalho, Berthold, Tachard, Lafontaine, du Tremblay, Saignes, d'Origny, Barbosa, de Lemos, Borghèse, Timothée Xavier, Artaud, Cœurdoux, Celaya, Pimentel, Alexandri, Laynès, Martin, Saint-Estevan et Yard, entreprirent de 1700 à 1770, d'autres le continuèrent avec un égal succès. Dans cet espace de plus d'un demi-siècle, les Français et les

Anglais luttèrent pour savoir à qui resterait enfin l'influence sur ces contrées lointaines, où le nom de Joseph Dupleix, de Lally et de Suffren retentit encore, les Jésuites souffrirent, mais ne désespérèrent jamais du triomphe de l'Évangile. Les Brahmes et les pariahs se réunissaient dans une pensée de haine contre les Européens; les Jésuites, victimes eux-mêmes de tant de guerres acharnées, se firent un devoir de calmer leur irritation; mais, à ces obstacles renaissants, il s'en joiguit un autre qui ne fut pas moins fertile en désastres.

Le champ ouvert à la prédication était si étendu que les Missionnaires accoururent de tous côtés, afin de le défricher. Le zèle les poussait, l'esprit de discorde se glissa parmi eux; il produisit de funestes querelles et des controverses qui de l'Orient passèrent bien vite en Europe, pour raviver les inimitiés et justifier les jalousies.

Les rites malabares consistaient à omettre quelques cérémonies dans l'administration du baptême, en respectant toutefois l'essence du sacrement, à cacher les noms de la Croix et des objets du culte catholique sous des appellations moins communes, à marier les enfants avant l'âge de puberté, à laisser aux femmes un bijou nommé Taly, qu'elles reçoivent le jour des fiançailles, et sur lequel était gravée l'image d'une idole; à éviter de soigner les pariahs dans leurs maladies, et à les priver de certains secours spirituels. Les Jésuites du Maduré, du Mysore et de Carnate se trouvèrent en face de tant de superstitieuses pratiques, qu'ils crurent devoir tolérer celles qui, à leur avis, ne préjudiciaient pas à la Religion chrétienne, Ils étudièrent les mœurs de ces nations, ils s'appliquèrent à distinguer les coutumes popu laires d'avec les fausses croyances ou les usages païens,

« السابقةمتابعة »