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très-perçant, très-impartial dans l'ordre des idées, il évitait cette direction exclusive qu'on reprochait aux écrivains du XVIIe siècle. Cependant la pratique historique laissait de ce côté à désirer; malgré l'élévation de l'enseignement, malgré ce talent de narrateur dont il devait faire preuve à son tour dans son Histoire de la Révolution d'Angleterre, M. Guizot n'aimait pas avant tout à raconter; on l'a dit mieux que nous ne le pourrions redire (1), l'exposition qui abrége en généralisant avait pour lui plus d'attraits; bien des faits sous sa plume étaient resserrés en de savants résumés qui eussent pu aussi se dérouler autrement et prendre couleur. En un mot, le talent supérieur qu'on a vu éclater depuis sur un autre théâtre faisait dès lors ses réserves en quelque sorte : l'orateur parlementaire se marquait dans l'historien.

Un rapprochement, un contraste m'a dès longtemps frappé, et il vient ici assez à propos, puisqu'il s'agit de récit. Voyez le premier, le plus jeune de nos vieux chroniqueurs. Joinville est simple, naïf, candide; sa parole lui échappe, colorée de fraîcheur, et sent encore son enfance; il s'étonne de tout avec une bonne foi parfaite; les choses du monde sont nées pour lui seulement du jour où il les voit. Par combien de degrés l'affaire historique a marché, et qu'il y a loin de là au rapporteur philosophe qui considère et qui décompose, qui embrasse du même œil aguerri les superficies diverses, qui communique à chaque observation, même

(1) Globe, 3 juin 1826.

naissante, quelque chose d'antérieur et d'enchaîné! Ce qu'il sait d'hier ou du matin, il semble le savoir de toujours (1).

Un autre esprit, maître plutôt en fait d'art, un écrivain, un peintre original et vigoureux, allait aborder l'histoire de front par une prise directe, immédiate; il allait y porter une manière scrupuleuse et véridique, et, si l'on peut dire, une fidélité passionnée. S'attachant à des époques lointaines, peu connues, réputées assez ingrates, traduisant de sèches chroniques avec génie, il devait serrer tout cela de si près et percer si avant, qu'il en tirerait couleur, vie et lumière. Il semblerait créer en trouvant. C'est assez indiquer le rôle de M. Augustin Thierry.

M. de Barante, qui concevait son ouvrage vers le même temps, eut une idée plus simple et dont l'exécution dépendait surtout du choix de l'époque. Aussi ne faut-il pas accorder, je le crois, à sa très-ingénieuse préface une portée plus grande que celle à laquelle il a prétendu « Dès longtemps, dit-il, la période qu'embras<< sent les quatre règnes de cette dynastie (les Ducs de « Bourgogne de la maison de Valois) m'a semblé du « plus grand intérêt. J'ai cru trouver ainsi un moyen « de circonscrire et de détacher de nos longues annales << une des époques les plus fécondes en événements et « en résultats. En la rapportant aux progrès successifs « et à la chute de la vaste et éclatante domination des

(1) « Ce qu'il a appris le matin, il semble le savoir de toute Eternité. » Le mot a été dit en effet.

« princes de Bourgogne, le cercle du récit se trouve « renfermé dans des limites précises. Le sujet prend « une sorte d'unité qu'il n'aurait pas si je l'avais traité « à titre d'histoire générale. » Ainsi, dans ce choix des quatre ducs de Bourgogne, M. de Barante voyait surtout une manière ingénieuse de découper et de prendre de biais un large pan de l'histoire de France. Or, cette époque des xive et xve siècles était précisément la plus riche en chroniques de toutes sortes, et déjà assez française pour qu'en changeant très-peu aux textes, on pût jouir de la saveur et de la naïveté : naïveté relative et d'autant mieux faite pour nous, qu'elle commençait à soupçonner le prix des belles paroles. Parmi les chroniqueurs de cet âge, il en était un surtout, le premier en date et en talent, que M. de Barante ne prétendait pas découvrir à coup sûr, mais qui, bien moins en circulation alors que depuis, a eu, grâce à lui d'abord, sa reprise de vogue en ces années et tout un regain d'arrièresaison. Je veux parler de l'Hérodote du moyen âge, de celui que présageait Joinville, de Froissart, dont Gray, écrivant à Warton en 1760, disait : « Froissart est <«< un de mes livres favoris. Il me semble étrange « que des gens qui achèteraient au poids de l'or une << douzaine de portraits originaux de cette époque pour «orner une galerie, ne jettent jamais les yeux sur tant « de tableaux mouvants de la vie, des actions, des « mœurs et des pensées de leurs ancêtres, peints sur « place, avec de simples, mais fortes couleurs. » En France, Saint-Palaye déjà l'avait rappelé à l'attention des érudits; M. de Barante le mit en valeur pour

