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CHAPITRE VI

Suite des Réformes financières. Le bail de la Ferme générale et la Liste des Croupiers.

(Septembre 1774.)

L'administration de la Ferme générale et la Liste des Croupiers. furent l'objet d'un examen sévère de la part de Turgot.

On a décrit maintes fois l'organisation des Fermes (1). Par l'importance des services que les fermiers généraux rendaient à l'État toujours obéré, par leur fortune, leur luxe, le nombre de ceux qui vivaient de leurs prodigalités ou de leurs faveurs, par la multiplicité de leurs agents qu'on trouvait partout, depuis le village le plus misérable jusqu'aux somptueux bureaux de la rue de Grenelle SaintHonoré et de la rue du Bouloi, par l'effroi qu'inspirait cette armée de collecteurs assurés d'une impunité à peu près complète, par l'avantage que des lois fiscales obscures et perfides leur accordaient dans tous les procès, la Ferme était une puissance, elle formait un État dans l'État. Malheur au contrôleur général imprudent qui osait toucher à la Ferme!

Turgot l'effraya tout d'abord par sa seule arrivée au pouvoir. << On dit que son projet, racontait la Correspondance Métra, est de tâcher d'avoir une année de revenus dans les coffres du roi, afin de se défaire des fermiers généraux, d'établir ensuite un impôt unique à l'entrée et à la sortie du royaume, et de charger les provinces de verser directement les impositions dans le trésor royal. Amen (3). » C'étaient là, en effet, plusieurs des projets de Turgot divulgués par l'indiscrétion de ses amis; mais il était trop prudent pour vouloir les réaliser dès le premier jour. « On dit que les effets royaux baissent sur la place, et que les financiers meurent de peur, » écrivait l'abbé Baudeau le 16 septembre; mais il ajoutait avec raison: « Ils ont tort; M. Turgot n'est pas assez étourdi pour culbuter sur-le-champ le bail des Fermes, ni les autres arrangements de finances (3). »

Le 11 septembre, Turgot adressa au roi des observations sur la Ferme générale qui ont été récemment retrouvées et publiées (').

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Turgot expliquait d'abord au roi les principales conditions du bail. Il devait commencer le 1er octobre, sous le nom de Laurent David, moyennant 162 millions par an. Les fermiers étaient obligés de fournir 93 millions d'avance. Sur cette avance, 72 millions avaient été successivement portés au Trésor dans les baux antérieurs et avaient été dépensés au fur et à mesure de leur versement; il ne pouvait donc être question de cette somme que pour un versement des nouveaux fermiers aux anciens. Les 20 autres millions étaient destinés aux frais de l'exploitation.

Turgot signalait ensuite les abus qui existaient dans la Ferme générale et exprimait le désir qu'on pût les détruire sur-le-champ; << mais Sa Majesté, ajoutait-il tristement, sera sans doute arrêtée en examinant l'état actuel des choses. » C'était avouer d'avance son impuissance à réformer sérieusement les finances.

<< Les places de fermiers généraux, disait-il, qui devraient être accordées aux seules personnes qui pourraient le mieux les remplir, ont été presque toujours données par la faveur. Celles d'adjoints ont eu le même sort. On a introduit des sujets de la plus grande jeunesse, qui n'avaient jamais travaillé et qui n'avaient aucune aptitude pour les affaires, quoiqu'ils ne dussent être admis que pour fortifier le service et suppléer les titulaires. » Malheureusement on ne peut casser le bail, « ce serait attaquer la propriété, porter la plus grande atteinte au crédit et manquer à des engagements pris par des actes qui font la base de toutes les sociétés. >>

Les Croupes ont donné lieu à plus d'abus encore. Les unes dépendent d'un arrangement entre le titulaire et le croupier : ces arrangements étant volontaires, l'autorité n'y saurait rien changer. Les autres ont été données à des adjoints: ceux-ci, consacrant leur temps et leurs soins à l'administration de la ferme, on ne saurait les exclure non plus. « Les dernières enfin ont été abandonnées, malgré les titulaires, à toutes sortes de personnes qui, par l'argent et l'intrigue, avaient gagné de vils protecteurs ou en avaient trompé de respectables. Ces dernières excitent l'animadversion générale, et si le roi pouvait disposer de 10 millions, il serait bien simple de les rembourser. » Mais l'État est dans l'impossibilité de trouver cette somme. D'ailleurs, les fonds qui proviennent de ces Croupes doivent être portés à la caisse de la ferme le 1er octobre, « et les plus légères inquiétudes inspirées aux prêteurs devant retarder et même empêcher la remise de ces fonds, on est forcé de laisser subsister l'arrangement qui a été fait. »

