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Il considérait comme fâcheux et abusif l'emploi d'officiers de plume dans l'administration de la marine, et il voulait les remplacer par des employés civils (1).

Il s'occupait avec sollicitude des colonies. Il restituait à un officier de talent, Bory, le gouvernement général de Saint-Domingue qui lui avait été injustement enlevé (*).

<< Les gens des colonies, écrivait Baudeau, paraissent fort contents du bon Turgot, qui leur fait payer le courant des lettres de change qui leur tiennent lieu de monnaie dans ce pays-là; qui écoute tout le monde avec attention et intérêt et qui témoigne la meilleure volonté possible (3).

Il avait pour nos colonies tout un plan d'améliorations et de réformes. Il pensait qu'elles sont indispensables à un grand État, parce qu'elles offrent un asile à l'excédant de la population, parce qu'elles forment des provinces nouvelles qui s'ajoutent naturellement aux autres. Il voulait qu'on favorisât le plus possible leur accroissement, car les colonies faibles et qui ne se suffisent point à elles-mêmes sont un fardeau. Il blâmait la politique coloniale des Anglais, égoïste, injuste, vexatoire. Il était partisan convaincu de la liberté du commerce des colonies. Il croyait possible la culture du sol colonial par des hommes libres, et projetait d'affranchir progressivement les esclaves. Redoutant une guerre maritime avec l'Angleterre, il pensait que le sort définitif en serait décidé dans l'Inde, et que là était le « nœud de la question», mais que les Français devaient se borner dans ce pays à exercer un protectorat sur les États indigènes. Il détestait le système d'administration fiscale en vigueur dans les colonies. Il voulait faire des îles de France et de Bourbon des ports absolument francs, ouverts à toute nation; y établir la liberté du commerce et la liberté de conscience la plus entière; y appeler des colonies indiennes, chinoises, hollandaises (*).

On voit quelle était la hardiesse des vues de Turgot en matière de commerce maritime et d'administration coloniale. Beaucoup de mesures dont il a rêvé l'application sont aujourd'hui heureusement passées dans la pratique (3).

Déjà il se préparait à faire l'essai de ses projets dans l'une de nos colonies les plus importantes, l'île de France : « Le choix de celui qui devait diriger dans cette île les établissements et les institutions qu'il y croyait nécessaires, était déjà fait. Il avait même reçu ses

(1) Dup. Nem., Mém., 123.

(2) Mém. sur l'adm. de la marine, de Bory, 49. (3) Chr. sec. de l'abbé Baud. Rev. rétr., fre s., III, 401.

(4) Dup. Nem., Mém., 126-135.

(5) Il s'en faut que ses opinions fussent admises géneralement. Le 16 août 1774, les

directeurs du commerce de la province de Guyenne se plaignaient à Turgot de la concurrence étrangère faite à leur trafic dans les iles. La plupart des commerçants pensaient alors comme ceux de Bordeaux. Lettres miss. de la Chamb. de comm. de Bord., 6e registre, Arch. dép. de la Gironde.

premières instructions de la main de Turgot, » dit Dupont de Nemours (1). Nous avons tout lieu de croire que la personne chargée de cette mission de confiance n'était autre que Bernardin de SaintPierre.

Après une vie agitée, Bernardin de Saint-Pierre était venu se fixer à Paris, où il avait fait la connaissance des encyclopédistes. Il avait publié en 1773 un Voyage à l'île de France. Il était reçu chez Mile de Lespinasse, il était son ami (2). Il était devenu aussi celui de Condorcet. Nous trouvons dans la correspondance de tous deux plusieurs requêtes adressées à Turgot en faveur du chevalier de Saint-Pierre. Celui-ci demandait à faire un voyage pour reconnaître le golfe Persique, la mer Rouge et les bords du Gange. Il ne sollicitait du reste d'autre récompense que la direction d'un jardin d'acclimatation pour les plantes des pays chauds établi à Hyères (3). Turgot paraît n'avoir guère connu Bernardin de Saint-Pierre que par son Voyage à l'île de France, et cet ouvrage ne lui avait pas plu outre mesure. Il était séduit pourtant par l'originalité sentimentale et chagrine d'un esprit voisin de celui de Rousseau. « Il y a un peu de Jean-Jacques dans son affaire, lui écrivait Condorcet, et vous ne haïssez pas Jean-Jacques (*). » Sa réponse aux amis du naturaliste se trouve dans un fragment de lettre tout intime datée de Compiègne, 17 août. « Je ne crois pas trop possible ce que me propose M. de SaintPierre, dit Turgot, mais je chercherai sûrement à l'employer (3). » Il est probable, en effet, qu'il songeait à l'utiliser comme gouverneur de l'île de France, lorsqu'il fut lui-même nommé contrôleur général, ce qui fit manquer toute l'affaire.

