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Bonaparte doublement, à cause de cette faiblesse que le maître lui avait arrachée.

Habile à trouver la fibre secrète de chacun pour la faire jouer à son gré et l'adapter à ses £ns, Napoléon avait été long à découvrir celle de Daunou, mais, pour le coup, il la tenait : il y avait quelque chose de plus. avant que le républicain chez l'homme de l'an III, c'était le philosophe; il y avait quelqu'un qu'il jugeait plus funeste encore que l'Empereur, c'était le Pontife. On le fit instrument et rouage par ce côté (1).

Infirmité de l'humaine nature! Tel est l'empire des préventions et des haines invétérées, peut-être seulement des fausses positions et des faux plis, chez les meilleurs, chez les plus sages! Daunou lui-même, tout en se piquant de modérer sa plume, ne sut pas triompher de l'inspiration le vieux levain remonta. Lui, si humain pour les opprimés, il fut sans pitié ce jour-là, il ne vit que l'intérêt philosophique en jeu, et se remit en posture de gallican pour mieux frapper.- Un plus mémorable épisode de sa vie littéraire sous l'Empire est son amitié intime avec Chénier (2). En 1807, Daunou, qui avait quelques places à sa désignation dans les Archives, y nomma son ami; lorsque Napoléon

(1) Un moraliste a pu dire, en recouvrant l'amertume du résultat sous un air de grâce: Bien des honnêtes gens sont comme le Sommeil, au quatorzième livre de l'Iliade, quand Junon veut le séduire pour qu'il aille endormir Jupiter: elle lui offre un beau trône d'or, et il refuse; elle lui offre Pasithée dont il est amourcux, et il oublie tout, il succombe. »>

(2) M. Labitte, dans la Revue des Deux Mondes (15 janvier 1844), nous en a déjà raconté avec intérêt plus d'un détail.

dut ratifier le choix, il le fit en disant : « Voilà un tour que Daunou m'a joué. » A partir de cette date, ou plutôt même depuis 1799, Chénier et Daunou se virent presque tous les jours, et ils eurent l'un sur l'autre une réciproque et salutaire influence. Un satirique spirituel, alors très-lié et depuis brouillé avec eux, allait répétant à qui voulait l'entendre que, dans ce commerce habituel, si Daunou enseignait à Chénier la grammaire, celui-ci lui enseignait en retour l'iminoralité. Ce sont là de ces. méchants propos avec lesquels il est possible de tout flétrir. Le fait est que Daunou inspirait à Chénier le goût de l'étude et des bons modèles, le culte de la diction sévère, et que l'autre lui rendait du mouvement et du monde, exhalait devant lui en toute liberté son amère connaissance et inévitablement son mépris des hommes. Des témoins (et il y en avait peu) m'ont dit que lorsque Chénier, déjà atteint de la maladie dont il mourut, arrivait là, se remettait en haleine et entrait en verve, lorsqu'à dérouler les infamies d'alentour et les palinodies qui le suffoquaient, son accent éclatait avec colère, et que son œil noir lançait la flamme, il était beau et terrible ainsi. Daunou vit dépérir de jour en jour cet ami précieux, le visita jusqu'à l'instant fatal, recueillit ses manuscrits, publia ses œuvres, lui rendit enfin tous les suprêmes devoirs; il n'en parlait jamais que comme d'un homme dont le talent, dans ses derniers efforts, s'acheminait au génie. Depuis la mort de Chénier, il n'eut plus d'autre ami intime; ce cœur, une seule fois ouvert, se referma.

L'année même de cette mort, en août 1811, il était

chargé par l'Empereur d'aller à Rome pour faire expédier en France les archives pontificales, avec recommandation très-expresse de n'oublier la bulle d'excommunication de juin 1809, s'il pouvait s'en saisir. Aussitôt après l'arrivée et le premier classement des pièces, Napoléon les alla visiter à l'hôtel Soubise; il demanda tout d'abord, il prit et serra dans sa main la botte qui renfermait la bulle de son excommunication, et un sourire indéfinissable de triomphe et d'orgueil lui échappa.

"...... Aussi, l'excessif et profane usage de ces anathèmes, les a-t-il discrédités à tel point, qu'il serait aujourd'hui presque aussi ridicule de les craindre que de les renouveler. » Daunou avait écrit cela dans la conclusion de son Essai; il put voir à ce sourire si le maître. était tout à fait de cet avis indifférent.

