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PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST.

1842.

J'ai tant de respect pour l'histoire, que je ne l'aborde jamais qu'avec crainte et à mon corps défendant. Elle est chose grave, sacrée (1), et pourtant il entre à vue d'œil toutes sortes de hasards dans sa constitution, bien du factice et du convenu dans sa vérité définitive. A exami- . ner attentivement les faits contemporains, à suivre quelques-uns de leurs courants si ondoyants et si di

(1) Quanta potestas, quanta dignitas, quanta majestas, quan,tum denique numen sit historiæ..... » a dit magnifiquement Pline (lettre 27, liv. IX).

vers, il semble qu'il sera impossible de les fixer avec étendue et variété. Puis vient un moment où, en s'éloignant des objets, on sent le besoin de se décider dans le point de vue et d'en finir. Plus ou moins de vérité dans le détail n'y fait plus guère rien : l'historien, d'autorité, intervient et redresse les témoins. L'essentiel est que la chose générale subsiste et reste établie dans une teneur quelconque qui ne soit pas trop contraire à la réelle, mais qui surtout aboutisse et se rapporte aux chemins nouveaux. Ces chemins, il est vrai, tournent et changent en avançant; chaque siècle se voit tenté de refaire à son usage l'histoire du passé. Les témoins n'y sont plus, on a le champ plus libre. Les textes sont innombrables et contradictoires, ou très-rares et très-limités : on les remet en question, on les trie, on les tire. De là mille schismes qui incessamment recommencent. Ce qui est bien certain, c'est qu'il faut aux peuples une histoire, comme il leur faut une religion.

J'ai souvent aimé à me figurer, moyennant quelques images qui parlent aux yeux, ces degrés successifs d'approximation, en quelque sorte décroissante, par où passe inévitablement l'histoire, toujours refaite à l'usage et dans l'intérêt des vivants. La réalité des choses, à chaque moment, me fait l'effet d'une grande mer plus ou moins agitée; les événements qui surgissent et aboutissent sont les vagues dont se compose la surface mobile; mais, sous ces vagues apparentes, combien d'autres mouvements plus profonds, plus essentiels, bien qu'avortés et sourds, de qui les derniers dépendent, et que pourtant il n'est donné à nul œil

de sonder ! Aussi le philosophe, on le conçoit, n'attache pas une très-grande importance, une importance absolue, à la forme extérieure de l'histoire qu'il voit éclore en son temps et prendre sous ses yeux : ce n'est pour lui qu'une écorce et qu'une croûte qui pouvait lever de bien des façons.

Cependant, une fois la surface levée d'une certaine façon, une fois les événements accomplis, il n'y a pas moyen de revenir. Historiquement parlant, il n'y a plus qu'une forme à étudier, celle qui s'est produite et qui apparaît. Si l'histoire prétendait reproduire exactement la réalité même, elle devrait viser à être le miroir de cet océan mobile, de cette surface perpétuellement renouvelée, ce qui devient impossible. L'histoire n'est pas un miroir complet ni un fac-simile des faits; c'est un art. L'histoire, quand on parvient à la construire, est un pont de bateaux qu'on substitue et qu'on superpose à cet océan dans lequel, si on voulait s'y tenir, on se noierait sans arriver. Moyennant le pont, on élude ces flots sans fin; on les traverse sur bien des points; on va de Douvres à Calais. Il suffit pour la vérité historique relative que le pont soit, autant que possible, dans quelqu'une des directions principales, et porte sur quelqu'un des grands courants.

Mais le pont de bateaux ne se fait pas toujours; les matériaux manquent ou se perdent; il ne se trouve plus que des jalons, et de place en place, après l'orage, des massifs de pièces interrompues et pendantes. Qu'on veuille réfléchir à l'immensité du champ histo

rique; à part deux ou trois époques d'exception, presque tout est ainsi. Comment suppléer et achever? Le moment vient assez vite où l'on n'a plus à espérer de découvertes, et où l'on n'a plus décidément affaire qu'à un certain nombre de textes, de fragments déterminés. C'est avec cela qu'il faut refaire la ligne, ou la déclarer incomplète. Ici commence le triomphe et l'interminable dispute des érudits.

J'aime avant tout la méthode d'un esprit ferme, positif, inexorable, qui me dénombre et me déduit les faits, les points précis, et me dit: Rien au delà. Je sais à quoi m'en tenir, et si ma conjecture va son train, je sais qu'elle est conjecture.

J'aime aussi (sauf retour) la méthode d'un esprit ingénieux, hardi, habile, plein de mouvement, qui ose deviner, reconstruire, et qui m'associe à ses courageuses et doctes aventures.

M. le comte de Saint-Priest vient d'entrer de la sorte avec nouveauté dans une carrière qui, depuis quelques années, avait été parcourue et illustrée en divers sens. Le fort de son livre, qui embrasse une très-vaste étendue historique, porte principalement sur l'origine de la royauté moderne et tend à débrouiller encore une fois les époques mérovingienne et carlovingienne. Arrivé le dernier, il a trouvé moyen d'y jeter toutes sortes de vues nouvelles, inattendues. Ces époques, en elles-mêmes si ingrates et si obscures, sont devenues désormais comme un champ-clos brillant où non-seulement les érudits, mais des écrivains éloquents, arborent leurs couleurs et brisent des lances. Il est vrai que, si

l'on n'y prend pas garde, la multiplicité des lumières va y refaire jusqu'à un certain point l'effet de l'obscurité primitive. A force d'explications et d'éclairs contradictoires qu'on fera jaillir des mêmes textes, il semblera évident que nulle explication n'est la décisive.

Un premier tournoi eut lieu sur ce même terrain et occupa tout le xvme siècle. Il s'ouvre par les écrits du comte de Boulainvilliers et va jusqu'à ceux de l'historiographe Moreau. M. Augustin Thierry en a tracé un savant et lucide exposé dans les belles Considérations qui précèdent ses Récits merovingiens. Chaque élément est tour à tour en jeu et court sur le tapis, selon le préjugé de l'auteur qui le fait valoir, l'élément aristocratique et frank avec Boulainvilliers, l'élément municipal et gallo-romain avec Dubos, le démocratique avec Mably, le monarchique avec Moreau. Quand le tour des rôles fut épuisé, quand tous les numéros historiques furent sortis, il y eut clôture. Puis de nos jours, sous une autre forme, la discussion a été reprise, et l'on peut dire que le tournoi a recommencé. Et d'abord il a semblé que ce n'était plus un tournoi. Les documents se présentaient plus nombreux, plus complets, et éclairés par un sens historique tout neuf, par une comparaison très-attentive. Il n'y avait plus d'ailleurs de préjugé dominant (les contemporains n'ont jamais de préjugés); enfin on se serait cru d'accord. Pourtant dans ces importants travaux de M. Guizot, de M. Augustin Thierry et de son frère Amédée, de M. de Chateaubriand en ses Études historiques, de M. de Sismondi, de M. Fauriel, on trouverait lieu de noter au

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