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il épie sur ce sol tant remué les réveils d'une végétation vivace partout où il les voit poindre, et il ne met tant de prix à ses chers Provençaux, que parce qu'il découvre véritablement en eux la première fleur de l'arbre moderne.

C'est à l'observer dans cet esprit qu'on le découvre lui-même tirant tout de son fonds, ses idées, ses aperçus; il entreprend l'histoire des troubadours, non en philologue, ni par esprit de patriotisme local, mais dans une vue intimement philosophique, et, je le répète, parce que cette époque lui paraît offrir la première fleur originale, le premier Avril en fleur de la civilisation moderne. Il pensait que c'est de là qu'il faut dater l'histoire des littératures et des sociétés modernes ; car, si court et si brusquement interrompu qu'ait été ce premier printemps, elles lui doivent leur vraie couleur. - J'exprime ici ces choses plus vivement qu'il ne les exprimait peut-être, mais non pas plus vivement qu'il ne les sentait.

Tel est le vrai Fauriel; c'est l'histoire qui a l'immense prédominance en lui, même lorsqu'il se présente à titre de critique. De fait, il ne s'occupait de littérature proprement dite que quand son intérêt pour un ami l'y poussait, comme il le fit pour Baggesen et pour Manzoni, et comme il fut poussé encore aux Chants grecs, indépendamment des autres affinités, par de nobles motifs de circonstance. Son but, d'ailleurs, demeurait toujours historique, ses travaux, depuis 1815, se rapportaient entièrement à cette fin, et tout le reste de sa part n'était que moyen ou hors-d'œuvre.

Nous continuerons de le suivre. Qu'on nous pardonne ces développements dont il est bien digne. En nous occupant de Fauriel, nous n'avons pas dû craindre de faire un peu comme lui, d'insister sur les fondations mêmes de notre sujet, et de procéder avec une lenteur consciencieuse, propice aux choses.

SECONDE PARTIE.

Fauriel et Manzoni. Par où celui-ci se rattache à la France.Sa jeunesse à Paris; ses entretiens avec Fauriel. Carmagnola et Adelchi traduits en français; contre-coup en Italie. Relations de Fauriel avec Augustin Thierry,

avec Guillaume de Schlegel. Fauriel après 1830. Son Histoire de la Gaule méridionale. Ses autres écrits.

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A partir de 1815, disions-nous, c'est la pensée historique qui domine dans l'esprit de Fauriel; il y eut pourtant à cette pensée quelques hors-d'œuvre, il y eut plus d'une diversion, et, comme on dit, plus d'une parenthèse. On en peut compter jusqu'à trois; la première fut la traduction en français des tragédies de Manzoni (1823); la seconde fut la publication et la traduction des Chants grecs populaires (1824); et je compte enfin pour la troisième et la plus grave, parce qu'elle fut la plus prolongée, le cours public dont Fauriel se trouva chargé après 1830. Si utile que le savant maître ait été dans cette dernière fonction, il y a lieu de regretter sans doute qu'elle l'ait empêché de mener à fin la grande entreprise historique de toute sa vie.

Il n'en est pas ainsi des deux premières tâches qu'il s'imposa et qui pourraient aussi bien s'appeler des inspirations de son esprit et de son cœur. Sa tendre amitié et son admiration sincère pour Manzoni lui suggérérent l'idée de le faire connaître à la France. C'est là un épisode trop essentiel et trop aimable dans la vie de Fauriel, un épisode trop honorable à la littérature française elle-même, pour que nous n'y insistions pas ici comme nous devons. Parler de Manzoni un peu en détail à propos de Fauriel, ce n'est pas m'écarter de ce dernier, c'est être fidèle à tous deux.

