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Je ne saurais non plus accorder que la plaisanterie de Bayle soit presque toujours lourde et vulgaire. Que cette plaisanterie et l'habit qu'elle porte ne soient plus de mode, à la bonne heure! Que ce soit un habit de savant, et qui même n'ait jamais été à aucun moment taillé dans le dernier goût, c'est très-vrai encore. Mais sous cette coupe un peu longue et ces manches qui dépassent, prenez garde, l'ongle s'est montré, non-pas du tout un ongle de pédant, il a la finesse. Ce ne sont là, au reste, que de simples points; l'ensemble des conclusions, même en ce qu'elles parurent avoir d'abord de rigoureux, demeure approuvé.

Vers le temps de la publication de cet ouvrage, la situation politique de M. de Barante commençait à se dessiner avec distinction. Simple auditeur au Conseil d'État vers 1805, s'il se sentait peu favorable d'affection au gouvernement impérial, il ne s'en montra que plus strict dans l'accomplissement de ses devoirs. Sa liaison avec Coppet, ses visites à Mme de Staël durant le séjour, ou, comme on disait, l'exil d'Auxerre, tout cet attrait prononcé pour une noble disgrâce, ne laissaient pas d'introduire des chances périlleuses dans sa carrière, dans celle même de son père vénéré (1). Il dut y avoir là des luttes morales, touchantes, qu'on ne peut s'empêcher de soupçonner, qu'il ne nous appartient pas de sonder dans toutes leurs délicatesses. Le gouvernement d'alors était très-ombrageux sur les moin

(1) M. de Barante père fut révoqué de sa préfecture de Genève à la fin de 1810.

dres affaires d'écrivain. Un article du Publiciste dans lequel, à propos de la Mort d'Henri IV de Legouvé, M. de Barante, sous le voile de l'anonyme, soutenait les avantages de la vérité historique au théâtre, le mit en contradiction avec Geoffroy. Le Publiciste, toujours sous les mêmes initiales (A. M., je crois), soutint sa thèse. Geoffroy lança une réplique violente, au moins eu égard au diapason du temps. Cela fit bruit, et le jeune auditeur fut envoyé en Espagne pour y porter des dépêches. Plus tard, après Iéna, M. de Barante eut une mission en Allemagne; il séjourna à Breslau. Ce spectacle des pays conquis et de l'odieuse administration qui pesait sur eux, frappa vivement son âme équitable et compatissante; il n'en put contenir l'impression en écrivant à son père. Que la lettre ait été interceptée ou non, il fut rappelé peu après et nommé souspréfet à Bressuire. Cette nouvelle destination, qui lui procurait solitude et loisir au fond du Bas-Poitou, lui convenait; c'est à ce moment qu'il recueillit ses idées sur la littérature du xvIIe siècle et en rédigea le tableau. Il traduisait aussi dès lors la plupart des pièces dramatiques de Schiller, dans la compagnie de M. de Chamisso. Bientôt un mariage selon ses vœux allait fixer son bonheur et enchaîner sa destinée avec grâce à l'un des noms les plus aimables du siècle illustre qu'il venait de juger (1). Vers le même temps il faisait de près connaissance avec les Vendéens, avec l'héroïque famille de la Rochejaquelein. En écoutant ces souvenirs

(1) Mme de Barante est une d'Houdetot.

encore fervents, et dont chaque coin de haie gardait l'écho, l'idée lui venait d'en faire part un jour au public, de mettre du moins sa plume au service d'une pieuse et honorable confidence.

Il la méritait à bien des titres. Son administration, en ces temps et en ces lieux difficiles, lui valut tous les suffrages, toutes les affections. Préfet de la Vendée en 1809, puis à Nantes à dater de 1813, il eut à contenir bien des mécontentements, à amortir bien des rigueurs, à concilier les devoirs du fonctionnaire et ceux de l'homme. Ce serait trahir ici ces choses généreuses que d'y insister. Contentons-nous d'en atteindre le bienfait, en quelque sorte, dans les Mémoires de Mme de La Rochejaquelein, produit littéraire heureux de cet esprit de conciliation et de sympathie, fruit charmant né, pour ainsi dire, de cette greffe des deux France.

