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<«<stitutions publiques, et les passions politiques ont « été, sinon toujours dirigées, du moins souvent modé«<rées par les lumières. L'instruction s'est propagée « dans plus de classes de la société, et jusque dans les « plus éminentes. Les gouvernements se sont adoucis « en s'éclairant. Des rois de l'Europe ont favorisé et « honoré la liberté américaine. La philosophie, malgré <«<les persécutions suscitées contre elle, et quelquefois « malgré ses propres erreurs, a poursuivi dignement « le cours de ses travaux, et a pris une place mo« deste (1) parmi les puissances qui dirigent les choses <«< humaines. Sans doute, il a été commis beaucoup d'in<«< justices, essuyé beaucoup de malheurs durant ces << soixante-dix-huit années; mais ce sont encore celles, « depuis le siècle des Antonins, où il a été le moins « difficile et le moins périlleux d'exister. » M. Daunou consigne dans ce dernier mot ce vœu le plus cher d'une vie philosophique heureuse et non périlleuse, qui lui échappait souvent c'était son idéal à lui.

Le tome VII, qui traite, je l'ai dit, de la manière d'écrire l'histoire, mériterait un examen plus détaillé et plus attentif qu'il ne m'est permis de le faire après une course déjà si longue : il y aurait à dire sur certaines prétentions de méthode; Pline le Jeune n'avait pas tellement tort dans ce mot souvent cité, et que M. Daunou réprouve : Historia quoquo modo scripta delectat, l'histoire sous toutes sortes de formes trouve moyen de plaire; les professeurs d'histoire ne sauraient

(1) Pas si modeste.

être si coulants; mais ce volume, à l'appui des préceptes, contient, ce qui vaut mieux, d'éloquentes appréciations et des portraits achevés des grands historiens de l'antiquité : les modernes y ont aussi leur part. Il faut se borner (1). M. Daunou eut, en ses dernières années, de douces satisfactions puisées à l'estime publique et dues aux honneurs littéraires qu'un choix libre lui déférait. Une piqûre assez irritante qu'il reçut au sein de l'Académie des sciences morales et politiques, lorsque celle-ci, à sa renaissance, osa lui préférer M. Charles Comte, un écrivain inculte et des plus agrestes, à titre de secrétaire perpétuel (elle s'est bien dédommagée depuis en élisant M. Mignet),-cette blessure fut ensuite fermée et guérie par le choix que fit de lui en cette même qualité l'Académie des inscriptions (1838). Sa vieillesse vigoureuse sembla reverdir. encore ou plutôt revenir à une maturité plus adoucie pour produire des éloges académiques, modèles de précision toujours, mais aussi de grâce et d'une bienveillance que les préventions venaient de moins en moins. circonscrire et assiéger. On n'a pas oublié ses notices exquises sur Vanderbourg, sur M. Van-Praët, et particulièrement sur M. de Sacy, chef-d'œuvre d'un genre où le ton général est d'avance indiqué. En parlant de l'orientaliste vénérable, du janséniste pieux, il lui fal

(1) Je renverrai à un excellent article de M. E. de Sacy (Journal des Débats, du 29 novembre 1843); les caractères de ce cours y sont parfaitement définis et rendus avec une vivacité qui atteste non-seulement un lecteur d'aujourd'hui, mais un ancien auditeur.

lut légèrement entr'ouvrir cet angle habituel de son jugement, et son talent plus souple parut y gagner : quelques accents du cœur s'y mêlèrent. Cet éloge de M. de Sacy peut se dire le chant du cygne de M. Dau

nou.

