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A ce degré, est-ce un bien? est-ce un mal? Questions brûlantes, sur lesquelles l'historien lui-même, devenu homme de gouvernement, a dû hésiter quelquefois. Ce qu'il y a de positif, c'est que le succès, d'abord lent à se décider, est, avec les années, devenu immense, populaire; la révolution de Juillet l'a accéléré et, pour ainsi dire, promulgué. A l'heure qu'il est, 80,000 exemplaires sont en circulation dans le monde. Ces dix volumes d'histoire ont eu tout d'un coup la vogue de certaines compositions romanesques ou de certains pamphlets immortels; et, en effet, ce n'est point, d'ordinaire, à des œuvres tout impartiales, toutes tempérées d'éléments rassis, que se prend ainsi la flamme.

Quoi qu'il en soit des circonstances passagères, cette histoire, qui, à partir de son troisième volume, forme un tout si animé, si consistant, ne saurait s'effacer désormais ni s'abolir; elle aura laissé dans la mémoire française de belles traces, des portions lumineuses, des expositions financières, militaires, données pour la première fois, et aussi des mouvements qui seront toujours cités comme exemples d'une inspiration patriotique bien pure, d'une naturelle et bien vive éloquence. Je n'en sais pas de plus mémorable élan que l'espèce d'épilogue qui termine le huitième volume, et qui couronne le récit des victoires toutes républicaines de la première campagne d'Italie. On ne nous saura pas mauvais gré de représenter ici la noble page tout entière :

« Jours à jamais célèbres et à jamais regrettables pour nous! s'écrie l'historien, dont le ton s'élève un moment jusqu'à l'hymne; à quelle époque notre patrie fut-elle plus belle

et plus grande? Les orages de la révolution paraissaient calmés; les murmures des partis retentissaient comme les derniers bruits de la tempête: on regardait ces restes d'agitation comme la vie même d'un État libre. Le commerce et les finances sortaient d'une crise épouvantable; le sol entier, restitué à des mains industrieuses, allait être fécondé. Un gouvernement composé de bourgeois, nos égaux, régissait la république avec modération; les meilleurs étaient appelés à leur succéder. Toutes les voix étaient libres. La France, au comble de la puissance, était maîtresse de tout le sol qui s'étend du Rhin aux Pyrénées, de la mer aux Alpes. La Hollande, l'Espagne, allaient unir leurs vaisseaux aux siens et attaquer de concert le despotisme maritime. Elle était resplendissante d'une gloire immortelle. D'admirables armées faisaient flotter ses trois couleurs à la face des rois qui avaient voulu l'anéantir. Vingt héros, divers de caractère et de talent, pareils seulement par l'âge et le courage, conduisaient ses soldats à la victoire: Hoche, Kléber, Desaix, Moreau, Joubert, Masséna, Bonaparte, et une foule d'autres, s'avançaient ensemble. On pesait leurs mérites divers; mais aucun œil encore, si perçant qu'il pût être, ne voyait dans cette génération de héros les malheureux et les coupables; aucun œil ne voyait celui qui allait expirer à la fleur de l'âge, atteint d'un mal inconnu, celui qui mourrait sous le poignard musulman ou sous le feu ennemi, celui qui opprimerait la liberté, celui qui trahirait sa patrie; tous paraissaient grands, purs, heureux, pleins d'avenir! Ce ne fut là qu'un moment; mais il n'y a que des moments dans la vie des peuples, comme dans celle des individus. Nous allions retrouver l'opulence avec le repos; quant à la liberté et à la gloire, nous les avions! Il faut, a dit un ancien, que la patrie soit nonseulement heureuse, mais suffisamment glorieuse. Ce vœu était accompli. Français qui avons vu depuis notre liberté étouffée, notre patrie envahie, nos héros fusillés ou infidèles à leur gloire, n'oublions jamais ces jours immortels de liberté, de grandeur et d'espérance! >>

Malheur à qui, jeune et né dans les rangs nouveaux, n'a pas senti un jour, en lisant cette page, un battement de cœur et une larme! Notez bien cette pensée : « Il n'y a que des moments dans la vie des peuples, con me dans celle des individus; » cela ne rappelle-t-il pas la belle description de la vallée d'Argelez vue de Saint-Savin, par où M. Thiers a débuté, et le sentiment tout pareil qui la termine, sentiment de l'apparition fugitive du beau et du bien qui passe avec l'éclair? Il y a là comme une mélancolie rapide qui ajoute à l'émotion heureuse et qui se mêle, pour l'aiguiser, à l'ivresse de la gloire non moins qu'à celle du plaisir. Ces organisations du Midi ont plus que d'autres le secret, en toute chose, de la brièveté de la vie, comme elles en ont plus vive l'étincelle: Carpe diem.

