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cette vapeur de feu, et le disque même du soleil fut entièrement caché. Ce spectacle avait le prestige d'un songe; mais, un instant après, cette pluie retomba, l'air se retrouva aussi pur, le brouillard aussi épais, mais moins élevé. Grâce à cet abaissement, de nouveaux arbres montraient leurs têtes; des coteaux inaperçus tout à l'heure présentaient leurs cimes grises ou verdoyantes. Ce mouvement d'absorption se renouvela plusieurs fois, et, à chaque reprise, le brouillard, en retombant, se trouvait abaissé, et une nouvelle zone était découverte. Nous rentrâmes alors chez le possesseur qui, en vertu des lois de la Constituante, a succédé aux riches oisifs qui s'ennuyaient autrefois de ce beau spectacle et n'y voyaient que des rochers et d'humides vapeurs. C'est le médecin de Cauterets qui a fait cette acquisition et qui est le patron naturel de ces montagnards, leur conseil dans toutes leurs affaires, leur organe auprès de l'autorité, leur médecin quand ils sont malades. Il s'est nommé le prieur de Saint-Savin; les habitants lui en ont donné le titre, et il a obligé l'évêque même à le lui conserver.

Je me rendis de nouveau sur la terrasse pour jouir d'un spectacle tout différent, celui de la vallée délivrée des brouillards, fraîche de la rosée et brillante du soleil. Dans ce moment le voile était tiré : je voyais tout, jusqu'à l'écume des torrents et au vol des oiseaux; l'air était parfaitement pur; seulement, quelques nuages qui se trouvaient sur la direction ordinairement plus froide des eaux ou des courants d'air circulaient encore dans le milieu du bassin, se traînaient peu à peu le long des montagnes, remontaient dans leurs sinuosités, et venaient se reposer enfin autour de leurs pointes les plus élevées, où ils ondoyaient légèrement. Mais la vallée, comme une rose fraîchement épanouie, me montrait ses bois, ses coteaux, ses plaines vertes du blé naissant ou noires d'un récent labourage; ses étages nombreux couverts de hameaux et de pâturages, ses bosquets flétris, mais conservant encore leur feuillage jaunâtre; enfin des glaces et des rochers menaçants. Mais ce qu'il est

impossible de rendre, c'est ce mouvement si varié des oiseaux de toute espèce, des troupeaux qui avançaient lentement d'une haie à l'autre, de ces nombreux chevaux qui bondissaient dans les pâturages ou au bord des eaux; ce sont surtout ces bruits confus des sonnettes des troupeaux, des aboiements des chiens, du cours des eaux et du vent, bruits mêlés, adoucis par la distance, et qui, joignant leur effet à celui de tous ces mouvements, exprimaient une vie si étendue, si variée et si calme. Je ne sais quelles idées douces, consolantes, mais infinies, immenses, s'emparent de l'âme à cet aspect, et la remplissent d'amour pour cette nature et de confiance en ses œuvres. Et si, dans les intervalles de ces bruits qui se succèdent comme des ondes, un chant de berger résonne quelques instants, il semble que la pensée de l'homme s'élève avec ce chant pour raconter ses besoins, ses fatigues au ciel, et lui en demander le soulagement. Oh! combien de choses ce berger, qui ne pense peut-être pas plus que l'oiseau chantant à ses côtés, combien de choses il me fait sentir et penser! Mais cette douce émotion passe comme un beau rêve, comme un bel air de musique, comme un bel effet de lumière, comme tout ce qui est bien, comme tout ce qui, nous touchant vivement, ne doit par cela même durer qu'un instant. »

Certes de telles pages, négligemment jetées et venues comme d'elles-mêmes dans une brochure plutôt politique, attestent mieux que tout ce qu'on pourrait dire un coin de nature d'artiste bien mobile et bien franche (genuine), ouverte à toutes les impressions, et digne, à certains moments, de tout comprendre et de tout sentir. Il y a telle page de Jouffroy où il nous représente aussi le pâtre mélancolique et taciturne au haut de sa montagne; mais ici, chez M. Thiers, le berger chante. Dans leurs deux tableaux, le politique comme

le philosophe, en s'oubliant, s'élevaient chacun à la poésie, à l'art naturel et simple, à la pure source première du beau et du grand.

