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fociété. Ainfi la partie la plus noble de notre être s'eft en quelque maniere vengée des premiers avantages que la partie la plus vile avoit ufurpés; & les talens de l'efprit ont été généralement 、 reconnus pour fupérieurs à ceux du corps. Les Arts méchaniques dépendans d'une opération manuelle, & affervis qu'on me permette ce terme, à une efpece de routine, ont été abandonnés à ceux d'entre les hommes que les préjugés ont placés dans la claffe la plus inférieure. L'indigence qui a forcé ces hommes à s'appliquer à un pareil travail, plus fouvent que le goût & le génie ne les y ont entraînés, eft devenue enfuite une raifon pour les méprifer; tant elle nuit à tout ce qui l'accompagne. A l'égard des opérations libres de l'efprit, elles ont été le partage de ceux qui fe font crus fur ce point les plus favorifés de la Nature. Cependant l'avantage que les Arts libéraux ont fur les Arts méchaniques, par le travail que les premiers exigent de l'efprit, & par la difficulté d'y exceller, eft fuffifamment compenfé par l'utilité bien fupérieure que les derniers nous procurent pour la plupart. C'est cette utilité même qui

a forcé de les réduire à des opérations purement machinales, pour en faciliter la pratique à un plus grand nombre d'hommes. Mais la fociété en refpectant avec juftice les grands génies qui l'éclairent, ne doit point avilir les mains qui la fervent. La découverte de la Boufiole n'eft pas moins avantageufe au genre humain, que ne le feroit à la Phyfique l'explication des propriétés de cette aiguille. Enfin, à confidérer en lui-même le principe de la diftin&tion dont nous parlons, combien de Savans prétendus dont la fcience n'eft proprement qu'un art méchanique? & quelle différence réelle y a-t-il entre une tête remplie de faits fans ordre, fans ufage & fans liaison, & l'inftin&t d'un Artifan réduit à l'exécution machinale?

Le mépris qu'on a pour les Arts méchaniques femble avoir influé jufqu'à un certain point fur leurs inventeurs même. Les noms de ces bienfaiteurs du genre humain font prefque tous inconnus, tandis que l'hiftoire de fes deftructeurs, c'eft-à-dire, des conquérans, n'eft ignorée de perfonne. Cependant c'eft peut-être chez les Artifans qu'il faut aller chercher les preuves les plus

admirables de la fagacité de l'efprit, de fa patience & de fes reffources. J'avoue que la plupart des Arts n'ont été inventés que peu à peu; & qu'il a fallu une affez longue fuite de fiecles pour porter les montres, par exemple, au point de perfection où nous les voyons. Mais n'en est-il pas de même des Sciences? Combien de découvertes qui ont immortalifé leurs auteurs, avoient été préparées par les travaux des fiecles précédens, fouvent même amenées à leur maturité, au point de ne demander plus qu'un pas à faire? Et pour ne point fortir de l'Horlogerie, pourquoi ceux à qui nous devons la fulée des montres, l'échappement & la répétition, ne font-ils pas auffi eftimés que ceux qui ont travaillé fucceffivement à perfectionner l'Algebre? D'ailleurs, fi j'en crois quelques Philofophes que le mépris de la multitude pour les Arts n'a point empêché de les étudier, il eft certaines machines fi compliquées, & dont toutes les parties dépendent tellement l'une de l'autre, qu'il eft difficile que l'invention en foit dûe à plus d'un feul homme. Ce génie rare dont le nom eft enfeveli dans l'oubli,

n'eût-il pas été bien digne d'être placé à côté du petit nombre d'efprits créateurs, qui nous ont ouvert dans les Sciences des routes nouvelles?

Parmi les Arts libéraux qu'on a réduits à des principes, ceux qui fe propofent l'imitation de la Nature, ont été appellés beaux Arts, parce qu'ils ont principalement l'agrément pour objet. Mais ce n'eft pas la feule chofe qui les diftingue des Arts libéraux plus néceffaires ou plus utiles, comme la Grammaire, la Logique & la Morale. Ces derniers ont des regles fixes & arrêtées, que tout homme peut transmettre à un autre au lieu que la pratique des beaux Arts confifte principalement dans une invention qui ne prend guere fes lois que du génie; les regles qu'on a écrites fur ces Arts n'en font proprement que la partie méchanique; elles produisent à peu près l'effet du Télescope, elles n'aident que ceux qui

voient.

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Il résulte de tout ce que nous avons dit jufqu'ici,que les différentes manieres dont notre efprit opere fur les objets, & les différens ufages qu'il tire de ces objets même, font le premier moyen

qui

qui fe préfente à nous pour difcerner en général nos connoiffances les unes des autres. Tout s'y rapporte à nos befoins, foit de néceffité abfolue, foit de convenance & d'agrément, foit même d'ufage & de caprice. Plus les befoins font éloignés ou difficiles à fatisfaire, plus les connoiffances deftinées à cette fin font lentes à paroître. Quels progrès la Médecine n'auroit-elle pas faits aux dépens des Sciences de pure fpéculation, fi elle étoit auffi certaine que la Géométrie? Mais il eft encore d'autres caracteres très-marqués dans la maniere dont nos connoiffances nous affectent, & dans les différens jugemens que notre ame porte de fes idées. Ces jugemens font défignés par les mots d'évidence, de certitude, de probabilité, de sentiment & de goût.

L'évidence appartient proprement aux idées dont l'efprit apperçoit la liaifon tout d'un coup; la certitude à celles dont la liaison ne peut être connue que par le fecours d'un certain nombre d'idées intermédiaires, ou, ce qui eft la même chofe, aux propofitions dont l'identité avec un principe évident par lui-même, ne peut être découverte que Tome I.

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