Je dirai plus et sans excéder en rien la plus exacte vérité : Manzoni ne se peut bien connaître à fond que par Fauriel; celui-ci est l'introducteur direct, secret et presque nécessaire, à l'étude de l'excellent poëte. Manzoni, jeune, tenait à honneur de se dire non-seulement son plus tendre ami, mais son disciple. Un tel mot, de poëte à critique, glorifie assez celui qui le profère pour qu'on ne craigne pas de le redire à la louange des deux. Fauriel le rendait bien d'ailleurs à son ami, moins encore par la manière dont il le louait que par celle dont il le sentait lui, si ennemi des formes apprises et convenues, de tout ce qui avait une teinte de rhétorique ou d'académie, il n'en était que plus sensible à la poésie, à une certaine poësie pathétique et simple; or, il y avait deux lectures en ce genre qui ne lui donnaient pas seulement l'émotion morale, mais qui avaient le pouvoir d'accélérer son pouls, de le faire battre plus vite : c'étaient certains chœurs d'Euripide et les chœurs de Manzoni.

La mère de Manzoni, la fille de Beccaria, vint en France sous le Consulat et y vécut beaucoup dans la société d'Auteuil, dans l'intimité de Cabanis et de Mme de Condorcet; lorsque son fils le rejoignit quelque temps après, ou y revint avec elle, il se trouva initié dans le même monde, et il y connut Fauriel. C'est à lui qu'il montrait d'abord (en février 1806) la pièce de vers, qui fut son tout premier début, sur la mort de Carlo Imbonati, cet admirable ami que venait de perdre sa mère. Fauriel, en faisant accueil à une production si pleine de chaleur et brillante de promesses, entra aussitôt avec le jeune poëte dans une de ces discussions ingénieuses et précises telles qu'il les aimait : il lui conseilla de se perfectionner de plus en plus dans l'usage des vers sciolti, et lui indiqua à cet égard les modèles qu'il préférait. Tous deux déjà s'accordaient sur certaines remarques très-fines: se retrancher les rimes quand on fait des vers italiens, ce n'était pas tant (selon eux) supprimer une difficulté qu'un secours bien souvent et une excuse. En effet, les premières pensées étant une fois trouvées, la nécessité de la rime, quand on se l'impose, suggère une quantité d'autres pensées de détail, et surtout une foule de ces menues images qui sont réputées les élégances d'une composition, et qui achèvent même la pensée principale quand elles n'en détournent pas. Dans les sciolti, au contraire, le poëte, n'étant plus provoqué par la rime, doit tirer tout de son fonds et défrayer en quelque sorte son vers avec ses seules ressources; il peut viser plus librement au simple et au principal, mais à con

dition d'avoir en lui la force qui approprie le style et le ton aux choses, la fertilité des images et le mouvement des pensées, en un mot les qualités les plus réelles du talent. Parini, dans ses sciolti, a prouvé qu'il les possédait toutes; il arrive à la combinaison du poétique et du vrai, à la perfection de l'œuvre, et, pour le peindre avec ses propres couleurs, on dirait que, ses vers découlant d'une noble veine, une muse savante les ait fait passer à l'ardent foyer de l'art :

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Scendano; e all' acre foco

Dell' arte imponga la sottil Camena.

Manzoni, dont c'étaient là les premiers discours avec Fauriel, dirigea de bonne heure son style de ce côté, selon cette vue élevée et sévère. Le divin Parini, comme il l'appelait quelquefois, fut son premier maître; mais, en avançant, son vers tendit de plus en plus à se dégager de toute imitation prochaine, à se retremper directement dans la vérité et la nature.

Combien de fois, vers cet été de 1806 ou de quelques-unes des années qui suivirent, soit dans le jardin de la Maisonnette, soit au dehors, le long du coteau de Sainte-Avoie, au bord de cette crête d'où l'on voit si bien le cours de la Seine, avec son île couverte de saules et de peupliers, et d'où l'œil embrasse avec bonheur cette fraîche et tranquille vallée, les deux amis allaient discourant entre eux du but suprême de toute poésie, des fausses images qu'il importait avant tout de dépouiller, et du bel art simple qu'il s'agissait de faire

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