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bien avant dans les siècles, la lampe domestique éclaira sous le chaume des dieux Pénates, exigus comme elle et, comme elle, pétris d'argile. Malgré les édits sans nombre, ce riant paysage des Géorgiques ne s'effaça que par degrés et disparut lentement devant le soleil du christianisme. Écrit dans le Ive siècle, et, selon quelques scholiastes, cent ans plus tard, le poëme de Daphnis et Chloé reproduit sous une forme idéale sans doute, mais exacte, l'état religieux des campagnes à la dernière époque du culte des dieux L'aspect général des localités était encore tout coloré du paganisme. En Grèce, en Italie, telle bourgade, telle petite ville, étaient déjà chrétiennes; la foule se rendait dans les basiliques transformées en églises; les préaux, les chemins, étaient semés de croix; pourtant, au fond du bois, au détour d'un angle caché par les chênes verts, sur le bord du ruisseau ou du lac, on voyait se mirer paisiblement dans l'eau la grotte des Nymphes, grande et grosse roche, ronde par le dehors, au dedans de laquelle se cachaient quelques statuettes en pierre de Naïades ou de Napées, les bras nus,... les cheveux épars sans tresses,... le visage riant et la contenance telle comme si elles eussent ballé ensemble (1). Là, se rendaient les garçons et les filles; ils couronnaient de fleurs les images des Nymphes, non plus par religion, mais par une sorte d'instinct machinal; la douce mythologie, inséparable de toutes les impressions du plaisir, était encore le langage de l'amour; les cœurs demeurèrent longtemps sous la protection de cet enfant jeune et beau, qui a des ailes, et pour celle cause prend plaisir à hanter les beautés ;... qui domine sur les élements, les étoiles et sur ceux qui sont dieux comme lui. Si le rituel de la théogonie grecque est resté inséparable de toutes les formes de la galanterie; s'il constituait, il y a peu de temps encore, ce qu'on appelle poésie et littérature; si Vénus, Cupidon et les Grâces ont été fêtés dans nos chansons, qu'on juge de leur empire sur ceux

(1) Longus, d'Amyot.

dont, la veille encore, ils étaient le culte et la foi. Semailles, moissons, vendanges, tout relevait, comme par le passé, de Cérès, de Bacchus et de Pomone.

« Dans cette pastorale exquise, toute la population des campagnes romaines ou grecques est fidèlement reproduite. C'est un mélange singulier des fleurs idéales de l'imagination. et des hideuses réalités de la vie servile. On y voit le colon, l'esclave, porter un esprit subtil dans un corps robuste, baigné de laborieuses sueurs. L'extrême nonchalance s'allie au travail excessif, une sécurité complète aux périls les plus imminents. Tant que durent la jeunesse et la beauté, l'existence n'est qu'une fête, par la protection souvent coupable d'un maitre. Sous le plus doux ciel du monde, le berger joue de la flûte le long du jour, accoudé sur les rochers et regardant la mer de Sicile. Vienne la vieillesse ou le dégoût du patron, au loisir succède le labeur, à la flûte l'émondoir, à l'indulgence les ergastules et le fouet. La religion n'est plus une croyance, mais une suite de coutumes puériles et gracieuses, renouvelées à des époques précises. Le christianisme ne prit pas d'emblée ces têtes légères, préoccupées de mille petites divinités riantes et protectrices; il s'y insinua doucement comme une clarté sagement ménagée dans des paupières longtemps aveugles et encore débiles.

