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d'aliénés, laquelle se prend à vouloir guérir l'un deux, l'un des moins atteints, et ne réussit qu'à lui inspirer un sentiment que peut-être elle partage. Il se croit guéri, il la demande à son père qui la refuse. Le père est tué par le jeune homme dans un accès de fureur. Elle-même finit par se faire sœur de charité dans l'éta- . blissement où le pauvre insensé achève de mourir (1).

Employé bientôt dans une plus lointaine ambassade, et passé de Turin à Pétersbourg, si brillant et si flatteur que fût le succès personnel qu'il y obtint, M. de Barante n'a pas été sans éprouver durant quelques années cette tristesse de voir finir les saisons loin de son pays, loin des relations contemporaines qui furent chères et qu'on ne remplace plus. Du moins il a dû à cet éloignement de ne pas assister de près aux déchirements de ces mêmes amitiés, de n'y prendre aucune part, de les pouvoir garder toutes en lui avec une inviolable fidélité. Réimprimant en 1829 son ancienne brochure Des Communes et de l'Aristocratie, il s'était félicité d'en retrancher ce qui tenait aux controverses antérieures des partis : « Il y a un grand contente<«<ment, disait-il, à supprimer les vivacités d'une vieille « polémique, à se censurer soi-même; à se trouver en <<< harmonie avec des hommes honorables dont autre «< fois on était plus ou moins divisé; à se sentir plus << toléré et plus tolérant; à reconnaître qu'autour de soi << tout est plus calme dans les opinions et les souve

(1) Sœur Marguerite se trouve au tome III des Mélanges historiques et littéraires de l'auteur (1835).

«nirs. » Ce passage dut plus d'une fois lui revenir en mémoire, ce me semble, avec le regret de penser qu'il ne se rapportait pas également à d'autres, et qu'à mesure que les choses étaient réellement plus calmes, les esprits des amis entre eux devenaient précisément plus aigris. Quant à lui, dans ses retours et ses séjours en France, il maintient ce rôle honorable et affectueux qui fait oublier le politique et qui sied à l'ami des lettres. Toutes les fois qu'il a dû prendre la parole dans des solennités publiques (et il l'a fait récemment en plusieurs occasions), on a retrouvé avec plaisir son esprit ingénieux et grave; l'idée morale, la disposition religieuse, qu'il a témoignée de tout temps, semble même prévaloir en lui avec les années, et rien n'altère cette sorte d'autorité légitime qu'on accorde volontiers, en l'écoutant, à l'écrivain éclairé, à l'homme de goût et à l'homme de bien.

15 mars 1843.

M. THIERS.

1845.

Nous sommes bien en retard avec M. Thiers: il est à la veille de publier son Histoire du Consulat et de l'Empire, et nous ne lui avons pas encore payé l'examen qui lui est dû comme à l'historien le plus populaire de la Révolution, au publiciste le plus habile et le plus considérable qu'ait porté la presse libérale des quinze ans. Nous allons tâcher de le faire ici, en nous tenant pour plus de simplicité à l'écrivain, et en laissant en dehors l'orateur et l'homme politique qui a grandi depuis, et qui s'est de plus en plus développé à travers des phases diverses, et qui n'a pas encore donné son dernier mot. M. Thiers, à dater du jour de șon arrivée d'Aix à Paris jusqu'au manifeste du National le 27 juillet 1830, c'est là notre sujet pour le moment; et le sujet est riche, il est attrayant et varié, il prête déjà, dans ces limites où nous le circonscrivons aujourd'hui, à un jugement d'ensemble, à un jugement impartial, incontestable, bien actuel pourtant, et dont plus d'un trait se reflétera sur les circonstances présentes de ce mer

veilleux esprit, si fécond chaque jour en preuves nouvelles. La carrière de M. Thiers se partage en deux moitiés distinctes, et il a su déjà se faire tout un passé; et à travers tout, comme jet naturel, comme vivacité brillante et fraîcheur, jamais esprit n'est resté plus voisin de sa source et plus le même.

Né à Marseille en 1797, élevé à titre de boursier au lycée de sa ville natale, M. Adolphe Thiers alla, vers la fin de 1815, suivre les cours de droit à la faculté d'Aix. Dans les hautes classes de ses études à Marseille, il était devenu, nous dit-on, assez bon humaniste et latiniste, mais surtout il avait poussé les mathématiques en vue de la carrière militaire, à laquelle tout alors se reportait. L'Empire tombant, il se tourna vers le droit et commençait à y réussir. Ces années d'études à Aix ont laissé des traces. C'est là qu'il se lia avec M. Mignet de cette inaltérable et indissoluble amitié qui les honore tous les deux, d'une de ces amitiés que si peu d'hommes de talent savent continuer inviolable entre eux après la jeunesse. Tout en s'appliquant sérieusement à sa profession d'avocat, M: Thiers s'occupait beaucoup, à cette époque, de philosophie, de haute analyse spéculative, soit mathématique, soit même méaphysique; l'optimisme de Leibniz le tentait, et Descartes ne lui était pas du tout indifférent. Cette préoccupation chez un esprit aussi pratique, et qui s'en est montré assez dégagé depuis, pourra paraître singulière à ceux qui ne savent pas combien ces natures actives qu'on voit aboutir ensuite sur tel ou tel point ont été capables, dans leur avidité première, de toutes sortes d'essais,

d'entrains curieux en tous sens et de préparations studieuses. On a quelque témoignage de cette veine de réflexions philosophiques et morales dans un Eloge de Vauvenargues, sujet qu'avait proposé l'Académie d'Aix, et pour lequel M. Thiers obtint le prix. Ce prix pourtant ne fut point remporté d'emblée, et l'anecdote s'en est conservée assez piquante. Dans cette ville du Midi, toute fervente encore des passions de 1815, le jeune avocat libéral était fort protégé et encouragé par un magistrat de vieille roche, M. d'Arlatan de Lauris, qui goûtait son esprit et présageait ses talents. A la vivacité avec laquelle M. d'Arlatan défendit au sein de l'Académie le discours anonyme, mais qui n'était pas un secret pour lui, les adversaires politiques devinèrent qu'il s'agissait de M. Thiers, et ils s'arrangèrent pour faire remettre le prix à l'année suivante, comme si le morceau ne se trouvait digne en effet que du second rang. Le lauréat évincé ne se tint pas pour battu, et aux approches du terme fixé, il fabriqua en toute hâte un nouveau discours, qu'il fit cette fois arriver de Paris par la poste. Le secret fut bien gardé. La cabale s'empressa, comme c'était immanquable, d'admirer l'éloge nouveau-venu et de l'opposer au précédent, si bien qu'on lui décerna le prix, et à l'autre seulement l'accessit. Or, en décachetant les noms, il se trouva que tous deux étaient de M. Thiers. Qui fut confus? messieurs les académiciens. Qui rit de bon cœur ? M. d'Arlatan. Cette espiéglerie, venant couronner le vrai talent, eût achevé d'établir à Aix la réputation du jeune avocat, si M. Thiers n'était parti vers ce temps-là même pour la capitale.

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