Que dire des Pensions? « Elles se présentent sous un aspect plus défavorable encore que les Croupes..., elles sont une charge absolue » pour l'État. << Cependant, en examinant le détail de ces pensions, on leur trouve pour motif ou des services récompensés, ou des secours

accordés à des besoins urgents, ou enfin des dons qui tendent à diminuer les dépenses des maisons des princes; ainsi il n'y a sur ces pensions que la forme de condamnable. » Quant à celles qui sont absolument inavouables, « il faudrait discuter les manœuvres qui les ont fait obtenir, les mœurs de ceux qui les possèdent, et cette discussion, aussi pénible à ceux qui en seraient chargés qu'humiliante pour ceux qui en seraient l'objet, exciterait beaucoup de murmures... il n'en résulterait pas un bénéfice de 60,000 livres..., enfin la volonté du roi (Louis XV), quoique surprise, paraît les avoir consacrées. >>

Un dernier abus s'est glissé dans la nomination aux emplois de la Ferme. « A chaque bail on a promis que les fermiers généraux disposeraient de leurs emplois; mais la cupidité qui vend comme elle achète tout, a rempli les places de sujets indignes qui, pour regagner ce qu'il leur en avait coûté, volaient le roi, le public et le fermier. »

Tel est le tableau des vices d'organisation de la Ferme générale présenté par Turgot au roi. Tout en reconnaissant que pour le moment il n'y a presque rien à faire, parce qu'il faudrait tout changer, il ne renonce pas à des améliorations pour l'avenir, et veut au moins empêcher les abus de se reproduire. Il propose donc au roi des réformes ou plutôt des principes d'administration qui, progressivement appliqués à la Ferme, y ramèneront l'équité, la règle et la décence. Louis XVI les approuva, et Turgot les porta à la connaissance des fermiers généraux dans une lettre que nous analysons plus loin.

Un dernier détail : Louis XV n'avait pas dédaigné de partager les profits des fermiers généraux; il s'était réservé quatre quarts dans les croupes du dernier bail. Louis XVI n'avait pas voulu de ces tristes bénéfices. Il les avait attribués à son valet de chambre Thierry, et les avait remis à l'abbé Terray. Turgot lui proposait, en terminant son mémoire, de donner « par son exemple la plus grande force à la juste répartition des croupes et de distribuer ces quatre quarts dont il ne voulait pas entre ceux des fermiers généraux ou adjoints qui n'avaient pas leurs places entières et qui réunissaient le plus de titres pour être récompensés. » Louis XVI écrivit de sa main au bas du mémoire : « Approuvé »; mais il ajouta : « Il y a deux quarts dont j'ai disposé. » Il les garda sans doute pour Thierry, et abandonna les deux autres à la combinaison que proposait Turgot.

Nous possédons la liste des croupiers d'après le bail des Fermes, tel que l'abbé Terray l'avait arrêtée (1). Turgot se la fit représenter et la montra au roi.

Les 60 places de fermiers généraux étaient évaluées, avec les

(1) Mém. sur Terr, 241-250.

bénéfices du bail, à 100,000 livres par an en moyenne, soit 6 millions en tout. Les pensions et les croupes s'élevaient à un total de déductions de 1,980,000 fr., près du tiers de ce revenu.

Cinq fermiers généraux avaient place entière, sans croupes ni pensions. Dix-sept avaient place entière, mais leurs places étaient grevées de pensions. Trente-huit avaient à la fois sur leurs places des croupes et des pensions.

Les 17 fermiers de la deuxième catégorie payaient 251,000 fr. de pensions. Parmi les noms des pensionnaires inscrits, on remarque: Bordeu, médecin de Mme Dubarry, 6,000 fr.; la Dauphine (MarieAntoinette, depuis reine de France), 6,000 fr.; - Madame Adélaïde et Madame Sophie, filles de Louis XV, chacune 6,000 fr.;- Mlle Canivet, chanteuse du concert de la reine, 2,000 fr.; la famille du contrôleur général (Terray), 20,000 fr.; - Sénac (de Meilhan), intendant de Provence, et sa femme, à eux deux, 48,000 fr.