Ce n'était là pourtant (M. Thiers nous en avertit) qu'un instant rapide et qu'un éclair : hâtons-nous de rentrer avec lui dans la pratique et la réalité. L'année même où parut cette relation de voyage, il prenait la part la plus active à la rédaction d'un recueil qui ne vécut que peu, mais qui était un heureux signal, les Tablettes universelles. Si bien posé qu'il se trouvât au Constitutionnel, en effet, ce cadre déjà formé ne suffisait point à l'activité de M. Thiers; il sentait qu'il y avait à s'émanciper, à coloniser ailleurs. Les Tablettes furent la première tentative d'union entre les jeunes générations venues de bords différents, celle des proscrits de l'Université (Jouffroy, Dubois, etc.), les jeunes doctrinaires, fleur des salons sérieux (M. de Rémusat en tête), et les deux méridionaux directement voués à la révolution, MM. Mignet et Thiers. M. Thiers se chargea aux Tablettes du bulletin politique (signé ***), qu'on attribua d'abord à la fine plume de M. Étienne, et, durant cette année décisive de la guerre d'Espagne et de la lutte sourde du cabinet entre M. de Chateaubriand et M. de Villèle, il ne cessa de se montrer un chroniqueur attentif et pénétrant, décochant à chaque bulletin son épigramme, que modéraient déjà l'intelligence des hommes et l'entente du jeu. Comme diversion à cette vive escarmouche politique (M. Thiers abondera de tout temps en ces sortes de diversions), je noterai un article de lui sur l'architecture go

thique (1), à propos de la description de la cathédrale de Cologne, par Boisserée. L'idée de M. Boisserée, qui déduit l'architecture ogivale de l'espèce d'aspiration qu'exercèrent les hautes tours destinées aux cloches sur le reste de l'édifice, cette vue ingénieuse, mais qui n'est qu'un des éléments de la vérité, se trouve exposée plutôt que discutée par M. Thiers. Plus tard, dans ses nombreux voyages en Italie, au bord du Rhin, en Allemagne, et à l'aide de comparaisons multipliées, M. Thiers concevra à son tour, sur l'ensemble de l'architecture, tout un système historique et générateur complet, tout un livre mouvant et presque passionné, qui est écrit dans sa tête, qui vit dans sa conversation, mais qu'on ne saurait toucher en cet endroit sans anachronisme. Nous n'avons noté en passant l'article sur l'œuvre de Boisserée que pour prendre acte de la vocation et signaler en tous sens les aptitudes diverses.

Les deux premiers volumes de l'Histoire de la Révolution paraissaient dans l'automne de l'année 1823. Cette histoire, qui a eu tant de vogue et d'influence, une influence qui n'est pas épuisée encore, fut commencée un peu au hasard, et naquit par occasion. La première idée en vint à Félix Bodin, qui poussa M. Thiers à l'entreprendre, et qui, le voyant ensuite si bien attaquer l'œuvre, y renonça lui-même avec une parfaite bonne grâce. Bodin était un homme instruit, de bonne heure fatigué, et d'une haleine courte qui ne dépassait guère le résumé historique, genre exigu dont

(1) N° du 17 janvier 1824.

il est le père. Il avait acquis une assez grande réputation à ce quart d'heure de 1823, et son nom faisait, au besoin, une manière d'autorité et quasi de patronage. Ce nom auxiliaire se trouva donc associé à celui de M. Thiers pour les deux premiers volumes, qui formèrent la première livraison : il ne disparut qu'au troisième. Dans ces deux premiers volumes, qui comprennent l'Assemblée constituante et presque toute la législative, le jeune historien débute, on le voit bien; il n'a pas encore trouvé sa méthode ni son originalité. A l'exemple de la plupart des historiens, après une étude plus ou moins approfondie des faits, après une recherche bientôt jugée suffisante, et s'étant dit une fois : Mon siège est fait, il s'en tire par le talent de la rédaction, par l'intérêt dramatique du récit, et par des portraits brillants. Celui de Mirabeau, sous sa plume, méritait fort d'être remarqué; le caractère et la grandeur du personnage y étaient vivement produits, même avec trop de prestige, et l'on pouvait relever déjà, dans l'appréciation de certains actes, trop de coulant. et d'indulgence. Cependant, ces deux premiers volumes parus, M. Thiers sentit (et lui-même en convient avec cette sincérité qui est un charme des esprits supérieurs) (1) qu'il avait presque tout à apprendre de son

(1) Ce passage, ainsi que plusieurs autres, a fort égayé l'un des rédacteurs du Quarterly Review, qui, dans un article des plus injurieux à M. Thiers (septembre 1845), nous a fait l'honneur de nous mêler pour une très-honorable part. Mais, dans ces portraits familiers où nous causons de notre sujet en présence d'un public bien informé, nous n'avons jamais eu la prétention de grossir notre ton jusqu'à être entendu par delà le détroit; le porte-voix

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