Ces Mémoires, qui parurent à la première Restauration et qui en promulguaient assurément les titres les plus glorieux, n'avaient d'ailleurs (est-il besoin de le dire?) aucune prétention littéraire à proprement parler. Expression fidèle de la pensée de l'auteur, ils étaient seulement redevables à M. de Barante de ces soins de révision et de correction, dont le plus vrai succès consiste à ne laisser aucune trace d'eux-mêmes. La description du Bocage, dans le troisième chapitre, était toute de lui; la préface en prévenait le lecteur, sans quoi on n'eût point songé à isoler le morceau, tant le tout se fondait avec goût et courait avec une grâce sévère. Pas un trait n'altérait la simplicité touchante,

qui seule convenait au témoignage des grandes choses et des hautes infortunes dans la bouche de la noble veuve de Lescure. Le concert des deux auteurs, en un mot, avait été si parfait, que rien n'avertissait qu'il y en eût un et que toute idée d'auteur disparaissait. On lut avec émotion, on connut pour la première fois dans son entière sincérité cet épisode unique, cette première Vendée restée la plus grande et la seule vraiment naïve; on salua, on suivit avec enthousiasme et avec larmes ces jeunes et soudaines figures d'une Iliade toute voisine et retrouvée à deux pas dans les buissons et derrière les haies de notre France; ces défis, ces stratagèmes primitifs, ces victoires antiques par des moyens simples; puis ces malheurs, ce lamentable passage de la Loire, ce désastre du Mans, cette destruction errante d'une armée et de tout un peuple. La vieille France, après cette lecture, pouvait tendre la main à l'autre, sans se croire trop en reste de gloire et de martyre : Moscou et le Mans, la Bérésina et la Loire ! Qu'importe l'espace et le lointain? ne voyez que l'héroïsme. La Vendée enfin avait trouvé pour sa digne époque un historien. Il existe un manuscrit des Mémoires dans lequel on lit (j'ai pu m'en assurer) des détails intéressants que l'imprimé ne reproduit pas toujours. Il en est sur les premières années de Mme de Lescure avantson mariage, sur Versailles au 5 octobre, et sur Paris au 10 août. Il en est d'autres qui ajouteraient dans quelques points aux informations particulières sur les dissidences des chefs entre eux. On conçoit que des considérations personnelles, des ménagements dus à

des souvenirs si saignants, aient imposé quelques réticences; mais les années, en avançant, permettent beaucoup (1).

La Restauration, au moins au début, semblait remplir un des vœux de M. de Barante; ses liaisons sociales, on l'a vu, ses goûts modérés, ses lumières, et, pour les nommer par leur nom, ses vertus civiles, le disposaient à l'ordre constitutionnel sagement entendu, c'està-dire à ce qu'on augurait du régime nouveau. Démissionnaire de sa préfecture durant les Cent-Jours, il devint, à la seconde rentrée, secrétaire général de l'intérieur, puis directeur général des contributions indirectes, et il ne quitta cette position qu'à la retraite de ses amis doctrinaires, quand ils firent leur scission avec le second ministère de M. de Richelieu. Il crut

(1) Le prince de Talmont, on le voit par les Mémoires imprimés, était celui de tous les chefs qui, par ses antécédents et son caractère, se trouvait le moins en accord avec ces mœurs simples, frugales, chrétiennes, et avec cette espèce d'égalité fédérale des gentilshommes vendéens. Arrivé d'hier de Versailles, tout plein des habitudes du bel air, il mettait au service de la cause, les jours de combat, la plus brillante valeur, après quoi il ne se souciait guère de rien de sage; et, pour ne citer qu'un trait qui le peint, un jour, après ce fatal passage de la Loire, qu'il avait surtout conseillé pour se rapprocher de ses vassaux, ayant trouvé au château de Laval une ancienne bannière de famille, une bannière des La Trémouille, bleu et or, il imagina de la faire porter devant lui. Mais M. de La Rochejaquelein, à la première vue de ce drapeau, le sabra en s'écriant : « Prince, nous ne suivons que les Fleurs de Lis! »> Et c'est ce même prince de Talmont qui, plus tard, lui-même, eut ce mot sublime pour toute réponse aux juges qui l'interrogeaient : « Faites votre métier, j'ai fait mon devoir. »

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