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par choix, à défricher les portions les plus ingrates, ce semble, du champ de l'érudition et de la critique, recueille les fragments des Pères grecs du second siècle ou des historiens ecclésiastiques antérieurs à Eusèbe, rassemble, commente en six mois (1815) les débris, les œuvres authentiques ou supposées de Jules Africain, et semble préluder en ses sillons pénibles avec la vocation opiniâtre d'un Villoison ou d'un Tillemont. Il serait trop extraordinaire pourtant que celui dont on admirera tout à l'heure le génie mâle et la pureté sévère n'eût pris d'abord l'antiquité que par ce côté des rhéteurs, des sophistes ou même des écrivains ecclésiastiques et qu'il eût négligé précisément les chefsd'œuvre de grandeur et de grâce qu'elle nous a légués. C'est que Leopardi, en effet, ne les négligeait pas; son ardeur studieuse suffisait à tout, et dans les essais de sa jeunesse, dans ceux particulièrement qui marquent sa collaboration au Spectateur (1) de Milan durant les années 1816-1817, on trouverait bon nombre de morceaux de lui qui préparent et dénoncent le poëte. Il ne se contente pas de disserter sur la Batrachomyomachie, il la traduit en vers, en sizains coulants et faciles, comme aussi il fera pour le Moretum de Virgile. Il ne se borne pas à éclaircir en critique les circonstances peu connues de la vie de Moschus, il aspire à en vulgariser les charmantes idylles en sciolti plus ou moins fidèles, premier coup d'essai, que bientôt son goût plus mûr répudiera. L'Odyssée le tente; pour être plus à

(1) Lo Spettatore, revue bi-mensuelle.

l'aise en son entreprise, il n'a pas lu les deux premiers chants publiés à cette date par Pindemonte, et il marche seul et ferme en présence de son modèle, s'appliquant à en reproduire et presque à en calquer les traits de couleur et de caractère. En tête d'un fragment traduit de la Theogonie d'Hésiode (la bataille des Dieux et des Titans) il se livre à des réflexions approfondies et vives sur le mérite propre de cette poésie d'Hésiode, surtout dans les Travaux et les Jours; il la met presque au-dessus de celle d'Homère pour une certaine sincérité et ingénuité incomparable (schiettezza), il incline fort à la croire du moins supérieure en âge, et à ce propos il s'étend sur les conditions diverses qu'exige la traduction des poëtes anciens. Ici se déclare le studieux et passionné disciple, dont toute l'émulation va d'abord à les adorer. Il s'estimerait à jamais heureux de s'enchaîner comme traducteur à quelque illustre classique des premièrs âges: « Qui ne sait, s'écrie-t-il, que Caro vivra autant que Virgile, Monti autant qu'Homère, Bellotti autant que Sophocle? Oh! la belle destinée, de ne pouvoir plus mourir sinon avec un immortel! >> Des jugements très-particuliers sur les divers traducteurs italiens les plus admirés montrent à quel point ces questions de style l'occupaient, et combien il travaillait déjà à tremper le sien. Il insiste surtout (avec toutes sortes de précautions et de révérentes excuses) sur ce qu'Annibal Caro, en donnant à sa traduction de Virgile une couleur de simplicité aimable et de noble familiarité, un certain air dégagé (scioltezza) ou, si l'on veut de désinvolture, a légèrement faussé la noblesse de ton

et la magnificence habituelle de l'original. Il en vient à conclure que le style de Parini serait plus sincèrement virgilien que celui de Caro. Lui-même, en 1817, il publia un essai de traduction en vers du second livre de l'Eneide qu'il admirait entre tous les autres, et qu'il ne lisait jamais sans larmes.

