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le compte du roi, avec lequel aucun négociant ne veut entrer en concurrence. » Turgot, ajoute-t-il, donna les assurances les plus formelles que « le roi ni l'administration ne se mêleraient plus du commerce des blés »; il fit vendre successivement et au cours du marché, pour ne pas donner de secousses aux prix naturels, environ 170,000 setiers de blé «qui s'étaient trouvés dans les magasins de la Compagnie qui avait eu les commissions du roi »; il fit louer les magasins et les moulins de cette compagnie, et il parvint à assurer ainsi une rentrée de 4 millions au Trésor (1).

Dès lors, la commission pour les blés ne figura plus à l'Almanach royal. Albert avait remplacé Brochet de Saint-Prest comme intendant du commerce. On n'inscrivit plus dans les attributions de son département cette expression vague « les grains ». On la remplaça par ces mots significatifs: « La correspondance relative aux subsistances. » Le gouvernement ne se déclarait pas indifférent à l'abondance ou à la disette; il s'enquérait de l'état des subsistances, assurait la liberté, la sécurité, la facilité du commerce des grains; mais il ne commerçait plus, il n'accaparait plus, sous prétexte de prévoyance. Il s'informait, il surveillait, rien de plus.

C'est ainsi que Turgot ramena à des limites honnêtes et raisonnables la scandaleuse administration des approvisionnements. Un des premiers effets de cette réforme fut de faire baisser le prix du blé (*).

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Il nous reste à parler d'autres services publics, avouables et déjà utilement organisés, dont Turgot était le chef naturel.

Comme contrôleur général, il portait le titre de « Directeur général des ponts et chaussées de France, du barrage et entretenement du pavé de Paris, des turcies et levées, pépinières royales et ports de commerce. » En cette qualité, il dirigeait le service des ponts et chaussées. Trudaine en avait le « détail ». Le premier ingénieur des ponts et chaussées était le célèbre Perronet (3), directeur de l'école des ponts et chaussées, auteur du pont de Neuilly, du pont de Louis XVI (aujourd'hui pont de la Concorde) et de beaucoup d'autres travaux. Il y avait, en outre, quatre inspecteurs généraux, un premier commis et des bureaux sous les ordres directs de Trudaine, deux trésoriers généraux, quatre contrôleurs généraux, un contrôleur

Dup. Nem., Mém., II, 41.

La joie du peuplé en fut très vive. Voir Chr. sec. de Baud. 31 août 1774, 408.

(3) Et non Peyronnet. - · Condorcet écrivait à Turgot en 1774: « Vous ne devez avoir aucune confiance aux gens des ponts et chaussées. Peyronnet voulait l'autre jour faire l'aqueduc

d'Yvette en forme d'escalier. » Condorcet avait-il parfaitement compris le projet de Perronet? On pourrait en douter. Il est constant d'autre part que le projet de Perronet fut repoussé. L'aqueduc d'Yvette a été remplacé par le canal de l'Ourcq. Il serait mal aisé de se prononcer.

et un inspecteur général du pavé de Paris, trois ingénieurs des turcies et levées, enfin trente-deux ingénieurs dans les provinces.

Le « commerce et les manufactures » avaient aussi leur administration à part, mais sous la direction du contrôleur général. Le « détail » en était attribué à Trudaine également. Il avait sous ses ordres quatre inspecteurs généraux et quarante-neuf inspecteurs des provinces. Les inspecteurs généraux étaient : Holker père, déjà en relation avec Turgot, en Limousin, en 1764 (1); Holker fils, qui avait été adjoint à son père; Abeille, dont il est question plus bas, et Cliquot Blervache, dont nous avons déjà parlé (*).

Les « députés des villes et des colonies pour le commerce » formaient une sorte de corps délibérant et de comité consultatif. Ils s'assemblaient le mardi et le vendredi chez Abeille, secrétaire du bureau du commerce. Abeille était un homme capable et « propre à la chose », suivant l'expression de Morellet (3). Les villes, provinces et colonies représentées, étaient : Lille, Paris, Lyon, Rouen, Amiens, Saint-Domingue et les Iles sous le vent, le Languedoc, Bordeaux, la Guadeloupe, la Martinique, Bayonne, La Rochelle, Saint-Malo, Nantes et Marseille.