Les 38 fermiers de la troisième catégorie payaient 149,000 fr. de pensions, et jusqu'à 1,580,000 fr. de croupes. Parmi ces pensionnaires et croupiers se trouvaient: l'abbé Voisenon; un protégé de Trudaine; un notaire de l'abbé Terray; -un dentiste; le marquis de Ximénès; - Mme Giambone (femme d'un banquier), qui avait été au Parc-aux-Cerfs; - Mme de Fourvoye, maîtresse du comte de Clermont; - Mme d'Amerval, fille naturelle de l'abbé Terray; Destouches, rédacteur du bail; la famille de Pompadour; - des protégés de Mme Louise (fille de Louis XV, religieuse carmélite); — des protégés de Mme Victoire (autre fille de Louis XV); Lavoisier; - l'intendant de Mme Dubarry; - Mme de Cavanac (Mile Romans, ancienne maîtresse de Louis XV); le marquis de Chabrillant, gendre du duc d'Aiguillon; la jolie Mme de Saint-Sauveur (femme du maître des requêtes de ce nom); - enfin, le roi.

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Il est difficile de savoir exactement ce que touchait chaque croupier. En effet, la liste porte souvent cette simple indication : 1, 1, 1, 1, 1, ce qui voulait dire : part égale à la moitié, an tiers, au quart, au huitième ou au dixième des revenus du fermier. Cependant la somme à percevoir est indiquée quelquefois, et ces indications nous révèlent à la fois l'énormité de plusieurs de ces croupes et l'énormité des bénéfices de certains fermiers généraux, car ils étaient loin d'avoir tous des capitaux égaux engagés dans l'entreprise commune (1).

Ainsi, le fermier Tronchin donnait à son neveu, à M. d'Épinay, à Mme d'Épinay, et ce se composait de 96,000 fr. pour elle et de 30,000 fr. pour ses enfants. Le de Tronchin était donc de 126,000 fr., et la famille d'Épinay tout entière émargeait à elle seule 252,000 fr. Bouilhac, autre fermier général, touchait 520,000 fr.

(1) Ch. Louandre; Monteil, Hist. fin., 235-238.

La liste des croupiers fut donc mise sous les yeux du roi. Sur les représentations de Turgot, il prit la résolution de ne plus accorder à l'avenir aucune de ces faveurs particulières à des personnes étrangères à la Ferme générale. Par respect pour les volontés de Louis XV, qui n'avait pas craint d'inscrire les demoiselles du Parc-aux-Cerfs à côté de ses propres filles (1), mais qui était roi alors et grand-père de Louis XVI, par déférence pour le désir de Louis XVI lui-même, qui se faisait scrupule de rien changer aux désirs de son aïeul, par esprit de justice enfin, Turgot voulut bien que les croupes existantes fussent respectées, mais il obtint qu'à l'avenir il n'en serait pas créé d'autres.

Il écrivit dans ce sens aux fermiers généraux le 14 septembre. Dans cette lettre, d'un ton ferme et sévère, il déclarait en outre que les fermiers et leurs croupiers qui n'auraient pas fourni la totalité de leurs fonds à l'époque voulue, seraient privés de la portion d'intérêt correspondant au déficit de ces fonds. Il remédia encore à un autre abus. Des pensions déguisées sous le nom d'adjonctions étaient accordées à de prétendus adjoints aux fermiers généraux, et ces adjoints, en réalité, n'ayant aucune connaissance financière, ne s'occupant jamais de leur charge, ne rendaient aucun service à l'administration; ils se contentaient de toucher les émoluments de fonctions purement fictives. Turgot fit savoir qu'à l'avenir il ne serait plus accordé d'adjonctions que sur la demande des fermiers généraux eux-mêmes, et seulement pour les sujets utiles à leur régie, et qui eussent rempli avec distinction les places de directeurs généraux de France (*).

Turgot se prononça en même temps sur un point de droit qui intéressait à la fois la compagnie et le public. Il se déclara l'ennemi de toute extension, c'est-à-dire du système qui consistait à interpréter en faveur de la Ferme toute obscurité des lois fiscales. Il prit au contraire pour règle de conduite de se prononcer, dans les cas douteux, contre la Ferme, en faveur de ceux que nous appelons aujourd'hui les contribuables.

Fourqueux (*) et Trudaine (*) l'aidèrent dans la tâche pénible de suivre les procès relatifs aux Fermes générales, se portant en première instance devant les intendants en province, devant le lieutenant de police à Paris, d'où, par appel, en conseil. Malheureusement Trudaine tomba bientôt malade, et fut obligé de voyager pour changer d'air, et Fourqueux se trouva chargé seul avec Turgot de tout ce travail (").

H. Martin, Hist. Fr., XVI, 340.

Eur. de Turgot. Ed. Daire, II, 432. — Dup.

Nem., Mém., II, 25-36.

(3) Il faisait partie de la commission ordinaire du conseil pour les Fermes.

(4) Parmi bien d'autres services, il avait les Fermes dans ses attributions d'intendant deş finances.

(5) Dup. Nem., Mém.. II, 29.

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