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M. DE BARANTE.

1843.

L'abus violent qu'on a fait de certains dons, la volonté ambitieuse et bruyante qu'ont marquée certains esprits de conquérir, d'afficher du moins ce qu'ils n'avaient pas naturellement, la perturbation qui s'en est suivie dans les genres les plus graves, bien des circonstances contribuent aujourd'hui à donner un prix tout nouveau et comme un attrait particulier à ces physionomies d'écrivains calmes, modérées, ingénieuses, à ceux qui ont uni l'élévation ou la distinction de l'idée à la discrétion du tour, qui, en innovant quelque peu à leur moment, n'ont détruit ni bouleversé les grandeurs et les vérités existantes, qui se sont mûris à leur tour dans des applications diverses, et ont su imprimer à l'ensemble de leur vie et de leur œuvre la règle souveraine de la bienséance et une noble unité.

M. de Barante est de nos jours un des rares écrivains dont la carrière, non pas entièrement close, mais tout à fait définie, se dessine le mieux sous cet aspcct. Cette mesure de nouveauté et de retenue, il l'a

tour à tour essayée dans la critique littéraire, et développée plus en grand dans l'histoire; il n'a cessé de l'observer dans la pratique politique. En nous tenant surtout ici au critique et à l'historien, nous avons à toucher plus d'un point délicat et compliqué, assez lointain déjà pour qu'il y ait plaisir et profit à y revenir. C'est d'ailleurs le caractère et la qualité de certains esprits que, tout en atteignant à la réputation méritée, ils ne tombent pas dans les grands chemins et sous les jugements courants de la foule; ils échappent ainsi au lieu-commun de la louange; ils demeurent des sujets choisis. On n'a qu'une manière encore d'en parler avec quelque à-propos, c'est de les bien connaître.

M. Prosper Brugière de Barante est né à Riom en juin 1782, d'une famille ancienne et considérée, qui, sur la fin du XVIIe siècle, ne fut pas sans payer son premier tribut aux lettres. Claude - Ignace Brugière (ou Breugière) de Barante, bisaïeul de notre contemporain, était venu jeune à Paris, y avait connu Valincourt, l'ami de Boileau, et aussi Le Sage et Fuzelier, cette arrière-garde légère du grand siècle, ce qui ne l'empêcha pas de retourner vivre chez lui en excellent avocat. Il avait traduit quelque chose d'Apulée, et Goujet, en sa Bibliothèque française (1), mentionne très-honorablement des observations de lui sur les prétendus fragments de Pétrone trouvés à Belgrade. Le jeune amateur de ces deux profanes anciens n'en de

(1) Tome VI, page 205.

vint pas moins un grand janséniste et le conseil du parti en Auvergne durant les persécutions du cardinal de Fleury. Ces contrastes sont de bon augure par la façon dont ils se tempèrent. Nous distinguons tout d'abord une souche solide et sérieuse, mais qui permet à la variété de s'y greffer et presque d'y fleurir.

Le fils de Claude-Ignace allait également à Paris dans sa jeunesse, y était recommandé à son compatriote Danchet, et faisait même quelque préface à je ne sais quelle tragédie de cet illustre d'un jour. Mais c'est au père de M. de Barante qu'il faut surtout demander compte de son influence directe et suivie sur l'éducation de son fils.

Élevé à Juilly, au collège de l'Oratoire, puis venu à Paris pour ses études de droit et répandu alors dans des sociétés diverses, particulièrement dans le monde parlementaire, M. de Barante père garda toujours ses premières impressions contre le coup d'État Maupeou. Son âme, qui se formait à ce moment, y contracta pour jamais ce quelque chose de libéral, mais de sage, qui ne cessa pas d'être sa mesure au milieu des orages qu'il eut à traverser. Homme distingué d'ailleurs plutôt que précisément laborieux, de société plutôt que de cabinet, sachant et donnant beaucoup par la conversation, il appartenait à cette classe d'esprits éclairés que produisit avec honneur la fin du XVIe siècle. Même lorsqu'il fut retourné et fixé à Riom comme lieutenant-criminel du bailliage, il continua d'entretenir avec Paris des rapports fréquents, que son mariage

multiplia encore (1). Ainsi nulle trace de rouille municipale dans cette vie d'Auvergne, mais l'étendue et l'aisance des relations, en même temps qu'une atmosphère morale et préservée. Comme nous l'avons déjà observé pour mademoiselle de Meulan et pour d'autres esprits influents sortis du même milieu, nous rencontrons ici un nouvel exemple d'un intéressant berceau placé dans cette haute classe moyenne, au sein de cette haute société administrative qui vivait avec l'aristocratie sans en être, et qui devait, dans la génération prochaine, la remplacer.

Sans entrer dans les détails d'enfance que nous savons écrits et retracé avec émotion par la plume la mieux informée et la plus fidèle, il convient seulement pour notre objet de remarquer que l'éducation première de Prosper de Barante fut plutôt domestique que scolaire. La révolution vint très-vite interrompre les cours qu'il suivait au collége d'Effiat. Il vit son père arrêté, il l'allait visiter en bonnet tricolore dans la prison de Thiers, il salua sa délivrance inespérée avec bonheur: la leçon des choses prit le pas dans son esprit sur la lettre des livres; et, quand son père, profitant d'un premier instant de calme, le conduisit à Paris vers la fin de 95 pour y achever des études commencées surtout par la conversation et dans la famille, le jeune homme avait déjà beaucoup appris.

Le Paris politique, alors en pleine bigarrure, offrait

(1) 11 épousa Mlle de Villepion, dont le père était dans les finances du duc d'Orléans.

un curieux spectacle; il en ressentit d'abord l'intérêt. La pension où il fut placé le laissait jouir d'une certaine liberté; l'éducation, ou ce qui s'affichait alors sous ce nom, était un confus mélange où les restes informes des anciennes connaissances s'amalgamaient à des fragments de préceptes, débris incohérents de tous les naufrages; on faisait la liaison tant bien que mal, moyennant une veine de phraséologie philosophique et philanthropique à l'ordre du jour. Dans ce vague de direction, le jeune Prosper de Barante s'appliquait à la géométrie, en vue de l'École polytechnique. Un premier échec ne le découragea point; il insista, et, à un second examen, fut admis. Le goût des mathématiques pourtant survécut peu en lui à ce double effort; celui des sciences physiques occupa plus longtemps son esprit. Il voyait le monde dans l'intervalle de ses études, et côtoyait parfois quelques petits tourbillons renaissants de coteries littéraires, sans s'y trouver attiré. Il attendait en toutes choses et s'essayait.

Cependant le 18 brumaire s'était accompli; le gouvernement consulaire inaugurait le siècle. M. de Barante père venait d'être nommé préfet à Carcassonne. C'était un fonctionnaire comme il en fallait à cette renaissance, et comme le chef les recherchait volontiers: homme de justice et d'ordre, nouveau à la fois et ancien, n'ayant pas trempé dans le régime intermédiaire. Ce changement de position dans la famille inclina sans doute le fils vers la carrière politique. Il touchait à sa vingtième année; un voyage qu'il fit à cette époque en Auvergne, et durant lequel il perdit sa mère, apporta une impres

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