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eu trop prolongé, à ces douceurs volages dont, plus jeune, il avait dit :

Sur les plaisirs de mon aurore

Vous me verrez tourner des yeux mouillés de pleurs,
Soupirer malgré moi, rougir de mes erreurs,

Et même en rougissant les regretter encore.

On crut déjà remarquer, dans les nudités de ce badinage, quelque recherche d'invention et d'expression; mais, dans son poëme des Rose-Croix (1807), ses admirateurs eux-mêmes se virent forcés de reconnaître de l'obscurité et de la sécheresse, défauts les plus opposés à sa vraie manière. C'était un signe pour Parny de s'arrêter. Il parut le comprendre et ne fit à peu près rien depuis ce temps, rien que des bagatelles plus ou moins gracieuses, dont la négligence ne pouvait compromettre sa gloire. Cette gloire était réelle, et, malgré les quelques éclipses et les taches qu'elle s'était faites à elle-même, on la trouve, vers 1810, universellement établie et incontestée. Marie-Joseph Chénier, dans ce qu'il dit du poëte en son Tableau de la Littérature, n'est qu'un rapporteur fidèle. Parny avait la position et le renom du premier élégiaque de son temps et, pour mieux dire, de toute notre littérature; comme Delille, comme Fontanes à cette époque, il régnait, lui aussi, à sa manière, bien que dans un jour plus voilé et plus doux. Tout en se tenant dans son coin (c'était son mot), il avait conscience de ce rang élevé, de ce rang premier, et en usait avec modestie, avec bienveillance pour les talents nouveaux, avec

autorité toutefois. On a ses billets et réponses en vers à Victorin Fabre, à Millevoye, à M. Tissot, qui venaient de traduire avec feu les Baisers de Jean Second; aux compliments gracieux qu'expriment ces petits billets rimés, il savait mêler en simple prose et dans la conversation des conseils d'ami et de maître (1).

Parny se montrait très-opposé, et presque aussi vivement qu'aurait pu l'être un critique de profession, au goût nouveau qui tendait à s'introduire et dont les essais en vers n'avaient rien, jusque-là, il est vrai, de bien séduisant. On peut douter qu'il se fût jamais converti, même en voyant des preuves meilleures

(1) Voici, par exemple, une de ses lettres adressée à M. Tissot, au sujet de la traduction en vers des Bucoliques, dont ce dernier préparait, vers 1812, une seconde édition; on y sent bien la netteté et la précision qui étaient familières à Parny:

< Lundi, 21.

Point de notes marginales, mon cher Tissot; elles sont toujours incomplètes et insuffisantes. Telle critique nécessiterait deux pages d'écriture; et même ces deux pages diraient mal et ne diraient pas du tout. Venez demain mardi; nous serons seuls depuis onze heures du matin jusqu'à neuf heures du soir, y compris la demi-heure du diner.

• Vous savez que je ne suis pas maître de mes idées; quand elles arrivent, elles m'entraînent. Prenez-moi donc dans le moment où ma tête est vide.

• Vous avez un rival, et ce rival est dangereux (Millevoye). S'il ne serre pas d'assez près l'original, il rachètera en partie ce défaut par l'élégance et l'harmonie du style. Aussi vous me trouverez sévère, sévérissime. «Faites-moi un mot de réponse par Desmarets.

P.>

On aura remarqué cette espèce d'aveu que fait Parny qu'il n'est pas maître, à certains moments, de ses idées, et que sa verve l'emporte c'est qu'en effet, sous sa froideur apparente et sa sobriété habituelle de langage, il avait, jusqu'à la fin, de ces courants secrets et rapides de pensée qui tiennent aux poëtes; aux saisons heureuses, et quand il ne fait pas encore froid au dehors, cela s'appelle la veine.