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Le style de cette histoire, et en général le style de M. Thiers, est ce dont on se préoccupe le moins en le lisant; il vient de source, il est surtout net, facile et fluide, transparent jusqu'à laisser fuir la couleur. L'auteur ne raffine jamais sur le détail, et on ne s'arrête pas un instant chez lui à l'écrivain. Sa pensée sort comme un flot, que suit un autre flot de là parfois quelque chose d'épars, d'inachevé dans l'expression. mais que la suite aussitôt complète. En y réfléchissant depuis, l'historien a cherché à se faire la théorie de sa manière. Il dit en riant qu'il a le fanatisme de la simplicité; mais, bien mieux, il en a le don et l'instinct irrésistible. I croit volontiers qu'en histoire les modernes ne doivent viser qu'au fait même, à l'expression simple de leur idée : moindres que les anciens à tant

d'égards, ils sont plus savants, plus avancés dans les diverses branches sociales, obligés dès lors de satisfaire à des conditions plus compliquées, et leur principal besoin, en s'exprimant, est d'autant plus d'être clair, net, et de tout faire comprendre. C'est aussi en ce sens qu'ils ont à ressaisir peut-être leur originalité la plus vraie. Il y a bien des manières sans doute d'écrire dignement l'histoire; mais, dans les manières plus curieuses de forme, il court risque de se glisser quelque imitation, quelque pastiche de l'antiquité. Voltaire y échappe entièrement, M. Thiers aussi. Dans son Histoire de l'Empire, il s'est efforcé de joindre à ses qualités simples celle qui y mettrait le relief et le cachet, la concision. Arriver à être court en restant facile et sans cesser d'être abondant par le fond, ce résultat obtenu résumerait la perfection de sa manière.

Pendant que M. Thiers écrivait son Histoire de la Révolution, ou peu après l'avoir terminée, il laissait échapper quelques articles ou morceaux de critique, soit au Constitutionnel toujours, soit au Globe, où il faisait une fois le Salon (septembre 1824) (1). Son morceau sur Law, mis en tête d'une certaine Encyclopédie progressive qui n'alla pas plus loin (1826), mérite d'être tout particulièrement remarqué, et il fut très-lu au moment de la publication. L'auteur tient encore, et avec raison, à cet ancien travail dans lequel il jeta ses

(1) Il n'en fit pas moins ce même Salon dans le même temps au Constitutionnel. Félix Bodin, qui ne savait pas de qui étaient les articles du Globe, dit un jour à M. Dubois « Mais on vous pille an Constitutionnel. » C'était M. Thiers qui se multipliait.

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propres idées sur les banques. Il le rédigea sur un récueil d'édits du temps de Law; on crut qu'il avait puisé à des mémoires particuliers. Avec des édits, comme avec des traités, comme avec toutes sortes de pièces officielles, il y a moyen de refaire toute l'histoire, mais il faut savoir les lire. En général, savoir lire les pièces, c'est là un des secrets de l'originalité historique de M. Thiers. M. Duchâtel parla de ce travail sur Law, dans deux articles du Globe (2 et 12 août 1826), et discuta, avec quelque contradition et en toute franchise, certaines des idées financières, relatives au papiermonnaie, que l'auteur y avait rattachées. Quant à la partie historique, qui lui paraissait irréprochable, il en disait « M. Thiers vient de nous donner une histoire « du système de Law, où, avec l'impartialité et l'éten« due d'esprit qui le distinguent, il a exposé et jugé << les plans du financier écossais, fait la part de l'éloge «<et du blâme, des grandes conceptions et des erreurs. « Il a montré que, si le système est tombé, ce n'est << point par le vice de son principe, mais par des fautes « d'exécution... Il est impossible de porter plus de «< clarté dans les détails d'une opération financière «< que ne l'a fait M. Thiers en retraçant la marche du « système : c'est la même précision et la même netteté << que dans les belles pages de son Histoire de la Révolu<«<tion sur les assignats et le maximum. Il a aussi peint, << avec un rare talent, les passions nouvelles que le « système avait soulevées... » Ainsi jugeait M. Duchâtel de ce savant et lucide exposé: il est bon, en chaque matière, de recueillir au passage les paroles des maîtres.

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