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tous (1). Il lui dut lui-même ses principales ressources au début et comme la mise en train de son œuvre. Froissart au point de départ, Comines au point d'arrivée, les deux termes du voyage étaient rassurants, et le chemin entre les deux n'était pas dépeuplé de pèlerins et de conteurs, Monstrelet, le Religieux de Saint-Denis et bien d'autres.

Il sembla donc à M. de Barante que, par une construction artistement faite de ces scènes originales et en se dérobant soi-même historien, il était possible de produire dans l'esprit du lecteur, à l'occasion des aventures retracées de ces âges et avec l'intérêt d'amusement qui s'y mêlerait, une connaissance effective. et insensiblement raisonnée, un jugement gradué et fidèle. Il pensa que rien qu'avec des récits contemporains bien choisis, habilement présentés et enchâssés, on pouvait non-seulement rendre aux faits toute leur vie et leur jeu animé, mais aussi en exprimer la signification relative (2). .. vena plaider dans sa préface contre l'histoire officielle et oratoire, il n'a jamais demandé, il n'a pu dem ander que l'histoire vraiment

(1) M. Dacier avait commencé une édition des Chroniques de Froissart, mais qui fut interrompue par la révolution. La nouvelle édition complète, publiée par les soins de M. Buchon, parut en 1824. M. de Barante avait donné l'article Froissart dans la Biographie universelle (1816); sa prédilection s'y déclare.

(2) « M. de Barante se fait chroniqueur dans son Histoire des Ducs de Bourgogne, laissant, dit-il, parler les faits, laissant les temps se raconter eux-mêmes, mais leur soufflant tout bas tout ce qu'ils doivent dire. » (Cours de littérature de M. Vinet, Lausanne,

philosophique fût supprimée; il n'a pas dit, à le bien entendre, il n'a pas cru que l'histoire morale, celle des Tacite, des Salluste et des grands historiens d'Italie, dût cesser d'avoir ses applications diverses, surtout à des époques moins extérieures et plus politiques, aux époques d'intrigue et de cabinet mais, ce jour-là, il demandait pour le genre qui était le sien, pour cette méthode appliquée une fois à une époque particulière qui y prêtait, il demandait place au soleil et admission légitime, et, en homme d'esprit, il a trouvé à ce propos toutes sortes de raisons et de motifs qu'il a déduits; et il en a su trouver un si grand nombre là même où l'on s'était dit qu'il y avait objection, qu'on a pu croire que les conclusions chez lui dépassaient le but. Il ne voulait, en effet, qu'autoriser auprès du public l'imprévu de son essai, et l'essai, dans ces limites précises, a complétement réussi.

On n'attend pas que nous nous engagions dans une analyse, que nous allions resserrer ce que l'auteur, au contraire, a voulu étendre, que nous décolorions ce qu'il a laissé dans sa fleur de récit. M. de Barante a eu l'honneur, en ce grand mouvement historique qui fait encore le lot le plus clair de notre moderne conquête, d'introduire une variété à lui, un vaste échantillon qu'il ne faudrait sans doute pas transposer à d'autres exemples, mais dont il a su rendre l'exception d'autant plus heureuse en soi et plus piquante. Il a osé lutter avec le roman historique, alors dans toute sa fraîcheur et sa gloire, il l'a osé presque sur le même terrain, avec des armes plutôt inégales, puisque la fic

