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«nirs. » Ce passage dut plus d'une fois lui revenir en mémoire, ce me semble, avec le regret de penser qu'il ne se rapportait pas également à d'autres, et qu'à mesure que les choses étaient réellement plus calmes, les esprits des amis entre eux devenaient précisément plus aigris. Quant à lui, dans ses retours et ses séjours en France, il maintient ce rôle honorable et affectueux qui fait oublier le politique et qui sied à l'ami des lettres. Toutes les fois qu'il a dû prendre la parole dans des solennités publiques (et il l'a fait récemment en plusieurs occasions), on a retrouvé avec plaisir son esprit ingénieux et grave; l'idée morale, la disposition religieuse, qu'il a témoignée de tout temps, semble même prévaloir en lui avec les années, et rien n'altère cette sorte d'autorité légitime qu'on accorde volontiers, en l'écoutant, à l'écrivain éclairé, à l'homme de goût et à l'homme de bien.

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M. THIERS.

1845.

Nous sommes bien en retard avec M. Thiers: il est à la veille de publier son Histoire du Consulat et de l'Empire, et nous ne lui avons pas encore payé l'examen qui lui est dû comme à l'historien le plus populaire de la Révolution, au publiciste le plus habile et le plus considérable qu'ait porté la presse libérale des quinze ans. Nous allons tâcher de le faire ici, en nous tenant pour plus de simplicité à l'écrivain, et en laissant en dehors l'orateur et l'homme politique qui a grandi depuis, et qui s'est de plus en plus développé à travers des phases diverses, et qui n'a pas encore donné son dernier mot. M. Thiers, à dater du jour de son arrivée d'Aix à Paris jusqu'au manifeste du National le 27 juillet 1830, c'est là notre sujet pour le moment; et le sujet est riche, il est attrayant et varié, il prête déjà, dans ces limites où nous le circonscrivons aujourd'hui, à un jugement d'ensemble, à un jugement impartial, incontestable, bien actuel pourtant, et dont plus d'un trait se reflétera sur les circonstances présentes de ce mer

veilleux esprit, si fécond chaque jour en preuves nouvelles. La carrière de M. Thiers se partage en deux moitiés distinctes, et il a su déjà se faire tout un passé; et à travers tout, comme jet naturel, comme vivacité brillante et fraîcheur, jamais esprit n'est resté plus voisin de sa source et plus le même.

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Né à Marseille en 1797, élevé à titre de boursier au lycée de sa ville natale, M. Adolphe Thiers alla, vers la fin de 1815, suivre les cours de droit à la faculté d'Aix. Dans les hautes classes de ses études à Marseille, il était devenu, nous dit-on, assez bon humaniste et latiniste, mais surtout il avait poussé les mathématiques en vue de la carrière militaire, à laquelle tout alors se reportait. L'Empire tombant, il se tourna vers le droit et commençait à y réussir. Ces années d'études à Aix ont laissé des traces. C'est là qu'il se lia avec M. Mignet de cette inaltérable et indissoluble amitié qui les honore tous les deux, d'une de ces amitiés que si peu d'hommes de talent savent continuer inviolable entre eux après la jeunesse. Tout en s'appliquant sérieusement à sa profession d'avocat, M. Thiers s'occupait beaucoup, à cette époque, de philosophie, de haute analyse spéculative, soit mathématique, soit même méaphysique; l'optimisme de Leibniz le tentait, et Descartes ne lui était pas du tout indifférent. Cette préoccupation chez un esprit aussi pratique, et qui s'en est montré assez dégagé depuis, pourra paraître singulière à ceux qui ne savent pas combien ces natures actives qu'on voit aboutir ensuite sur tel ou tel point ont été capables, dans leur avidité première, de toutes sortes d'essais,

d'entrains curieux en tous sens et de préparations studieuses. On a quelque témoignage de cette veine de réflexions philosophiques et morales dans un Eloge de Vauvenargues, sujet qu'avait proposé l'Académie d'Aix, et pour lequel M. Thiers obtint le prix. Ce prix pourtant ne fut point remporté d'emblée, et l'anecdote s'en est conservée assez piquante. Dans cette ville du Midi, toute fervente encore des passions de 1815, le jeune avocat libéral était fort protégé et encouragé par un magistrat de vieille roche, M. d'Arlatan de Lauris, qui goûtait son esprit et présageait ses talents. A la vivacité avec laquelle M. d'Arlatan défendit au sein de l'Académie le discours anonyme, mais qui n'était pas un secret pour lui, les adversaires politiques devinèrent qu'il s'agissait de M. Thiers, et ils s'arrangèrent pour faire remettre le prix à l'année suivante, comme si le morceau ne se trouvait digne en effet que du second rang. Le lauréat évincé ne se tint pas pour battu, et aux approches du terme fixé, il fabriqua en toute hâte un nouveau discours, qu'il fit cette fois arriver de Paris par la poste. Le secret fut bien gardé. La cabale s'empressa, comme c'était immanquable, d'admirer l'éloge nouveau-venu et de l'opposer au précédent, si bien qu'on lui décerna le prix, et à l'autre seulement l'accessit. Or, en décachetant les noms, il se trouva que tous deux étaient de M. Thiers. Qui fut confus? messieurs les académiciens. Qui rit de bon cœur ? M. d'Arlatan. Cette espiéglerie, venant couronner le vrai talent, eût achevé d'établir à Aix la réputation du jeune avocat, si M. Thiers n'était parti vers ce temps-là même pour la capitale.

Nous retrouvons dans un article du Constitutionnel (30 novembre 1821) un extrait de cet Eloge de Vauvenargues et les principaux points que le jeune auteur y avait touchés; Montaigne, La Rochefoucauld, La Bruyère, y ont chacun leur esquisse au passage, et ces appréciations des moralistes par une plume de vingt-trois ans nous semblent justes autant que délicates, et de cette netteté déjà dont l'heureux style de M. Thiers ne se départira jamais. A propos de Montaigne, par exemple, il dira:

« Montaigne, élevé dans un siècle d'érudition et de disputes, accablé de tout ce qu'il avait lu, et n'y trouvant aucune solution positive, préfère le doute comme plus facile, et peut-être aussi comme plus humain, dans un temps où l'on s'égorgeait par conviction. Aimant tout ce qu'aimait Horace, et comme lui placé dans un siècle où il n'y avait pas mieux à faire, il célèbre le plaisir, le repos, et se fait une voluptueuse sagesse. Parlant de lui-même naturellement et volon tiers, écrivant avant le règne des bienséances, il est naïf, original, un peu cynique; il fatigue par son érudition, qui est de trop dans son livre comme dans sa tête; il doit beaucoup au tour piquant de son esprit, mais beaucoup à sa langue; il instruit, mais plus souvent il fournit, pour les vérités usuelles, des expressions inimitables. Tout homme qui aime une heureuse oisiveté, qui au milieu des guerres civiles ne sait où est la patrie, au milieu des disputes où est la vérité; qui est prudent, réservé, franc toutefois, parce qu'il s'estime, cet homme sera Montaigne, c'est-à-dire un indifférent que Solon eût condamné, mais dont nous aimons, nous, la douceur, la grâce et la prudence. »

La Bruyère n'y est pas moins justement saisi, et on y peut noter un trait de finesse pénétrante:

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