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en cet ordre de conjectures. Si certains faits contenus dans la Dorothée n'allaient pas jusqu'à entacher la jeunesse de Lope, je ne doute point que tout biographe en quête de documents ne s'accommodât volontiers de cette source, qu'une foule d'indices, très-bien relevés par M. Fauriel, concourent à désigner. Et quant à ce qui est de la moralité de Lope, qui se trouverait compromise par cette interprétation, j'avoue encore ne point m'émouvoir à ce propos aussi vivement qu'on l'a fait. N'oublions pas que la mesure de la moralité varie singulièrement avec les siècles et selon les pays; l'imagination des poëtes a été de tout temps très-sujette à fausser cette mesure. Il arrive souvent à un poëte de s'éprendre si tendrement de son passé, même d'un passé douloureux, même d'un passé déréglé et coupable, qu'il s'y attache davantage en vieillissant; qu'il le ressaisit étroitement par le souvenir; qu'au risque de perdre plus tard en estime, il sent le désir passionné de le transmettre, et qu'il a la faiblesse d'en vouloir tout consacrer. Je recommande cette considération à ceux qui ont sondé dans quelques-uns de ses recoins secrets cette nature morale des poëtes. Ajoutez-y, dans le cas présent, que l'imagination romanesque espagnole, en particulier, s'est toujours montrée d'une excessive complaisance sur le chapitre des fragilités de jeunesse et des situations équivoques où elles entraînent; il suffit d'avoir lu le Gil Blas pour s'en douter. Par cette polémique, quoi qu'il en soit par cette vivacité de riposte qui accueillait de graves écrits sur des sujets anciens, le pacifique M. Fauriel

put s'apercevoir que, nonobstant ses lenteurs et son soin modeste de s'effacer, il n'échappait point entièrement aux petits assauts ni aux combats, qui sont la condition imposée à tous découvreurs et novateurs.

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Nous aurions à caractériser son Cours à la Faculté des Lettres et à résumer quelques-uns des souvenirs de son enseignement, si son successeur, qui fut dans les dernières années son suppléant, M. Ozanam, ne nous avait devancé dans cette tâche par un complet et pieux travail auquel on est heureux de renvoyer (1). Dans son Cours en général, M. Fauriel ne fit que produire ce qu'il avait de tout temps amassé sur Homère, sur Dante, sur la formation des langues modernes, sur les poésies primitives; ainsi fait-il encore dans les articles qu'il tirait de là. Ce genre de littérature ne lui coûtait presque aucune peine; la forme n'étant pour lui ni un obstacle ni une parure, il n'avait qu'à puiser, comme avec la main, dans un fonds riche et abondant; c'était devenu pour lui presque aussi simple que la conversation même. Je comparerais volontiers cette quantité de produits faciles et solides à des fruits excellents, substantiels, mais un peu trop mûrs ou parés, comme on dit, à des fruits qui ont été cueillis et tenus en réserve depuis trop longtemps, et n'ayant plus cette fermeté première de la jeunesse. La qualité nourrissante leur restait en entier.

C'est au milieu de ces travaux journaliers, de ces occupations ininterrompues, que nous avons vu M. Fauriel

(1) Voir le Correspondant du 10 mai 1845.

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passer et tromper les saisons du déclin. Nous aurions, si nous voulions bien, à énumérer encore: il publia en 1837, dans la collection des Documents historiques, le poëme provençal sur la guerre des Albigeois; l'Académie des inscriptions et belles-lettres l'avait nommé en novembre 1836 pour succéder à Petit-Radel, et il eut bientôt une place dans la commission de l'Histoire littéraire le xxe volume de cette collection reçut de lui l'article sur Brunetto Latini, et le xxre doit en contenir plusieurs autres. Mais tous ces développements de l'érudit et ces applications, en quelque sorte officielles, trouveront ailleurs des biographes attentifs. Pour nous, nous aurons assez atteint notre objet, si nous avons réussi à montrer l'homme et l'esprit même. Durant la seconde moitié de sa vie et après le coup qui, en 1822, en avait brisé la première part, l'amitié avait peu à peu réparé les vides et comme refait cercle autour de lui : c'était l'amitié encore telle qu'il la concevait et la réclamait, une assiduité pleine de douceur dans les choses de l'intelligence et de l'affection, et, comme. l'a dit le poëte,

Le jour semblable au jour, lié par l'habitude.

Ainsi, des nuances de joie, tenant aux satisfactions du cœur, se mêlèrent pour lui jusqu'au bout aux applications de l'esprit, et il s'acheminait, saus trop la sentir, dans l'inévitable tristesse des ans. Il mourut presque subitement des suites d'une opération qu'on n'aurait pas crue si grave, le 15 juillet 1844. Sa pensée vivra, et rien du moins n'en sera perdu. Ses manuscrits,

transmis en des mains fidèles, seront publiés avec un choix éclairé (1). Sous une forme ou sous une autre, toutes les idées qu'avait conçues ce rare esprit sont sorties ou sortiront; sa renommée après lui se trouvera mieux soignée que par lui. De premiers et dignes hommages lui ont été payés sur sa tombe par M. Guigniaut au nom de l'Institut, par M. Victor Le Clerc au nom de la Faculté des Lettres; d'autres éloges viendront en leur lieu. M. Piccolos, dans le journal grec l'Espérance (Athènes, 28 août 1844), s'est fait l'organe des témoignages bien dus par ses compatriotes à la mémoire du plus modeste et dy plus effectif des écrivains philhellènes. La France ne lui doit pas moins; le xixe siècle surtout serait ingrat d'oublier son nom, car on peut apprécier désormais avec certitude quelle place il a tenue dans ses origines, quel rôle unique il y a rempli, et quelle part lui revient à bon droit dans les fondations de l'édifice auquel d'autres ont mis la façade, et pas encore le couronnement.

Mai-juin 1845.

(1) Ils ont été légués par l'auteur à Mlle Clarke, à l'amie la plus dévouée et la plus attentive à s'acquitter de tous les soins que peut inspirer la piété du souvenir.

POST-SCRIPTUM.

Ce n'est pas une conclusion qu'un tel recueil comporte, et nous ne prétendons en effet, ni conclure ni clore. Nous ferons certainement d'autres portraits contemporains, nous en avons déjà fait, en bon nombre, qui n'ont pu entrer dans les présents volumes, et, au moment même où nous achevons cette espèce de série, nous mettons sous presse un volume destiné à la compléter et à la poursuivre. Ainsi point de conclusion; nous aimons notre métier de critique et de portraitiste, nous le continuerons selon l'occasion et le moment, suivant que le cœur et la fantaisie nous le diront, et en tâchant de ménager de notre mieux les convenances diverses. Et à ce propos si quelqu'un s'étonnait que, malgré la dignité académique qui nous a été conférée depuis, nous persistions dans cette voie pratique, nous donnerons une fois pour toutes une explication très-nette et très-franche: en ambitionnant et en obtenant cette dignité, la plus honorable à laquelle puisse aspirer un homme de lettres, nous n'avons jamais considéré qu'elle dût nous empêcher d'être ce que nous étions devant, ni de faire à très-peu près les

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