tion lui était interdite, et il n'a pas été vaincu. Son Louis XI, pour la réalité et la vie, a soutenu la concurrence avec Quentin Durward. Si l'on voulait citer des morceaux, on aurait la bataille d'Azincourt, le meurtre de Jean sans Peur, l'épisode de la Pucelle, la rentrée de Charles VII, à Paris opposée à celle du roi anglais Henri VI, et tant d'autres pages d'émotion ou de couleur; mais ce serait faire tort et presque contre-sens à la méthode de l'auteur que de se prendre ainsi à des morceaux, là où il a voulu surtout le développement varié et continu. Un critique historique distingué et modeste (1), qui a pu, dans le Globe, entretenir le public jusqu'à six fois, et toujours avec intérêt, des livraisons successives des Ducs de Bourgogne, s'est appliqué à faire ressortir ce qui résultait des divers tableaux en conséquences politiques et en déductions morales sur le caractère des hommes et des temps; il s'est plu à ajouter au fur et à mesure cette pointe de conclusion que le narrateur précisément se retranchait. A voir combien il y a peu à mettre pour tirer cette conclusion et la faire sentir, on se demande avec le critique pourquoi cette discrétion extrême. Est-ce exagération d'un système absolu dont un homme d'esprit a peine luimême à se défendre? N'est-ce pas plutôt nécessité et convenance d'une méthode une fois adoptée? Il fallait conserver à tout le livre sa couleur, son unité, se priver de quelques avantages pour en recueillir d'autres. En un mot, s'il m'est permis de reprendre une image déjà

(1) M. Trognon.

employée, une fois entré en lice avec le roman historique, et le tournoi ouvert aux yeux des juges, il fallait tenir la gageure et ne pas recourir aux armes défendues.

Et n'est-ce pas un peu ainsi que le bon sire de La Laing faisait, aux prises avec le chevalier anglais, en ce galant tournoi de Bruges? C'était l'âge des joutes magnifiques; l'historien s'en est posé une à lui-même, avec les règles du combat.

Il n'en restera pas moins vrai en principe que, puisqu'après tout l'historien fait toujours quelque peu l'histoire, soit qu'il articule à l'occasion ses pensées, soit qu'il se borne à extraire, à disposer les faits de manière à produire indirectement l'effet qu'il désire, il n'y a pas lieu, dans le champ ordinaire de ce noble genre, à tant de scrupule artificiel, à tant d'effacement de soi, à tant de confiance surtout en la réflexion du lecteur. Il est des moments, rares, il est vrai, mais indiqués, où l'historien intervient à bon droit dans le fait et le prend en main; et, quand le lecteur sent qu'il a affaire à une pensée ferme et sûre, il aime cela.

Au reste, à mesure que M. de Barante avançait dans son histoire et qu'il l'embrassait tout entière, il se trouvait insensiblement poussé à en tirer plus qu'il n'avait prévu d'abord. Dans les derniers volumes, or l'a remarqué, les tableaux se resserrent; il est condui à laisser moins aisément courir sa plume à la suite des vieux chroniqueurs. C'est surtout dans la lutte de Louis XI et de Charles le Téméraire que cet état se marque le mieux, et en même temps son opinion se

fait jour. Que le Charles XII d'alors se précipite fatalement par ses fautes, que Louis XI s'éteigne à petit feu dans ses hypocrites intrigues, l'historien saura faireentendre le jugement des peuples sur leur tombe. Un sentiment moral, sympathique, humain s'exhale partout de ces pages, qui n'affectent point de rester froides. en se montrant plus colorées. Impuissant que je suis à apporter mon tribut en telle matière et à payer un hommage tout à fait compétent à l'auteur, soit par une approbation approfondie, soit même sur quelques points par une contradiction motivée, je veux du moins signaler, à propos de cette héroïque destinée de Charles le Téméraire, quelques renseignements peu connus, quelques vues neuves que j'emprunterai aux recherches d'un savant étranger, non point étranger par la langue. Les grands désastres de Charles appartiennent en propre à l'histoire de la Suisse, dont ils sont comme le plus glorieux butin, et, par cet aspect, ils ont rencontré naturellement pour narrateur et pour peintre l'admirable Jean de Muller, le plus antique des historiens modernes. Or, à la suite de la traduction récente due à la plume de M. Monnard (1), on trouve dans les tomes VII et VIII, à titre d'appendice, d'excellentes dissertations de M. de Gingins, qui prennent ces événe

(1) Cette histoire, exactement traduite, savamment annotée, et à laquelle MM. Vuillemin et Monnard donnent des suites développées qui s'étendront jusqu'à nos jours, mériterait un examen tout particulier, qui rappellerait utilement l'attention sur ces hauts mérites et ces originales beautés, si austères à la fois et si cordiales de Jean de Muller.

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