tous (1). Il lui dut lui-même ses principales ressources au début et comme la mise en train de son œuvre. Froissart au point de départ, Comines au point d'arrivée, les deux termes du voyage étaient rassurants, et le chemin entre les deux n'était pas dépeuplé de pèlerins et de conteurs, Monstrelet, le Religieux de Saint-Denis et bien d'autres.

Il sembla donc à M. de Barante que, par une construction artistement faite de ces scènes originales et en se dérobant soi-même historien, il était possible de produire dans l'esprit du lecteur, à l'occasion des aventures retracées de ces âges et avec l'intérêt d'amusement qui s'y mêlerait, une connaissance effective et insensiblement raisonnée, un jugement gradué et fidèle. Il pensa que rien qu'avec des récits contemporains bien choisis, habilement présentés et enchassés, on pouvait non-seulement rendre aux faits toute leur vie et leur jeu animé, mais aussi en exprimer la signification relative (2). En venant plaider dans sa préface contre l'histoire officielle et oratoire, il n'a jamais demandé, il n'a pu demander que l'histoire vraiment

(1) M. Dacier avait commencé une édition des Chroniques de Froissart, mais qui fut interrompue par la révolution. La nouvelle édition complète, publiée par les soins de M. Buchon, parut en 1824. M. de Barante avait donné l'article Froissart dans la Biographie universelle (1816); sa prédilection s'y déclare.

(2) « M. de Barante se fait chroniqueur dans son Histoire des Ducs de Bourgogne, laissant, dit-il, parler les faits, laissant les temps se raconter eux-mêmes, mais leur soufflant tout bas tout co qu'ils doivent dire. » (Cours de littérature de M. Vinet, Lausanne,

philosophique fût supprimée; il n'a pas dit, à le bien. entendre, il n'a pas cru que l'histoire morale, celle des Tacite, des Salluste et des grands historiens d'Italie, dût cesser d'avoir ses applications diverses, surtout à des époques moins extérieures et plus politiques, aux époques d'intrigue et de cabinet: mais, ce jour-là, il demandait pour le genre qui était le sien, pour cette méthode appliquée une fois à une époque particulière qui y prêtait, il demandait place au soleil et admission légitime, et, en homme d'esprit, il a trouvé à ce propos toutes sortes de raisons et de motifs qu'il a déduits; et il en a su trouver un si grand nombre là même où l'on s'était dit qu'il y avait objection, qu'on a pu croire que les conclusions chez lui dépassaient le but. Il ne voulait, en effet, qu'autoriser auprès du public l'imprévu de son essai, et l'essai, dans ces limites. précises, a complétement réussi.

On n'attend pas que nous nous engagions dans une analyse, que nous allions resserrer ce que l'auteur, au contraire, a voulu étendre, que nous décolorions ce qu'il a laissé dans sa fleur de récit. M. de Barante a eu l'honneur, en ce grand mouvement historique qui fait encore le lot le plus clair de notre moderne conquête, d'introduire une variété à lui, un vaste échantillon qu'il ne faudrait sans doute pas transposer à d'autres exemples, mais dont il a su rendre l'exception d'autant plus heureuse en soi et plus piquante. Il a osé lutter avec le roman historique, alors dans toute sa fraîcheur et sa gloire, il l'a osé presque sur le même terrain, avec des armes plutôt inégales, puisque la fic

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