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il sut se faire des points fixes. A l'excès paradoxal de Schlegel il opposa l'impartialité. Impartialité, ce fut de bonne heure sa devise, son inspiration originale en critique, comme par la suite en histoire.

Tel nous le montre son Discours ou Tableau de la Littérature française au XVIIIe siècle, ouvrage conçu durant ces années et qui parut pour la première fois en 1809. Ce petit volume, qui présentait moins des développements que des résultats, a trop bien réussi, il a trop contribué à répandre et à faire accepter de tous aujourd'hui les conclusions qu'il exprimait, pour qu'on n'ait pas besoin de se reporter au moment où il parut, si l'on veut en apprécier l'originalité. Chose singulière ! la critique littéraire à la fin du xvme siècle, de cette époque éminemment philosophique, était devenue, chez la plupart des disciples, purement méticuleuse et littévale: elle ne s'attachait plus guère qu'aux mots. L'école Toù sortait M. de Barante la ramena aux idées, et rétait le point de vue élevé que la littérature doit tenir dans une société polie, mais sérieuse. Quand je dis que la critique issue en droite ligne de la philosophie du XVIe siècle se prenait surtout aux mots, je sais bien que parmi ces mots on faisait sonner très-haut ceux de philosophie et de raison; mais, sous ce couvert imposant et creux, on était trop souvent puriste et servile. Une autre école, opposée à cette philosophie, produisait alors d'éloquents écrivains, des critiques instruits et piquants sans doute; mais c'était une réaction qui, en parant à un excès, poussait à un autre. Dans le courant même des idées du moment et de celles de l'avenir,

quelques esprits eurent l'honneur, les premiers, de noter avec précision ce qu'on appelle en mer le changement des eaux, de signaler ce qui devait se poursuivre et ce qui devait se modifier, de marquer, en un mot, la transition sans rupture entre les idées du xvme siècle et les pensées de l'âge commençant. Dans cette direction exacte que je tâche de définir, et à ne les prendre que comme critiques, il faut nommer Mine de Staël, Benjamin Constant, Mlle de Meulan et M. de Barante. Ce dernier, plus jeune, moins engagé, fut aussi celui qui résuma le plus nettement. « L'auteur du Discours dont il s'agit, écrivait Mme de Staël, est peutêtre le premier qui ait pris vivement la couleur d'un nouveau siècle. » Cette couleur consistait déjà à réfléchir celle du passé et à la bien saisir plutôt qu'à en accuser une à soi. Pourtant, si, pour mieux voir, l'auteur ici se mettait volontiers en idée à la place de ceux qu'il jugeait, il n'abdiquait pas la sienne. Il tendait à substituer aux jugements passionnés et contradictoires une critique relative, proportionnée, explicative, historique enfin, mais qui n'était pas dénuée de principes; loin de là, une sorte d'austérité y mesurait à chaque moment l'indulgence. Ainsi il jugeait le XVIe siècle et le xvine, rendant au premier sa part, sans immoler le second. Le nôtre, en avançant, a de plus en plus marché dans cette voie d'intelligence et d'impartialité, mais en s'embarrassant de moins en moins des principes. Il est presque arrivé déjà à la moitié de son terme, et il semble vouloir justifier cette parole que Mme de Staël proférait sur lui dès l'origine :

« Le XVIe siècle énonçait les principes d'une ma<< nière trop absolue; peut-être le xixe commen«tera-t-il les faits avec trop de soumission. L'un « croyait à une nature de choses, l'autre ne croira « qu'à des circonstances. L'un voulait commander l'a<< venir, l'autre se borne à connaître les hommes. >> Pronostic si plein de sagacité et de sens! Combien n'en rencontre-t-on pas de tels au sein de cette parole généreuse, de cette nature enthousiaste et douée des hautes clartés!

Le caractère de ce premier écrit de M. de Barante a donc été d'introduire une vue moderne dans la critique. Il n'y avait rien là d'appris ni de répété des livres ; les idées étaient neuves; la conversation et la discussion les avaient mûries. On peut dire que, pour bien des esprits distingués, c'était un compte rendu de leurs impressions et de leurs jugements sous une forme nette qu'ils durent vite adopter et reproduire (1). Littérairement, on trouverait des objections, on voudrait du moins des amendements à quelques sentences dans lesquelles le critique, en abrégeant, a trop tranché. Il est bien dur, par exemple, de venir dire, en parlant de Diderot le talent dont il a donné quelques indices....