On n'a imprimé que depuis peu (1) un mémoire de Daunou sur le Fatum des anciens, qu'il lut à l'Institut en mai et octobre 1812, qui fit bruit alors, et qu'il avait ensuite comme retiré. C'est ce que l'auteur s'est permis religieusement de plus hardi; on se demande, en le lisant, où est cette grande hardiesse, tant il l'a cncore voilée. Il résulte pourtant de la pensée du mémoire que, sous ces noms divers et assez vagues du Destin et de ses synonymes, les doctrines de la Providence et d'un Dieu intelligent, éclairé, étaient déjà celles des sages anciens, et que par conséquent le christia

(1) Tome XV des Mémoires de l'Acad. des Inscriptions et BellesLettres.

nisme n'aurait pas eu à innover à cet égard autant qu'on l'a dit; c'était comme un dernier trait hostile que Daunou rapportait du séjour de Rome, une arme d'idéologue sourdement forgée à l'ombre du Vatican. Il concluait, du reste, tout comme dans sa discussion sur l'imprimerie, avec sa prudence apparente: « La « pneumatologie (on dirait aujourd'hui la psychologie << ou l'ontologie, mais il affecte un mot qui sent la phy« sique pour rabaisser l'objet) est de sa nature une << science qui ne peut étendre ni nos expériences immé<«<diates, ni les relations ou les témoignages, à moins « qu'ils ne soient surnaturels. L'esprit de l'homme y « tourne dans un cercle fort étroit; il peut bien varier « les aspects, mais ce sont toujours les mêmes objets « qu'il contemple, et par conséquent les mêmes notions «< qu'il exprime par différents signes. Combien donc « sont à déplorer les dissensions cruelles auxquelles « l'inévitable diversité de ces signes a servi de cause «< ou de prétexte, et qu'il semble aisé de comprendre « qu'en de telles matières le plus sûr moyen d'être équitable et raisonnable, c'est d'être fort tolé<«<rant!» Boileau, dans sa satire de l'équivoque, a parlé des chrétiens martyrs d'une diphthongue, et Voltaire, à son tour, s'est égayé là-dessus. Est-ce à dire pourtant qu'entre Sénèque et saint Paul ce n'eût été qu'une querelle de mots? Ce mémoire donnerait une fausse idée des opinions philosophiques de l'auteur, si l'on y voyait des conclusions expressément déistes. Daunou restait en deçà; il était sceptique en ces matières, à la façon de Gabriel Naudé, et suivait volon

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tiers, comme lui, l'axiome des jurisconsultes : Idem judicium de is quæ non sunt et quæ non apparent. Ce qui ne tombe pas immédiatement sous les sens, ou ne peut s'en déduire avec précision, est absolument pour nous comme n'existant pas.

On conçoit qu'obligé de rentrer sa politique en 1802, Daunou se soit dédommagé en donnant plus de jour à sa philosophie en 1814, le triomphe des influences religieuses l'obligea au contraire de rentrer à jamais cette philosophie: il put s'en dédommager en revenant, bien qu'avec quelques gênes, à ses théories et doctrines politiques. Les événements contradictoires des premières années lui apportèrent bien des transes, des froissements et des vicissitudes, mais aussi le réveil. Son rôle de député et d'opposant, durant toute la Restauration, fut des plus honorables et des plus utiles, sur la seconde ligné, celle de réserve. Par son Essai sur les Garanties individuelles (1818), il eut pourtant l'honneur d'exposer l'un des premiers, et avec cette netteté d'expression qui n'était qu'à lui (à lui et à Benjamin Constant, ce dernier sachant être plus limpide, plus agréable, et Daunou plus rigoureux), le programme motivé des légitimes et incontestables requêtes d'un libéralisme équitable. « Toute révolution politique, disait«<il, a des intermittences, et, chaque fois qu'elle s'ar«rête, on s'empresse de proclamer qu'elle est terminée. « Si c'est trop souvent une erreur, c'est toujours un << vœu honorable, et l'on touche en effet de bien près « à ce terme, quand une loi fondamentale a déclaré, << promis, déterminé toutes les garanties individuelles ;

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