Il est au contraire très-aisé de soupçonner ce qu'il aurait pensé des tentatives et des élancements mystiques de la lyre nouvelle, et on croit d'ici l'entendre répéter et appliquer assez à propos à plus d'un poëte monarchique et religieux de 1824, à certains de nos beaux rêveurs langoureux et prophètes (s'il avait pu les voir), qui, en ce temps-là, mêlaient par trop le psaume à l'élégie et tranchaient du séraphin :

Cher Saint-Esprit, vous avez de l'esprit,
Mais cet esprit souvent touche à l'emphase :
C'est un esprit qui court après la phrase,
Qui veut trop dire, et presque rien ne dit.
Vous n'avez pas un psaume raisonnable.
L'esprit qui pense et juge sainement,
Qui parle peu, mais toujours clairement
Et sans enflure, est l'esprit véritable.

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C'est assez dire d'ailleurs combien il n'eût rien entendu, selon toute probabilité, aux mérites sérieux, aux qualités d'élévation et de haute harmonie qui sont l'honneur de cette lyre moderne. Parny était demeuré, à bien des égards, le premier élève de Voltaire; il est vrai qu'on doit vite ajouter, pour le définir, qu'il a été le plus racinien entre les voltairiens.

Dans l'habitude de la vie, surtout vers la fin, il restait assez volontiers silencieux, et pouvait paraître méJancolique, ou même quelquefois sévère. La maladie qui le retint, qui le cloua chez lui à partir de 1810, et dont l'un des graves symptômes était une enflure progressive des jambes, dut contribuer à cette altération de son humeur. Avant ce temps, il était de belle taille,

mince, élégant; il eut toujours l'air très-noble, et l'âge lui avait dessiné un profil qui rappelait, par instants, celui de Voltaire, mais un profil bien moins accusé, très-fin, et qu'Isabey a si délicatement touché de son crayon. A considérer l'original de ce portrait, je songeais qu'il en est un peu pour nous du talent de Parny comme de ce profil, et qu'il a besoin d'être bien regardé pour qu'on en saisisse aujourd'hui le trait léger, le tour presque insensible. L'aimable Isabey, que j'interroge, traduit lui-même et complète d'un mot mon impression en disant du visage et de la physionomie de Parny: C'était un oiseau. Parny, comme on peut croire, avait le ton de la meilleure compagnie; point de bruit, point de fracas, rien de tranchant. Il parlait, ai-je dit, avec un petit défaut de prononciation : c'était un parler un peu court, un peu saccadé, pourtant agréable et doux; quand il s'animait, son feu se faisait jour, et sa conversation, sans y viser, arrivait au brillant et au charme. A ces sorties trop rares, on sentait que le poëte en lui aimait à se retirer au dedans, mais qu'il n'avait pas péri.

Parny mourut le 5 décembre 1814, avant d'avoir pu même entrevoir le déclin et l'échec de sa gloire. Sa mort, au milieu des graves circonstances publiques, excita de sensibles, d'unanimes regrets, et rassembla, un moment, tous les éloges. Comme on avait perdu Delille l'année précédente, on remarquait que c'était ainsi que, dans l'antiquité, Virgile et Tibulle s'étaient suivis de près au tombeau. Certes, Parny était bien, en toute légitimité, un cadet de Tibulle, comme il

s'intitulait lui-même modestement, tandis que Delile n'était au plus que l'abbé Virgile. Béranger, alors à ser, débuts, pleura Parny par une chanson touchante et filiale; elle nous rappelle combien son essaim d'abeilles, avant de prendre le grand essor et d, s'envoler dans le rayon, avait dû butiner en secret et se nourrir au sein des œuvres de l'élégiaque railleur. Il est à croire que, si l'on avait conservé quelques-unes de ces élégies toutes premières de Lamartine qui ont été jetées au feu, on aurait le lien par lequel ce successeur, trop grand pour être nommé un rival, se serait rattaché un moment à Parny. Voilà tout ce qu'il m'a été possible de ramasser et de combiner ici sur le gracieux poëte, trop longtemps oublié de nous; et je n'ai voulu autre chose, en produisant ces divers souvenirs et ces jugements, que lui apporter en définitive un hommage, de la part de ceux-là même qui eussent le moins trouvé grâce devant lui.

1er décembre 1844.

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