Dans sa dernière maladie, M. Daunou se montra ce qu'il avait été toute sa vie : au-dessous et au dedans de celui qu'on aurait jugé faible et trop aisément alarmé, se retrouva l'homme ferme et inébranlable. De misérables, d'odieuses tracasseries d'architecte empoisonnèrent sa fin; cette persécution à part, qui le mettait hors de lui-même, il supporta ses maux sans se plaindre, interrompit le plus tard qu'il put ses occupations, régla scrupuleusement les dernières affaires littéraires dont il était chargé par l'Institut. Sa conversation avait gardé son caractère de sobriété et de douce malice « Dans une de mes insomnies, disait-il, je suis arrivé à trouver la seule vraie définition qui convienne à notre gouvernement parlementaire : c'est un gouvernement dans lequel les députés font et défont les ministres, lesquels font et défont les députés. » Je ne donne, bien entendu, ce mot-là que comme le songe d'un malade. Quand il vit ses derniers moments approcher, il voulut tout régler sur sa propre dépouille, conformément à ses principes immuables, et sans la moindre concession aux coutumes, aux bienséances plus ou moins sincères que d'ordinaire à cette heure on n'élude pas. Il fit mander dans la nuit du 19 au 20 juin (1840) son digne exécuteur testamentaire, et dictal une addition à son testament, addition dont le sens

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et les termes avaient ce cachet de précision et de propriété inséparable de sa pensée : « Après mon décès dûment constaté, mon intention est que mon corps soit immédiatement transporté de mon domicile au Jardin Louis, sans annonce, discours ou cérémonie d'aucun genre, avant neuf heures du matin (1). » Ceci écrit, il se fit donner le papier, le lut très-attentivement et le signa Pierre Daunou, testateur, de sa main défaillante. Il mourut le même jour, à dix heures trois quarts du matin, moins de neuf heures après cette expresse manifestation de sa volonté fixe et indéfectible.

Qu'ai-je à dire encore? il ne me reste qu'à rassembler un peu au hasard quelques impressions et souvenirs qui achèveront de le montrer tel qu'il fut de près, et là où les éloges réguliers ont pu moins le saisir. Il se levait d'ordinaire à quatre heures du matin; sa lumière (lorsqu'il habitait la rue Ménilmontant) servait, dans les saisons obscures, de signal et d'horloge aux jardiniers et maraîchers de ces quartiers pour se lever eux-mêmes. Quelquefois pourtant, quand l'insomnie le prenait, il se levait plus tôt, et dès deux heures du matin: « Mais pourquoi ne pas rester au lit? lui disaiton; le sommeil reviendrait peut-être, et cela du moins repose.» « Les pensées, répondait-il, viennent alors en foule, le mieux encore est de se lever, de se mettre

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(1) C'était le Père Lachaise qu'il indiquait, mais il désigna formellement le cimetière sous ce nom de Jardin Louis qu'il avait porté autrefois, et sans vouloir proférer le nom néfaste en ce moment suprême.

à paperasser; c'est encore la meilleure manière d'exister (1). » Et il dut passer bien des heures assez douces en effet, des heures désabusées, monotones, mais tranquilles, dans lesquelles il goûtait le plaisir philosophique et sévère d'appliquer indifféremment son esprit, de sentir son instrument exact et sûr fonctionner sur des objets bien déterminés.

Un homme de haute et sagace observation (M. Rossi) divise tous les esprits en deux classes, quels que soient d'ailleurs leur qualité et leur degré : 1o ceux qui apprennent, qui sont en train d'apprendre, jusqu'au dernier jour; 2° ceux (non pas moins distingués souvent) qui s'arrêtent à une certaine heure de la vie, qui disent non au but d'avenir, et se fixent à ce qu'ils croient la chose trouvée. M. Daunou était de ces derniers esprits; arrêté de bonne heure quant aux idées, rédigé et fixé à un point qu'il jugeait celui de la perfection, il n'en sortait pas. Quelque paresse du fond se

(1) On sait, chez Rotrou, les beaux vers du vieux Venceslas qui, lorsqu'on lui demande pourquoi il devance l'aurore, répond dans un tout autre sentiment :

Oui; mais j'ai mes raisons qui bornent mon sommeil :

Je me vois, Ladislas, au déclin de ma vie,

Et, sachant que la mort l'aura bientôt ravie,

Je dérobe au sommeil, image de la mort,

Ce que je puis du temps qu'elle laisse à mon sort;
Près du terme fatal prescrit par la nature,

Et qui me fait du pied toucher ma sépulture,

De ces derniers instants dont il presse le cours,

Ce que j'ôte à mes nuits, je l'ajoute à mes jours.

Ici, au contraire, c'est plutôt pour ôter à ce que la vie a de trop vif que le savant, privé de sommeil, vaque au travail dès avant

l'aurore.

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