Ce goût philologique qu'il avait développé et aiguisé dans la lecture des anciens, Leopardi le portait aussi dans l'étude et l'usage de sa propre langue; il revenait à Dante et aux vrais maîtres d'avant la Crusca. Une petite dissertation sur le participe reso (pour renduto) et le verbe sortire (dans le sens de uscire), que la Gazette de Milan avait compris en une même condamnation, atteste à quel point il ne laissait passer aucun détail, et combien il se préparait à être un vigilant écrivain. Il conclut d'une quantité d'exemples que, des deux mots proscrits par la Gazette puriste, le premier, c'est-à-dire reso, est du très-bon italien, tout à fait usité et recommandable,et que le second, sortire pour uscire, est italien aussi, mais de bas aloi. Quelques années plus tard (1826), Leopardi publiera une traduction d'une ancienne chronique sacrée grecque ou copte (Martyre des saints Pères du mont Sinaï), traduction censée faite sur une version latine par quelque bon Italien du XIVe siècle (1350) en prose contemporaine de celle de Boccace, et il trompera à première vue les connaisseurs les plus exercés. Le vieil Antonio Cesari, grand expert en fait de trecentistes, y fut pris et y donna son approbation. Ainsi, chez nous, Paul-Louis Courier jouait à l'Amyot. C'est par de telles études préparatoires, quand

on ne s'y oublie pas, c'est par de tels ingénieux secrets, longuement médités, que les vrais poëtes savent ressaisir, d'un puissant effort, les langues et les styles aux âges de décadence, parviennent à les arrêter au penchant, ou même leur font remonter avec honneur les pentes glorieuses.

En mai 1817, Leopardi se permettait une autre supercherie qui sent davantage son Chatterton ou son Macpherson; il publiait dans le Spectateur une traduction en vers d'un prétendu hymne grec à Neptune, qu'il donnait comme nouvellement découvert. Le tout était accompagné de notes et de commentaires destinés à jeter une docte poussière aux yeux. Enfin deux odes grecques dans le goût d'Anacréon s'ajoutaient comme provenant du même manuscrit. Leopardi, pour surcroît d'authenticité, produisait le texte de ces deux petites odes (de sa façon), et il s'excusait de ne les point traduire, sur ce qu'on ne traduit pas Anacréon. L'une de ces odes n'offre qu'une des milles variantes de l'Amour enchaîné de roses, l'autre est à la Lune; cette dernière a droit de passer pour un fort gracieux pastiche et trèspropre à faire illusion.

Pour achever de noter ce qu'il y a de mémorable dans ces préludes de Leopardi avant l'âge de vingt ans, j'indiquerai encore une dissertation de lui sur la réputation d'Horace chez les anciens (décembre 1816). Le jeune critique s'autorise d'un passage de Fronton, du silence de Velleius et de quelques autres indices, pour conjecturer qu'Horace, dans le siècle qui suivit le sien et même un peu au delà, était loin d'avoir acquis

cette renommée classique incontestée qui ne s'est consolidée que plus tard. Il y aurait eu, du temps de Fronton, un retour aux anciens, aux plus anciens qu'Horace, et celui-ci en aurait souffert, comme, par exemple, Boileau, de nos jours, a pu souffrir d'un retour vers Regnier. Horace, en effet, selon Leopardi et selon quelques autres, aurait été en son temps un grand novateur, un artiste aussi habile que peu timoré en fait de langage; il s'était de plus montré sévère ou dédaigneux pour ses prédécesseurs, pour Plaute, pour Catulle, et dans cette réaction archaïque un peu tardive, dont Fronton était l'un des chefs, on le lui faisait payer (1).

Cependant, à travers cette diversité de travaux précoces, Leopardi mûrissait au talent, et le poëte original en lui allait éclater. En 1818, c'est-à-dire à vingt ans, il fit imprimer à Rome ses deux premières canzones, l'une à l'Italie, l'autre sur le monument de Dante qui se préparait à Florence. Une troisième parut à Bologne en 1820, adressée à Angelo Mai au sujet de la République, par lui retrouvée, de Cicéron. Le caractère de ces premières pièces et de celles qui suivirent est grandiose, måle, généreux, et d'une inspiration patriotique aussi élevée que douloureuse. Les deux premières canzones avaient en tête une dédicace à Monti:

(1) Une autre cause encore, très-essentielle, de la moindre réputation d'Horace à l'origine : il imitait et reproduisait, comme lyrique, les Grecs (Sapho, Alcée, Bacchylide, Simonide, et tous les autres); et c'était même sa gloire. Mais les Romains avaient sous les yeux les originaux qui, à la rigueur, pouvaient dispenser d'Horace, tandis qu'à nous, Horace nous en tient lieu.

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