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moins des nuances de systèmes et des traces de direction assez différentes. L'élément, l'intérêt démocratique, celui des communes, ou de ce qui devait un jour s'appeler de ce nom, dominait en général; la monarchie et l'Église avaient un peu le dessous. Mais voilà que M. de Saint-Priest, dans ses loisirs du Nord, s'est aperçu de la lacune et a conçu le dessein de la combler. Il s'est ressouvenu vivement de l'idée monarchique et a estimé qu'elle n'avait pas obtenu sa part historique suffisante, son juste rôle, dans les récents travaux des plus illustres maîtres sur nos vieilles races. Nourri de vastes lectures, armé d'une érudition remuante, d'une hardiesse de construction très-prompte, il a fait brèche à son tour dans quelques-unes des lignes qui avaient semblé le mieux retranchées. S'il n'a pas raison, je le crois bien, dans toutes ses revendications, il y a lieu du moins qu'on lui réponde : on a désormais à compter et probablement à transiger sur plus d'un point avec lui.

Je dis que l'ouvrage de M. de Saint-Priest aboutit principalement et vise sans doute à ces questions de nos origines nationales. Quoique l'auteur ait pris son sujet de beaucoup plus haut, et que, loin de circonscrire sa carrière, comme il semble le croire, il l'ait considérablement élargie, le plus incisif de sa docte manœuvre, le plus vif de la bataille très-complexe et très-brillante qu'il engage, se livre encore dans le champ de nos vieilles Gaules. On pourrait s'y méprendre, à ne voir que le début. Son récit entame et suit l'histoire de l'idée d'empire, de royauté et de dynastie, à partir d'Auguste: ses Prolegomènes remontent beaucoup plus

baut et nous transportent du premier pas aux plateaux les plus reculés de la mystérieuse Asie. Lui si Français d'esprit, il a excédé par ce bout peut-être notre mesure française, laquelle est restée très-discrète et très-rebelle, nonobstant le régime oriental et symbolique qu'on a essayé de nous inculquer. On a beau faire, nous n'ạimonsen France à sortir de l'horizon hellénique et de ses lignes distinctes qu'à bon escient. M. Letronne demeure encore en ces matières notre admirable érudit et notre critique défensif par excelleuce. Je me figure (car j'ai besoin d'une explication) que, pendant ces années de laborieuse absence où l'auteur préparait son important travail, il nous aura crus plus atteints que nous ne l'étions en effet de cette fièvre du symbolisme historique. Les premières pages ne sont autre chose qu'un sacrifice, qu'en homme d'esprit il a cru devoir faire, un peu malgré lui, au goût du temps. Eh bien, ce goût n'avait pas de racines profondes et ne méritait pas qu'on en tint compte:

Je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus!

Ajoutez que, dans des considérations générales prises de si haut, l'auteur est nécessairement forcé de courir, et que c'est là, pour le lecteur, une préparation plutôt pénible aux discussions intéressantes, mais sérieuses, qui vont le réclamer tout entier.

L'ensemble de l'ouvrage est conçu et construit dans une pensée d'art; il se compose de dix livres, dont chacun embrasse un objet déterminé, et roule autour d'un

sujet habilement choisi, contrasté, balancé, dans ìequel l'auteur tente et rencontre souvent des nouveautés très-piquantes et bien des insinuations lumineuses. Comme le sujet général, qui est l'idée de royauté, nė prête pas à un récit continu, il devient quelquefois un prétexte; l'auteur en profite pour se porter aux plus hautes questions historiques qui se lèvent à droite ou à gauche autour de lui: il met le siége devant tous les hauts clochers. Le choix de quelques-uns des sujets secondaires qu'il traverse, et qu'il enserre dans le principal, pouvant sembler arbitraire, c'est avoir fait preuve déjà de beaucoup d'esprit que d'avoir su les grouper de la sorte et les établir. Depuis Auguste jusqu'à Hugues Capet ou à Grégoire VII, le champ était vaste; la ligne qui les joint est sinueuse et prolongée. Elle traverse et côtoie le domaine de bien des érudits et des historiens; elle passe dans la jachère de l'un, par la ferme de l'autre, sous le château-fort de celui-ci, et heurte le mur mitoyen de celui-là. Autrefois on traversait difficilement tant de pays avec si forte marchandise sans payer rançon; aujourd'hui il y a encore les douanes. Je voudrais bien entendre chaque érudit discuter à fond, ou mieux tirer de son poste à bout portant sur chacun des points du livre qui tombent sous sa portée. Le spirituel auteur les a quelque peu bravés, ce me semble, en passant si hardiment sous leur canon; il a l'air, et non sans malice, de vouloir leur faire beau jeu et les attirer en plaine par de certaines témérités qu'il sait combiner avec une étude approfondie. Il pousse plus d'un bout de texte en un sens auquel on n'avait

