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de sonder ! Aussi le philosophe, on le conçoit, n'attache pas une très-grande importance, une importance absolue, à la forme extérieure de l'histoire qu'il voit éclore en son temps et prendre sous ses yeux : ce n'est pour lui qu'une écorce et qu'une croûte qui pouvait lever de bien des façons.

Cependant, une fois la surface levée d'une certaine façon, une fois les événements accomplis, il n'y a pas moyen de revenir. Historiquement parlant, il n'y a plus qu'une forme à étudier, celle qui s'est produite et qui apparaît. Si l'histoire prétendait reproduire exactement la réalité même, elle devrait viser à être le miroir de cet océan mobile, de cette surface perpétuellement renouvelée, ce qui devient impossible. L'histoire n'est pas un miroir complet ni un fac-simile des faits; c'est un art. L'histoire, quand on parvient à la construire, est un pont de bateaux qu'on substitue et qu'on superpose à cet océan dans lequel, si on voulait s'y tenir, on se noierait sans arriver. Moyennant le pont, on élude ces flots sans fin; on les traverse sur bien des points; on va de Douvres à Calais. Il suffit pour la vérité historique relative que le pont soit, autant que possible, dans quelqu'une des directions principales, et porte sur quelqu'un des grands courants.

Mais le pont de bateaux ne se fait pas toujours; les matériaux manquent ou se perdent; il ne se trouve plus que des jalons, et de place en place, après l'orage, des massifs de pièces interrompues et pendantes. Qu'on veuille réfléchir à l'immensité du champ histo

rique; à part deux ou trois époques d'exception, presque tout est ainsi. Comment suppléer et achever? Le moment vient assez vite où l'on n'a plus à espérer de découvertes, et où l'on n'a plus décidément affaire qu'à un certain nombre de textes, de fragments déterminés. C'est avec cela qu'il faut refaire la ligne, ou la déclarer incomplète. Ici commence le triomphe et l'interminable dispute des érudits.

J'aime avant tout la méthode d'un esprit ferme, positif, inexorable, qui me dénombre et me déduit les faits, les points précis, et me dit: Rien au delà. Je sais à quoi m'en tenir, et si ma conjecture va son train, je sais qu'elle est conjecture.

J'aime aussi (sauf retour) la méthode d'un esprit ingénieux, hardi, habile, plein de mouvement, qui ose deviner, reconstruire, et qui m'associe à ses courageuses et doctes aventures.

M. le comte de Saint-Priest vient d'entrer de la sorte avec nouveauté dans une carrière qui, depuis quelques années, avait été parcourue et illustrée en divers sens. Le fort de son livre, qui embrasse une très-vaste étendue historique, porte principalement sur l'origine de la royauté moderne et tend à débrouiller encore une fois les époques mérovingienne et carlovingienne. Arrivé le dernier, il a trouvé moyen d'y jeter toutes sortes de vues nouvelles, inattendues. Ces époques, en elles-mêmes si ingrates et si obscures, sont devenues désormais comme un champ-clos brillant où non-seulement les érudits, mais des écrivains éloquents, arborent leurs couleurs et brisent des lances. Il est vrai que, si

l'on n'y prend pas garde, la multiplicité des lumières va y refaire jusqu'à un certain point l'effet de l'obscurité primitive. A force d'explications et d'éclairs contradictoires qu'on fera jaillir des mêmes textes, il semblera évident que nulle explication n'est la décisive.