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(1) On l'a très-bien remarqué, M. de Barante arrive, procède volontiers sur toute chose, avec une théorie mesurée, qu'il présente aussitôt d'une manière agréable et succincte; il est bien fidèle en cela au vrai sens de ce mot doctrinaire dont on a tant abusé. Sa critique diffère essentiellement de celle de Chénier, dans la même forme concise du tableau, en ce que Chénier résume d'un trait le caractère littéraire d'un talent, et que M. de Barante résume d'un mot l'idée de ce talent.

Je ne saurais non plus accorder que la plaisanterie de Bayle soit presque toujours lourde et vulgaire. Que cette plaisanterie et l'habit qu'elle porte ne soient plus de mode, à la bonne heure! Que ce soit un habit de savant, et qui même n'ait jamais été à aucun moment taillé dans le dernier goût, c'est très-vrai encore. Mais sous cette coupe un peu longue et ces manches qui dépassent, prenez garde, l'ongle s'est montré, non pas du tout un ongle de pédant, il a la finesse. Ce ne sont là, au reste, que de simples points; l'ensemble des conclusions, même en ce qu'elles parurent avoir d'abord de rigoureux, demeure approuvé.

Vers le temps de la publication de cet ouvrage, la situation politique de M. de Barante commençait à se dessiner avec distinction. Simple auditeur au Conseil d'État vers 1805, s'il se sentait peu favorable d'affection au gouvernement impérial, il ne s'en montra que plus strict dans l'accomplissement de ses devoirs. Sa liaison avec Coppet, ses visites à Mme de Staël durant le séjour, ou, comme on disait, l'exil d'Auxerre, tout cet attrait prononcé pour une noble disgrâce, ne laissaient pas d'introduire des chances périlleuses dans sa carrière, dans celle même de son père vénéré (1). Il dut y avoir là des luttes morales, touchantes, qu'on ne peut s'empêcher de soupçonner, qu'il ne nous appartient pas de sonder dans toutes leurs délicatesses. Le gouvernement d'alors était très-ombrageux sur les moin

(1) M. de Barante père fut révoqué de sa préfecture de Genève à la fin de 1810.

dres affaires d'écrivain. Un article du Publiciste dans lequel, à propos de la Mort d'Henri IV de Legouvé, M. de Barante, sous le voile de l'anonyme, soutenait les avantages de la vérité historique au théâtre, le mit en contradiction avec Geoffroy. Le Publiciste, toujours sous les mêmes initiales (A. M., je crois), soutint sa thèse. Geoffroy lança une réplique violente, au moinseu égard au diapason du temps. Cela fit bruit, et le jeune auditeur fut envoyé en Espagne pour y porter des dépêches. Plus tard, après Iéna, M. de Barante eut une mission en Allemagne; il séjourna à Breslau. Ce spectacle des pays conquis et de l'odieuse administration qui pesait sur eux, frappa vivement son âme équitable et compatissante; il n'en put contenir l'impression en écrivant à son père. Que la lettre ait été interceptée ou non, il fut rappelé peu après et nommé souspréfet à Bressuire. Cette nouvelle destination, qui lui procurait solitude et loisir au fond du Bas-Poitou, lui convenait; c'est à ce moment qu'il recueillit ses idées sur la littérature du xvIe siècle et en rédigea le tableau. Il traduisait aussi dès lors la plupart des pièces dramatiques de Schiller, dans la compagnie de M. de Chamisso. Bientôt un mariage selon ses vœux allait fixer son bonheur et enchaîner sa destinée avec grâce à l'un des noms les plus aimables du siècle illustre qu'il venait de juger (1). Vers le même temps il faisait de près connaissance avec les Vendéens, avec l'héroïque famille de la Rochejaquelein. En écoutant ces souvenirs

(1) Mme de Barante est une d'Houdetot.

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