Ce ne fut pas, on le pense bien, la seule requête que reçut Turgot pendant ce ministère d'un mois. Des solliciteurs surtout, on peut dire qu'ils se nomment légion. Dans le nombre il y en a un que nous pouvons citer, parce que Turgot lui fit l'honneur de lui répondre, et qu'il le méritait.

Un M. de Grignac, de Saint-Dizier, chevalier de l'ordre de Saint Michel, ami de Buffon, antiquaire et physicien distingué, avait découvert en 1773 près de sa ville natale, sur la petite montagne du Châtelet, une ville souterraine. Il reçut du roi pour cette découverte une récompense de 2,000 fr. et commença bientôt la publication d'un bulletin des fouilles qu'il dirigeait. Il envoya cet écrit à plusieurs personnes et notamment à Turgot. Il priait en même temps le gouvernement de l'aider dans les recherches qu'il avait entreprises

(1) Dup. Nem., Mém., 135.

(2) Euv. posthumes de Bern. de Saint-Pierre; Essai sur sa rie, par Aimé Martin.

(3) Cond.. Eur. Ed. Arago, I, 244.

(4) Id.. I. 216.

(5) Id., I, 248, note. L'éditeur de Condorcet

ajoute: «M. Aimé Martin, dans la biographie formant le 1er volume des œuvres de Bernard. de Saint-Pierre, ne paraît pas avoir eu connaissance de toute cette affaire. Il représente Condorcet comme l'ennemi le plus redoutable et le plus acharné de Bernard, de Saint-Pierre. »

sur la physique des forces. Turgot trouva le temps de lui répondre une lettre polie et bienveillante (1).

Tel fut le passage trop court de Turgot à la marine. En songeant à ses vastes projets, et en voyant le peu qu'il a pu faire, on est tenté de s'associer aux sentiments de Dupont de Nemours regrettant qu'il ne soit pas resté dans ce ministère. Ce poste, « moins orageux, moins sujet que celui des finances aux influences de Paris et de la cour, ne l'exposait pas aux mêmes revers, » dit-il (2). Soit; mais il ne lui permettait pas non plus de tenter une application complète de ses idées, et une grande expérience eût manqué à l'histoire : celle de la tentative impuissante d'une réforme politique, quinze ans avant la Révolution française.

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CHAPITRE II

Turgot est nommé Contrôleur général des Finances.

(24 août 1774.)

Sous un roi vertueux, conseillé par un ministère d'honnêtes gens tels que Turgot, Muy et Vergennes, l'abbé Terray était resté contrôleur général : chacun s'en étonnait. Dès le 16 juillet, on peut lire dans les mémoires secrets dits de Bachaumont : « On s'impatiente de ne pas voir dans le ministère des changements dont on se flattait. Depuis la démission du duc d'Aiguillon, tout est au même état... (1). » L'abbé Baudeau n'est pas plus patient que le public. Il écrit le 31 juillet: « Il y a tout lieu d'espérer que le bon Turgot aura voix au chapitre sur la nomination du futur contrôleur général. En attendant, l'abbé embrouille et gaspille tout; à la fin peut-être justice sera faite (). » Le 6 août : « Toujours l'abbé Terray prêt à partir, et il ne part jamais. Les fripons en tout genre ont une peur terrible que le Turgot ne parvienne aux finances (3). » Le 23 août : << Tout Paris attend une nouveauté pour le jour de la Saint-Louis, fête du roi. Le public s'est mis dans la tête que, pour lui payer son bouquet, le jeune roi lui fera présent du contrôleur général et du chancelier (*). » Louis XVI fit à son peuple le présent qu'il attendait. La cour était à Compiègne, tout occupée des fêtes données par l'ambassadeur d'Espagne (5). Le roi n'y prenait point part et travaillait. Décidé à renvoyer Terray, il lui cherchait un successeur. Maupeou, qui était encore chancelier, mais dont le renvoi était résolu, avait déjà indiqué Turgot au roi « comme l'homme le plus propre à consoler les Français de la désastreuse administration financière de l'abbé Terray ().» Maurepas, consulté à son tour, proposal également Turgot (). Maurepas avait ses raisons. Turgot, nous l'avons vu, lui avait été recommandé; Turgot était populaire. En le désignant, Maurepas espérait recueillir des applaudissements pour son compte; il les aimait. Turgot était bon administrateur, ce qui ne pouvait nuire. Enfin Turgot était un homme nouveau sans attache à la cour;

(1) Mém. sec., Bach., VII, 217.

