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approchaient le roi. Les assemblées des Franks, avant la conquête, n'avaient aucun caractère aristocratique, et ce ne fut que par une usurpation réelle qu'elles en vinrent depuis à plus d'importance. Posée en ces termes, la question, au premier abord, n'a rien que de plausible et redevient au moins douteuse; c'est affaire de textes. M. de Saint-Priest les aborde et en serre de près quelques-uns. Il conteste que le roi mérovingien fût soumis à la loi de composition qui gouvernait autour de lui, et qu'il ait jamais été cité devant le mâl ou assemblée nationale; il revient (1) sur un article de la loi salique duquel on se serait à tort prévalu. Sans entrer dans le fond du débat, et en laissant aux maîtres le soin, s'il y a lieu, de relever le gant, il faut reconnaître que toute cette forme de discussion est de bonne guerre, de bonne et légitime méthode.

L'auteur va plus loin: il fait descendre sur cette race mérovingienne et sur son droit inné une sorte de mys⚫ticisme demi-asiatique, demi-scandinave, et il en personnifie le résultat idéal dans la figure de Brunehaut. Pour lui, cette belle reine venue d'Espagne est un type qui représente, dans sa dernière expression, l'ascendant et l'idée de la royauté barbare sur cette troupe encore nommée les fidèles, mais qui sera bientôt la féodalité armée. Le premier grand échec que reçoit la légitimité mérovingienne date de la condamnation juridique de Brunehaut. Cette noble femme, une fois associée aux destinées des petits-fils de Clovis, aurait tenté, dans

(1) Prolégomènes, page LXXIII, tome I.

toute sa carrière, de restaurer la puissance déjà déclinante de la vieille race, de combattre à mort l'opposition conjurée des leudes et des évêques, et de déjouer, au nom d'une haute et souveraine idée, les essais de féodalité ou d'aristocratie naissante, ou même d'organisation synodale. Vers ce temps, en effet, l'Espagne et la Lombardie étaient d'un mauvais exemple pour les Franks, la Lombardie avec ses trente-cinq ducs et ses formes précoces de féodalité, l'Espagne avec ses conciles. de Tolède et sa royauté soumise aux évèques. Ces circonstances collatérales, et le jeu qu'elles pouvaient avoir par contre-coup, sont très-ingénieusement présentés par M. de Saint-Priest. Brunehaut, pour triompher des difficultés intérieures et se donner un point d'appui au dehors, tend la main au pape saint Grégoire, qui reprenait, de son côté, l'œuvre d'agrandissement du saint-siége. Elle aide la mission que ce pape envoie en Grande-Bretagne, et obtient de Rome des conditions qui, favorables aux priviléges des monastères, tendent à restreindre le pouvoir des évêques diocésains. Mais saint Colomban, arrivé tout exprès d'Irlande en France, y saisit en main l'influence religieuse, contrarie les directions romaines et se pose en ennemi mortel de Brunehaut. Ces trois personnages, saint Grégoire, saint Colomban et Brunehaut, se balancent à merveille. Celle-ci, dans la réhabilitation idéale qu'on en trace, aurait du moins eu la gloire d'avoir entrevu à l'avance quelque vague rayon de la politique de Charlemagne. Aussi la comparaison qu'on fait d'elle à Frédégonde, sa rivale accoutumée, semble-t-elle à notre auteur une

injure. Le personnage sanglant de Frédégonde n'est qu'un détail, un accident de la barbarie; Brunehaut tient à l'histoire de l'esprit humain. Quand elle meurt de l'affreux supplice, quand elle disparaît attachée aux crins d'un coursier sauvage, c'est la royauté elle-même, c'est la royauté asiatico-germanique à l'agonie, que le coursier féodal emporte. Et le talent aussi, l'imagination dans le style, n'est-ce donc pas une espèce de coursier de Mazeppa? Il y a des moments où il entraîne.