Les payeurs des rentes de l'hôtel de ville », l'« hôtel des monnaies », le « trésor royal » confié à la garde de « trésoriers des deniers royaux », les receveurs des tailles, vingtièmes, etc., l'immense administration de la ferme, formaient autant de services isolés, mais en relations constantes et forcées avec le ministre des finances.

Enfin, il entretenait aussi des rapports, parfois peu amicaux d'ailleurs, avec les cours de justice administrative, les cours des aides, les cours des monnaies, les chambres des comptes, les bureaux des finances, les chambres du domaine et les tribunaux d'élections (*). Les chambres des comptes avaient, en apparence, une très haute importance, puisqu'elles devaient surveiller l'emploi des deniers publics, et contrôler, par conséquent, le contrôleur général lui-même. En réalité, elles vérifiaient seulement les comptes que le gouvernement voulait bien leur soumettre, et il va de soi qu'il ne les livrait pas tous. Cependant, un usage traditionnel voulait que chaque contrôleur général, à son entrée en fonctions, rendît visite à la cour des comptes de Paris, afin d'être installé par elle. Turgot se conforma à l'usage. Baudeau résume ainsi sa visite, qui eut lieu le 31 août : << Les gens de finance se jettent à la tête du contrôleur général, qui » a été reçu ce matin à la chambre des comptes; il a promis de >> l'économie dans les dépenses et de l'ordre dans les recettes, à » l'effet 1° de soulager le peuple de ce qu'il y a d'onéreux dans

(1) D'Hugues, Turg. Int. de Lim. 183. (2) V. Introduction: Amis de Turgot.

(3) Morell., Mém., I, 181.

(4) Des rapports indir. avec les parlements.

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» l'impôt; 2° de remplir avec une fidélité inviolable les engagements » du roi; 3o d'éteindre peu à peu la dette nationale. Le discours a plu. Dieu veuille que les trois points soient bien remplis. Amen (1). La chambre des comptes de Paris avait alors pour premier président Nicolaï, magistrat intègre, mais hostile aux idées de Turgot (2). A la chambre des aides, en revanche, était Malesherbes, qui ne tarda pas à prêter un concours actif à son ami, d'abord en publiant des Remontrances restées fameuses, un peu plus tard en entrant lui-même au ministère.

Nous venons de passer rapidement en revue l'organisation du contrôle général en 1774, les divers services qui s'y rattachaient, les hommes qui entouraient le ministre, l'épuration qu'il fit subir au personnel placé directement sous ses ordres (").

Pour nous rendre maintenant un compte exact de l'état des finances à cette époque, et comprendre les premières mesures financières de Turgot, il est bon de revenir en quelques mots sur les derniers mois de l'administration de l'abbé Terray.

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CHAPITRE V

Premières réformes financières.

Les Budgets de 1774 et de 1775.

(Août et Septembre 1774.)

Si l'abbé Terray resta plus de trois mois au pouvoir après la mort de Louis XV, c'est qu'il était habile et tenace. Il avait cherché à faire revenir la nation sur son compte, ce qui, à la vérité, n'était point facile. Il s'était efforcé de plaire au nouveau roi. On avait entendu ses émissaires répétant partout, comme par un mot d'ordre, <«< que, tout bien considéré, il valait encore mieux laisser l'abbé Terray en place, qu'on savait bien que c'était un roué, dangereux et terrible sous un prince comme le feu roi, mais capable de se ployer à tout, et de devenir honnête homme sous un roi qui le serait; qu'on ne pouvait pas lui contester une rare capacité, et qu'il était à craindre que l'impéritie de son successeur ne fit autant de mal qu'en avait produit sciemment ce ministre prévaricateur. >> Ces discours n'avaient pas été sans effet sur mille gens aisés à séduire par des sophismes. En même temps, la Bourse, thermomètre de l'estime et de la confiance publique pour le ministère, montait rapidement grâce aux manœuvres des agents de change qui étaient aux ordres de l'abbé Terray. Dans le Conseil, l'abbé Terray prêchait l'économie, parlait de justice et d'humanité. Il proposait au roi la remise du droit de joyeux avénement et voulait rédiger lui-même le préambule de l'édit. Il y promettait aux créanciers de l'État le paiement exact des arrérages et remboursements annoncés. Il y manifestait hautement l'intention de soulager le peuple d'une partie du poids des impôts. Un accident fortuit venait le servir aussi : la Compagnie des blés ayant fait banqueroute, vendit à perte, et le prix du pain diminua (1).