(2) Chr. sec., abbé Baud. Rev. rétrosp., 1re s.; III, 379. (3) Id.. 382.

(4) Chr. sec., Baud., Rev. rétr., 1re s., III, 400. (5) Mar.-Ant., d'Arn. et Geff., II, 235.

(6) Georgel, Mém., I, 370-381.

(7) D'Allonville, Mém. sec., I, 110.

il ignorait les cabales, les intrigues, et l'art de s'y mèler habilement; il était gauche, novice. Maurepas non seulement ne redoutait pas en lui un rival d'influence, mais il comptait lui imposer sa protection et sa tutelle.

Avant d'accepter Turgot comme ministre des finances, Louis XVI consulta la reine. «Il vint une après-midi la trouver dans son cabinet et lui confia toutes les raisons qui existaient pour et contre le chancelier et le contrôleur général. La reine écouta tout, mais elle ne se permit aucune remarque (1). » Son silence équivalait à une approbation. Turgot était pour elle un inconnu et un indifférent. Le roi se décida à agréer Turgot.

Maurepas fut chargé de lui offrir le poste nouveau qu'on lui destinait. Le premier mouvement de Turgot fut de refuser. Effrayé de l'étendue de la tâche qu'il aurait à remplir, il pressentait les souffrances et les périls d'une lutte inévitable. Enfin, vaincu par les sollicitations pressantes de Maurepas, il prit son parti et accepta (2).

<< Lorsqu'il alla remercier le roi, le roi lui dit : « Vous ne vouliez >> donc pas être contrôleur général? Sire, lui dit Turgot, j'avoue à » Votre Majesté que j'aurais préféré le ministère de la marine, parce » que c'est une place plus sûre, et où j'étais plus certain de faire du >> bien; mais dans ce moment-ci ce n'est pas au Roi que je me donne, » c'est à l'honnête homme. » Le roi lui prit les deux mains et lui dit : « Vous ne serez point trompé. » Turgot ajouta : « Sire, je dois >> représenter à Votre Majesté la nécessité de l'économie, et elle doit » la première donner l'exemple; M. l'abbé Terray l'a sans doute déjà » dit à Votre Majesté. — Oui, répondit le roi, il me l'a dit, mais il ne » me l'a pas dit comme vous. » Tel fut, d'après Mlle de Lespinasse l'entretien de Turgot et du roi, et elle continue: « Tout cela est » comme si vous l'aviez entendu, parce que M. Turgot n'ajoute pas un » mot à la vérité. Ce mouvement de l'âme, de la part du roi, fait toute » l'espérance de M. Turgot, et je crois que vous en auriez comme lui (3). » D'après Bailly, qui cite Montyon, Louis XVI aurait tracé lui-même à Turgot le programme de son administration financière. Il lui aurait dit: << Surtout point de banqueroutes, point d'augmentation d'impôts, point d'emprunts. Pour remplir ces trois points, il n'y a qu'un moyen, c'est de réduire la dépense au niveau de la recette, et même

(1) Mar.-Ant., d'Arn. et Geff., II, 237.

(2) Les temoignages sont ici contradictoires. L'abbé Baudeau prétend que Turgot ne put résister au Roi qui le pressa de prendre le gouvernement de ses finances (Chr. sec., 402). Il n'est guère conforme à l'étiquette que le roi se soit donné cette peine. D'ailleurs le mot: Vous ne vouliez donc pas être contrôleur général?» contredit formellement l'assertion de Baudeau. Condorcet, d'autre part, prétend que Turgot se montra joyeux de quitter le ministère de la marine. Condorcet oublie de

nous dire si la joie qu'il éprouva fut l'effet do la première impression. Nous inclinons à croire qu'elle fut seulement le résultat de la réflexion, après l'entrevue avec le Roi. Nous suivons de préférence, pour toute cette affaire, le récit de Mile de Lespinasse; elle était l'amie intime de Turgot qu'elle voyait presque tous les jours, et c'est de sa bouche même qu'elle apprit les détails de l'événement. Ajoutons qu'elle les écrivit sur-le-champ.

(3) Lettre de Mlle de Lespinasse à M. de Guibert, du 29 août 1774.

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