<< En consultant le roman comme peinture de mœurs, on reconnaît dans Daphnis et Chloé des traces sensibles de la période païenne. La passion n'y est pas toujours délicate dans son langage, ni naturelle dans son objet. Cependant, si les vices qui ont déshonoré la Grèce s'y retrouvent dans toute leur laideur, ils ne s'y montrent plus dans leur audace, ils ne sont plus attribués qu'à des êtres difformes ou ridicules, placés par l'esprit, le cœur et le sang, au dernier degre de l'échelle sociale. La jeunesse imprévoyante et frivole se rit encore de ces aberrations, mais ne les partage plus; Astyle raille Gnathon sans songer à devenir son complice. La révolution opérée dans les mœurs ne se fait encore sentir que par d'imperceptibles nuances; toutefois elle apparaît

évidente dans une autre partie du tableau: Gnathon l'esclave est en plein polythéisme; Astyle, le jeune patron, s'amuse et se divertit encore aux gaietés païennes; les amours naïves et sensuelles des deux bergers flottent entre les deux croyances; mais Cléariste et Dionysophane, le vieux patricien et l'antique matrone, ont déjà la dignité, le calme, la grâce sévère de la famille chrétienne. En croyant les faire païens, Longus, ou l'auteur, quel qu'il soit, de Daphnis, faisait Dionysophane et Cléariste chrétiens à son insu. »

Ce sont de vraies oasis que de telles pages en si grave sujet. Ces restitutions rapides, ces plaisirs de coup d'œil, ces inductions avenantes, font précisément le triomphe et le jeu de la critique littéraire. L'histoire en a profité cette fois, mais elle les admet peu en général; son front, d'ordinaire impassible, ne laisse guère monter jusqu'à lui les mille éclairs sous-entendus et les sourires; - et voilà pourquoi, en pur critique littéraire que je suis, j'ai toujours crainte de m'approcher, comme aussi j'ai peine à juger du masque de cette muse sévère.

1er juillet 1812.

M. DE BARANTE.

1843.

L'abus violent qu'on fait de certains dons, la volonté ambitieuse et bruyante qu'ont marquée certains esprits de conquérir, d'afficher du moins ce qu'ils n'avaient pas naturellement, la perturbation qui s'en est suivie dans les genres les plus graves, bien des circonstances contribuent aujourd'hui à donner un prix tout nouveau et comme un attrait particulier à ces physionomies d'écrivains calmes, modérées, ingénieuses, à ceux qui ont uni l'élévation ou la distinction. de l'idée à la discrétion du tour, qui, en innovant quelque peu à leur moment, n'ont détruit ni bouleversé les grandeurs et les vérités existantes, qui se sont mûris à leur tour dans des applications diverses, et ont su imprimer à l'ensemble de leur vie et de leur œuvre la règle souveraine de la bienséance et une noble unité.

M. de Barante est de nos jours un des rares écrivains dont la carrière, non pas entièrement close, mais tout à fait définie, .se dessine le mieux sous cet aspect. Cette mesure de nouveauté et de retenue, il l'a

tour à tour essayée dans la critique littéraire, et développée plus en grand dans l'histoire; il n'a cessé de l'observer dans la pratique politique. En nous tenant surtout ici au critique et à l'historien, nous avons à toucher plus d'un point délicat et compliqué, assez lointain déjà pour qu'il y ait plaisir et profit à y revenir. C'est d'ailleurs le caractère et la qualité de certains esprits que, tout en atteignant à la réputation méritée, ils ne tombent pas dans les grands chemins et sous les jugements courants de la foule; ils échappent ainsi au lieu-commun de la louange; ils demeurent des sujets choisis. On n'a qu'une manière encore d'en parler avec quelque à-propos, c'est de les bien connaître.

M. Prosper Brugière de Barante est né à Riom en juin 1782, d'une famille ancienne et considérée, qui, sur la fin du XVIe siècle, ne fut pas sans payer son premier tribut aux lettres. Claude - Ignace Brugière (ou Breugière) de Barante, bisaïeul de notre contemporain, était venu jeune à Paris, y avait connu Valincourt, l'ami de Boileau, et aussi Le Sage et Fuzelier, cette arrière-garde légère du grand siècle, ce qui ne l'empêcha pas de retourner vivre chez lui en excellent avocat. Il avait traduit quelque chose d'Apulée, et Goujet, en sa Bibliothèque française (1), mentionne très-honorablement des observations de lui sur les prétendus fragments de Pétrone trouvés à Belgrade. Le jeune amateur de ces deux profanes anciens n'en de

(1) Tome VI, page 203.

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