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Cette Étude sur M. Daunou a paru satisfaire bon nombre des personnes qui l'avaient le plus connu, mais évidemment elle n'a point satisfait M. Taillandier, celui même que j'ai appelé son digne exécuteur testamentaire, et dont je louais le volume de Documents biographiques. En publiant une seconde édition de cet Écrit, M. Taillandier s'est attaché à me trouver en faute sur deux points, où il a cru pouvoir me réfuter: 1o M. Taillandier suppose (page 224 de son Écrit) que j'ai fait une confusion entre les opinions. de Daunou et celles de Rulhière; que j'ai pris pour l'expression des sentiments de Daunou ce qui n'était sous sa plume qu'une analyse de ceux de Rulhière. Or, c'est une confusion que je n'ai nullement faite (voir précédemment page 44, à la note), et je m'étonne qu'un homme exact comme M. Taillandier me l'ait si adroitement prêtée. 2o M. Taillandier, contrarié d'une anecdote que j'ai racontée (page 40), a trouvé plus court de la nier (Documents biographiques, pages 196). Sans épiloguer sur le jour précis où la scène en question eut lieu, ce qui n'importe guère, je puis certifier que j'ai entendu le récit de la bouche de M. Daunou même et de celle d'une personne qui a vécu plus de quarante ans près de lui. Cette personne, un peu indiscrète en cela peut-être, mit l'anecdote sur le tapis; M. Daunou intervint pour expliquer, pour rectifier. J'écoutais, et je n'y ai mis que le sourire. C'est ce sourire qui m'a valu la réfutation un peu sèche de M. Taillandier, qui ne sourit pas. M. Daunou a eu ses dévots: bien jeune, je n'en ai jamais été avec lui qu'au respect et à l'estime.

Et comme dernier mot à ceux qui ne concevraient pas que cette estime pût s'allier avec un peu de critique, pas plus qu'ils ne conçoivent que quelques actes courageux puissent se concilier avec une habitude craintive, je dirai nettement: M. Daunou, tel que je l'ai connu dans les vingt et une dernières années de sa vie, était ce qu'on peut appeler une nature timorée, un trembleur. C'est cette disposition de son tempérament qui rend précisément si méritoires ses actes de courage moral dans le passé. Un grand fonds de constance morale jointe à un tempérament timide, voilà le trait singulier de ce caractère. Le biographe officiel fait tout ce qu'il peut pour en masquer et en effacer l'originalité; ce sont gens qui ôteraient les rides à un portrait de vieillard. « Voyez-vous cela? disait Cromwell à son peintre, en lui montrant les rugosités et les verrues de son visage; il faut avoir soin de me le laisser. » Mais il est peu de gens qui osent prendre sur eux de le faire.

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La lettre suivante de M. Daunou à M. de Pastoret a été communiquée à M. Sainte-Beuve :

<< Monsieur le comte,

<< Les relations honorables et douces que j'ai eues avec vous à l'Institut me déterminent à réclamer vos bons offices auprès du ministre de l'intérieur.

<< Il vient de m'annoncer que mes services ne lui convenaient plus, et quelque vains que soient les deux motifs de cette décision, je la tiens pour irrévocable.

« Je m'abstiens même d'éclaircir le premier de ces motifs, qui est exprimé dans les termes les plus vagues et qui consiste en considérations politiques.

« Le second motif me tiendrait plus à cœur, parce qu'il concerne mes fonctions: le ministre dit qu'en passant en d'autres mains, l'administration des Archives deviendra moins dispendieuse.

<< Par des mesures que je n'avais aucunement provoquées, et en allouant à des ecclésiastiques italiens des traitements considérables, on avait élevé à 155,000 fr. les dépenses des Archives. Dès le 1er juillet 1814, je les fis réduire à 120; je les bornai à 110 dans le budget de 1815; à 92 dans l'aperçu que je présentai pour 1816. Son Excellence m'ordonna de retrancher encore 12,000 francs environ, et j'eus l'honneur de lui adresser aussitôt un deuxième aperçu qui limitait ces dépenses à 80,000 francs.

<<< Il est vrai que j'obtenais cette économie par des réductions proportionnelles sur chaque traitement, à commencer par le mien, et sans renvoyer aucun employé. Je n'ai jamais provoqué et ne provoquerai jamais de pareilles destitutions. Il s'agit d'employés qui ont 20, 30, 40 années de services, et qui, après avoir travaillé en divers dépôts particuliers d'archives, ont été successivement réunis, avec ces dépôts, en un seul établissement. Quant à leurs opinions politiques, je les ignore tout à fait, n'ayant jamais eu avec eux, depuis 11 ans, d'entretien sur ces matières.

« Au surplus, si Son Excellence désirait une économie plus forte que celle qu'elle m'avait prescrite, ou si elle voulait l'opérer par d'autres moyens, je n'avais assurément ni le pouvoir ni la volonté d'y mettre obstacle.