Toute cette histoire des Mérovingiens, sillonnée de tels points de vue, gagne singulièrement, sinon en rigueur, du moins en intérêt; le temps n'est plus où une femme d'esprit, quand elle commençait à lire l'histoire de France, disait Moi, je saule toujours la première race. C'est au contraire la première race qu'il faut lire. et relire aujourd'hui pour s'intéresser, pour jouir des scènes neuves, de personnages imprévus, et de tout l'esprit, de tout l'art qu'on y emploie. M. de Saint-Priest est parvenu à rendre beaucoup de physionomie et de lustre à ce personnage de Dagobert, pris d'un certain côté. Ce prince, le dernier vraiment grand de sa race, marcha sur les errements de Brunehaut. Pénétré des vieilles maximes de la royauté germanique, conseillé de saint Éloi et de Dadon, très-ferme personnellement de caractère, il combattit et contint la ligue aristocratique et épiscopale. Les monastères de l'école de Colomban étant, par un revirement assez naturel, devenus hostile à l'intérêt des évêques, il les favorisa contre ceux-ci, rallia les populations, et rendit à l'ensemble

de la souveraineté franke un reste de consistance et même de splendeur qui ne tint pas après lui. Il mourut à trente-trois ans, formant l'anneau, et un anneau trèsentier, entre Clovis et Charlemagne.

On sait ce que la tradition a fait de lui. J'ai souvent pensé qu'il y aurait un chapitre à écrire: De ceux qui ont une mauvaise réputation et qui ne la méritent pas. Montaigne a oublié de le faire. Que de noms en appel contre le hasard y trouveraient place! Il faudrait commencer par Augias, au nom duquel cette locution d'étables d'Augias a rattaché une idée odieuse et presque infecte, et qui était le plus riche et le plus royal patriarche des pasteurs, tel que nous l'a représenté l'antique idylle. On n'y oublierait pas surtout Dagobert, le bon Dagobert, qui a laissé une réputation débonnaire et assez ridicule, et qui fut peut-être un grand roi, énergique, le quasi-Charlemagne de sa race, mort à la fleur de l'âge et dans la vigueur de ses hauts projets (1).

M. de Saint-Priest fait de saint Eloi, de ce fidèle Achate du héros mérovingien, un portrait très-aimable, très-parlant; il lui retrouve quelque chose de la phy

(1) La tradition populaire tend à imprimer un certain caractère de débonnaireté et de bonhomie à ce qu'elle touche de longue main familièrement, même quand ce quelque chose a été d'abord héroïque et redoutable. Charlemagne n'y a pas plus échappé que Dagobert, et il joue souvent dans les romans de chevalerie une espèce de rôle de bonhomme entre ses douze pairs et son archevêque Turpin, qui est son saint Eloi. Attila aussi, dans les poëmes germaniques, n'est-il pas devenu le bon Étel? Il peut nous être déjà très-sensible combien ce genre d'adoucissement pénètre de toutes parts dans la tradition populaire grossissante autour du héros d'hier, qui n'était pas tendre précisément. J'ai

sionomie d'un Fénelon primitif. En général, l'auteur affectionne les rapprochements avec le temps présent; ces sortes de comparaisons greffent plus au vif sur le moderne et mordent mieux, pour ainsi dire. La critique pourra trouver qu'il les prodigue; ce n'est pas trop au lecteur de s'en plaindre, car cette manière de mettre un nom de notre connaissance au bout de la pensée éclaire et détermine singulièrement, même quand cela est poussé un peu loin. L'auteur fait ainsi beau jeu aux contradicteurs, en leur offrant son point de vue sous l'aspect le plus propre à être un point de mire.

Cependant, tout aussitôt après Dagobert, la décadence de sa race, un moment retardée, reprend son cours et se déclare par mille symptômes. Le règne des maires du palais, ou de ceux qu'on a qualifiés de ce nom, commence. L'un d'eux, Hébroïn, essaye encore de maintenir en honneur l'idée de vieille race et de défendre le pouvoir sacré de ses rois; mais, après une lutte vigoureuse et des fortunes très-diverses, il succombe; un de ces, leudes dont il combattait l'avéne

sous les yeux deux chansons des rues, en tête desquelles Napoléon sur sa colonne est mis en regard (j'en demande bien pardon) de la plus adorable et de la plus ineffable image de la mansuétude divine et humaine, et, dans le parallèle que déduit au long la complainte bien plutôt niaise que sacrilége, il est dit sérieusement:

Napoléon aimait la guerre,
Et son peuple comme Jésus!

Je voudrais bien pouvoir n'en conclure qu'une chose, c'est que, même à tort et à travers, l'humanité ne conçoit rien de grand, à la longue, sans une certaine bonté.

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