Les succès de l'abbé Terray ne furent pas de longue durée. On a vu que toute sa finesse et toute son audace ne servirent qu'à retarder sa disgrâce. Examinons quelle situation financière il léguait à Turgot.

D'après un très long tableau de la recette et de la dépense qui fut trouvé dans les papiers de Terray, la recette nette présumée pour 1774 était de 206,992,524 fr., la dépense de 234,220,000 fr., le déficit

(1) Mém. s. Terr., 218-227.

de 27,227,476 fr. Les déductions dépassant 160,000,000 fr., la recette brute était de plus de 360,000,000 fr. (1).

Ces chiffres nous permettront de réduire immédiatement à sa juste valeur une assertion chère aux partisans de Terray et que des auteurs sans discernement comme Weber ont pris la peine d'enregistrer:

« L'abbé Terray, dit-il, causant dans sa retraite avec ses proches, prétendait avoir trouvé en arrivant au contrôle général un déficit annuel de 60 millions, et 13 mois des revenus royaux consommés par anticipation. A force d'injustices, de banqueroutes, de spoliations, il était parvenu, selon ses calculs, à combler le déficit, moins 5 millions. Il en avait laissé 57 au Trésor, outre 14 en réserve pour les besoins imprévus. Les anticipations étaient réduites à 3 mois. Il avait fourni aux dépenses accoutumées, à des préparatifs de guerre, à la circonstance de trois mariages et à beaucoup d'autres frais extraordinaires qui devaient rester secrets (2).

On remarquera deux choses dans cette apologie timide de Terray: le cynisme de l'abbé, qui avoue ses « injustices, banqueroutes et spoliations », et son mépris absolu pour la vérité.

Le déficit, dit-il, était comblé, moins 5 millions. Comment donc ses papiers en avouent-ils 27?

Il laissait, ajoute-t-il, 57 millions au Trésor et 14 autres millions en réserve, en tout 71 millions. C'est possible, mais il laissait ces millions en caisse le 24 août 1774. Il s'en manquait donc de quatre mois et plus que l'année ne fût terminée. Ne fallait-il pas vivre pendant ces quatre mois? Si l'on évalue, d'après les chiffres mêmes fournis par Terray, la dépense moyenne de chaque mois à 17 ou 18 millions, c'est justement 70 ou 71 millions que la caisse devait contenir pour subvenir aux nécessités de cette fin d'année. On voit à quoi se réduisent par ce simple calcul les forfanteries de Terray.

Encore n'est-ce là qu'une partie de la vérité. « L'état au vrai de 1774 montre que la recette (brute) ne fut pour cette année que de 276,734,342 fr., et que la dépense monta en acquits patents à 202,143,112 fr., en acquits au comptant à 47,537,245 fr., en remboursements et paiements extraordinaires à 75,628,461 fr.; ce qui donne un déficit de 48,574,476 fr., couvert par les anticipations (3). »

Ainsi les comptes de Terray étaient fictifs; il dissimulait 80 millions de perte sur la recette, et plus de 120 millions de hausse sur la

(1) Comptes-rendus de finances, publiés par Mathon de La Cour.

(2) Web., Mém., II, 83. Pierre Clément, dans sa Biographie de Terray (p. 411), rapporte une assertion semblable de Linguet (Ann., III, 179 et VI, 390): « Comme l'abbé Terray prétendit avoir laissé dans les caisses du Trésor, en se retirant, environ 56 millions soit en argent soit en valeurs representatives, Linguet comparait ce ministre à Sully, ajoutant que Turgot

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