« Il ne m'a rien été répondu sur ce second aperçu, et au lieu de

me prescrire d'autres dispositions, le ministre décide que l'administration des Archives doit passer en d'autres mains.

« J'avoue que cette décision me paraît, à tous égards, d'une injustice extrême. Mais cette cause, qui est la mienne propre et dans laquelle je puis me tromper encore plus qu'en toute autre, n'est point du tout, Monsieur le comte, celle que je vous prie de défendre. Quoiqu'une destitution soit toujours désagréable et quelquefois périlleuse, la mienne paraît désirée trop ardemment par Son Excellence pour qu'il y ait aucun espoir de lui inspirer d'autres sentiments.

<< Ne pouvant plus prétendre à d'autres fonctions publiques, puisque celles dont je ne suis point incapable dépendraient plus ou moins du ministère de l'intérieur; ayant essuyé, depuis trois ans, des pertes considérables; réduit à de faibles ressources; exposé à perdre, au premier jour, celles qui me restent à l'Institut, je dois pour ma propre conservation, pour celle d'une sœur âgée et de quelques autres personnes dont je prends soin, solliciter une pension de retraite. Trente-six ans de services non interrompus dans l'Instruction publique, dans les Assemblées, à la Bibliothèque du Panthéon et aux Archives, autorisent, je crois, cette demande. Je l'ai adressée au Ministre de l'Intérieur, et parmi les moyens d'en assurer le succès, je mets au premier rang, Monsieur le comte, vos bons offices auprès de Son Excellence, qui va décider sous trèspeu de jours, peut-être dès aujourd'hui, de mon sort.

« Veuillez agréer, je vous prie, mes respectueux hom

mages.

« Paris, 28 décembre 1815. »

« DAUNOU.

LEOPARDI.

Le nom seul de Leopardi est connu en France; ses œuvres elles-mêmes le sont très-peu, tellement qu'aucune idée précise ne s'attache à ce nom résonnant et si bien frappé pour la gloire. Quelques-uns de nos poëtes qui ont voyagé en Italie ont rapporté comme un vague écho de sa célébrité :

Leopardi dont l'âme est comme un encensoir,

lisions-nous, l'autre jour, dans l'album poétique d'un spirituel voyageur. De telles notions sont loin de suffire. M. Alfred de Musset, il y a deux ans, publiant dans la Revue des Deux Mondes (1) quelques-uns de ces

(1) 15 novembre 1842. C'est dans la pièce intitulée Après une lecture. On se demande après quelle lecture ont été écrits ces vers. Serait-ce après une lecture de Leopardi ? Le début de la pièce ne l'indiquerait guère, quoique la fin semble le faire soupçonner. Tout cela n'est pas expliqué. Les meilleures poésies de M. de Musset sont trop sujettes à ces sortes d'incohérences. Mais assurément (je ne puis m'empêcher encore d'ajouter ceci) la plus criante incohérence, dans le cas présent, c'est d'avoir fait intervenir de but en blanc le plus noble, le plus sobre, le plus austère des

vers aimables et légèrement décousus que lui dicte la fantaisie en ses meilleurs jours, a parlé de Leopardi plus en détail, bien qu'à l'improviste et avec une sorte de brusquerie faite d'abord pour étonner. Le poëte, se fâchant contre les versificateurs et rimeurs qui délayent leur pensée, s'écriait:

Non, je ne connais pas de métier plus honteux,
Plus sot, plus dégradaut pour la pensée humaine,
Que de se mettre ainsi la cervelle à la gêne
Pour écrire trois mots quand il n'en faut que deux,
Traiter son propre cœur comme un chien qu'on enchaîne,
Et fausser jusqu'aux pleurs que l'on a dans les yeux.

O toi qu'appelle encor ta patrie abaissée,
Dans ta tombe précoce à peine refroidi,
Sombre amant de la Mort, pauvre Leopardi,

Si, pour faire une phrase un peu mieux cadencée,
Il t'eût jamais fallu toucher à ta pensée,
Qu'aurait-il répondu, ton cœur simple et hardi?

Telle fut la vigueur de ton sobre génie,
Tel fut ton chaste amour pour l'âpre vérité,
Qu'au milieu des langueurs du parler d'Ausonie,
Tu dédaignas la rime et sa molle harmonie,

poëtes, pour appuyer une théorie où il est surtout question de Lisette et de Margot, et où, pour tout idéal d'art sérieux, l'enfant d'Épicure et d'Ovide s'écrie :

Vive d'un doigt coquet le livre déchiré

Qu'arrose dans le bain le robinet doré!

En vérité il semble, à voir cette théorie d'alcôve et de baignoire, que M. de Musset n'ait pas fait une seule lecture, mais deux lectures à la fois, et qu'il ait commencé avec Crébillon fils la boutade à la Gavarni qu'il couronne par Leopardi.

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