pas songé, et il lui fait rendre de subtiles nuances; il a des impatiences et des éclairs d'interprétations qu'après tout, en ces matières humaines si complexes, un esprit supérieur a peine à s'interdire, et que le talent se plaît à exprimer. Le talent (ne trouvéz-vous pas ?) a très-vite quelque chose d'agressif, d'attentatoire, en apparence, à la stricte méthode érudite. La contradiction même que pourraient opposer, dans le cas présent, ceux que j'appelle les savants spéciaux, introduirait, j'en suis sûr, des résultats et des idées qui ne seraient pas venues sans l'ingénieuse provocation. Quoi qu'il en soit, et pour ne parler ici que des autorités éminentes, on aimerait à savoir ce que pense, par exemple, l'historien de la Civilisation sur les chapitres parallèles qui traitent de la transformation romaine; ce que l'historien du Paganisme en Occident trouve à redire peut-être dans le tableau reproduit de ces mêmes luttes des deux mondes païen et chrétien; ce qu'oppose sans doute l'auteur des Récits merovingiens à cette inégalité de rôle un peu brusque entre Frédégonde et Brunehaut, et comment enfin l'historien dès longtemps désigné de Grégoire VII apprécie la peinture de Rome féodale à la veille de ce pontife (1). Invoquer de tels noms, comme presque les seuls compétents, pour trancher ou fixer de près des questions si compliquées et si ardues, c'est assez déclarer ma propre insuffisance à moi-même, et aussi mon peu de prétention. Chacun des dix livres de

(1) On aura successivement reconnu M. Guizot, M. Arthur Beugnot, M. Augustin Thierry et M. Villemain.

M. de Saint-Priest mériterait les frais d'un siége à part, d'un siége en règle, dirigé par un homme du métier; même là où il y aurait capitulation, elle ne serait pas sans honneur, et l'on en sortirait avec bien des idées de plus. Mais je dois me borner ici à rendre une impression, non un jugement; à faire comprendre l'ordonnance et le mouvement du livre, peut-être aussi l'esprit qui l'a inspiré. Et, par exemple, il importe de bien dégager l'idée principale, l'idée monarchique, de la séparer des nombreux accessoires où elle se mêle et qui peuvent parfois la faire perdre de vue. Cette idée est en quelque sorte le personnage intéressant et vivant, l'héroïne de l'ouvrage; suivons-en l'histoire, selon M. de Saint-Priest, en ne touchant que légèrement aux épisodes dont elle se trouve, chemin faisant, enveloppée.

L'idée de royauté est originaire de l'Asie; elle y a son berceau et ses racines avec le genre humain; elle y a crû, dès l'orgine, comme en pleine terre, et n'a cessé, aux diverses époques, de s'y reproduire dans son luxe de végétation et de puissance. A Rome l'idée de royauté, une fois bannie, demeura absente, étrangère, haïe et repoussée bien plutôt que méprisée; l'auteur tient à établir ce dernier point. Au temps de l'empire, il fallut aux empereurs toutes sortes d'efforts et de dissimulation pour implanter, à l'encontre du sénat, quelque chose de l'idée et de l'habitude dynastique. Les prétoriens étaient, en leurs mains, l'instrument de cet intérêt domestique et de ces essais d'hérédité. L'auteur cherche ainsi à introduire une sorte de pen

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