Un premier tournoi eut lieu sur ce même terrain et occupa tout le XVIe siècle. Il s'ouvre par les écrits du comte de Boulainvilliers et va jusqu'à ceux de l'historiographe Moreau. M. Augustin Thierry en a tracé un savant et lucide exposé dans les belles Considérations qui précèdent ses Récits merovingiens. Chaque élément est tour à tour en jeu et court sur le tapis, selon le préjugé de l'auteur qui le fait valoir, l'élément aristocratique et frank avec Boulainvilliers, l'élément municipal et gallo-romain avec Dubos, le démocratique avec Mably, le monarchique avec Moreau. Quand le tour des rôles fut épuisé, quand tous les numéros historiques furent sortis, il y eut clôture. Puis de nos jours, sous une autre forme, la discussion a été reprise, et l'on peut dire que le tournoi a recommencé. Et d'abord il a semblé que ce n'était plus un tournoi. Les documents se présentaient plus nombreux, plus complets, et éclairés par un sens historique tout neuf, par une comparaison très-attentive. Il n'y avait plus d'ailleurs de préjugé dominant (les contemporains n'ont jamais de préjugés); enfin on se serait cru d'accord. Pourtant dans ces importants travaux de M. Guizot, de M. Augustin Thierry et de son frère Amédée, de M. de Chateaubriand en ses Études historiques, de M. de Sismondi, de M. Fauriel, on trouverait lieu de noter au

moins des nuances de systèmes et des traces de direction assez différentes. L'élément, l'intérêt démocratique, celui des communes, ou de ce qui devait un jour s'appeler de ce nom, dominait en général; la monarchie et l'Église avaient un peu le dessous. Mais voilà que M. de Saint-Priest, dans ses loisirs du Nord, s'est aperçu de la lacune et a conçu le dessein de la combler. Il s'est ressouvenu vivement de l'idée monarchique et a estimé qu'elle n'avait pas obtenu sa part historique suffisante, son juste rôle, dans les récents travaux des plus illustres maîtres sur nos vieilles races. Nourri de vastes lectures, armé d'une érudition remuante, d'une hardiesse de construction très-prompte, il a fait brèche à son tour dans quelques-unes des lignes qui avaient semblé le mieux retranchées. S'il n'a pas raison, je le crois bien, dans toutes ses revendications, il y a lieu du moins qu'on lui réponde : on a désormais à compter et probablement à transiger sur plus d'un point avec lui.

Je dis que l'ouvrage de M. de Saint-Priest aboutit principalement et vise sans doute à ces questions de nos origines nationales. Quoique l'auteur ait pris son sujet de beaucoup plus haut, et que, loin de circonscrire sa carrière, comme il semble le croire, il l'ait considérablement élargie, le plus incisif de sa docte manœuvre, le plus vif de la bataille très-complexe et très-brillante qu'il engage, se livre encore dans le champ de nos vieilles Gaules. On pourrait s'y méprendre, à ne voir que le début. Son récit entame et suit l'histoire de l'idée d'empire, de royauté et de dynastie, à partir d'Auguste: ses Prolegomènes remontent beaucoup plus

haut et nous transportent du premier pas aux plateaux les plus reculés de la mystérieuse Asie. Lui si Français d'esprit, il a excédé par ce bout peut-être notre mesure française, laquelle est restée très-discrète et très-rebelle, nonobstant le régime oriental et symbolique qu'on a essayé de nous inculquer. On a beau faire, nous n'aimonsen France à sortir de l'horizon hellénique et de sés lignes distinctes qu'à bon escient. M. Letronne demeure encore en ces matières notre admirable érudit et notre critique défensif par excelleuce. Je me figure (car j'ai besoin d'une explication) que, pendant ces années de laborieuse absence où l'auteur préparait son important travail, il nous aura crus plus atteints que nous ne l'étions en effet de cette fièvre du symbolisme historique. Les premières pages ne sont autre chose qu'un sacrifice, qu'en homme d'esprit il a cru devoir faire, un peu malgré lui, au goût du temps. Eh bien, ce goût n'avait pas de racines profondes et ne méritait pas qu'on en tînt compte:

Je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus!

Ajoutez que, dans des considérations générales prises de si haut, l'auteur est nécessairement forcé de courir, et que c'est là, pour le lecteur, une préparation plutôt pénible aux discussions intéressantes, mais sérieuses, qui vont le réclamer tout entier.

L'ensemble de l'ouvrage est conçu et construit dans une pensée d'art; il se compose de dix livres, dont chacun embrasse un objet déterminé, et roule autour d'un

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