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connaissance et une estime affectueuse qu'il lui conserva au milieu des dissidences subséquentes. Les singularités sociales de Daunou, en cette phase du Directoire, sont célèbres: son costume, bien moins réglé que nous ne l'avons vu, trahissait, même aux fêtes de Barras, le savant, le solitaire en grand effort d'étiquette. Pour simplifier les choses, il n'avait qu'ur habit, et, quand il l'avait usé, il en achetait un neuf tout fait, qui, tant bien que mal, lui allait toujours. La seule conclusion que je veuille tirer de pareils traits d'originalité naïve, c'est que, même en ces années de familiarité et de liberté, où il jouait un grand personnage public et où il voyait le plus de monde; même quand il était le parrain désigné de toutes les Constitutions, filles de celles de l'an III, quand il allait par delà les monts, en qualité de commissaire, organiser la république romaine et y rétablir les comices et les consuls, Daunou n'aurait point mérité qu'on dît de lui, comme d'Ulysse, qu'il était un grand visiteur d'hommes. Il se souciait des hommes pour les éclairer, s'il se peut, jamais pour les diriger et les manier. Quand Bonaparte, de retour d'Égypte, et qui, dans les premiers jours de son coup d'État, ne préjugeait naturellement les acteurs d'alors que sur leur renommée acquise, eut l'idée un moment de le faire consul, Roederer, à qui il en avait parlé, put dire ensuite : « Je l'ai bien guéri de cette « idée-là, je l'ai fait causer une demi-heure avec lui (1). » Les tristesses et les amertumes civiques de Daunou

(1) Sur les relations de Daunou et de Sieyès à cette époque de crise et auparavant, j'indiquerai, sans le répéter ici, ce que j'ai

commencèrent après le 18 brumaire; il s'agissait de refaire au plus vite une Constitution, celle dite de l'an VIII; sa réputation classique en ce genre le fit choisir pour rédacteur. Il essaya d'une première rédaction, que Cambacérès qualifia de malicieuse et d'hostile; il y glissait plus d'un petit article préservatif contre l'usurpation, celui-ci, par exemple: « Si l'un des Consuls prend le commandement d'une armée, il est, pendant toute la durée de ce commandement, suspendu de ses fonctions consulaires, et il y est remplacé temporairement par l'un des tribuns que nomme à cet effet le Conseil des Deux-Cents, etc., etc. » Qu'on juge de l'effet sur le futur Consul. Bonaparte impatient coupa court à cette guerre méthodique, et, convoquant la commission chez lui, au Petit-Luxembourg où il était alors, dicta ses volontés: «< Citoyen Daunou, prenez la plume et mettezvous là. » C'était dit de ce ton qui se fait obéir. Selon le mot de Thibaudeau, Daunou écrivait d'une main les articles, en votant de l'autre contre, pour la forme. A partir de ce jour, la France eut un maître, et Daunou, après une honorable résistance, battit en retraite devant lui. Avec toutes sortes de conditions et de réserves, il capitula. S'astreignant à refuser toute position politique, il crut pouvoir se réfugier dans des fonctions administratives réputées scientifiques et littéraires : elles ne lui manquèrent à aucun moment. Bonaparte, qui lui avait dit un jour en colère qu'il ne l'aimait

écrit dans l'article sur La Fayette (Portraits littéraires, édition de 1852, tome II, page 180); je garantis la fidélité parfaite des détails, que je retrouve ailleurs moins exactement racontés.

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pas, mais qui l'estimait et qui l'avait trop vu de près le craindre (1), savait où il pouvait utilement l'employer; il n'en laissa passer aucune occasion: ce

pour

(1) Voici un petit récit, entre autres, que je sais d'original. Bonaparte, après plusieurs refus de Daunou, voulut tenter un dernier effort; il s'agissait de le décider à être ou directeur de l'instruction publique, ou conseiller d'État, ou les deux choses à la fois. Il l'invita à dîner aux Tuileries: « Je veux vous présenter à ma femme, lui dit-il, elle a envie de vous connaître. » Daunou n'osa refuser. Il arrive, il est présenté à Mme Bonaparte; il s'incline en profonds saluts, et se borne aux stricts monosyllabes. Après le dîner, Bonaparte l'emmène dans l'embrasure d'une croisée; le salon où ils étaient se vide, parce qu'on voit que le Consul veut parler d'affaires. Il entreprend Daunou en effet, le presse, ne lui laisse aucune objection sans réponse; celui-ci, après ces raisons dites, n'avait plus qu'un non invincible à opposer. Le ton de Bonaparte s'élevait, il avait l'air de s'impatienter les personnes qui se promenaient de long en large dans le salon voisin, militaires et aides-de-camp, retournaient de temps en temps la tête par curiosité pour ces éclats de voix qui leur arrivaient. Daunou s'aperçut de ce manége; la peur le prit: il se dit que cet homme était capable de tout, qu'il était certes bien capable d'avoir machiné ce dîner pour le perdre, de supposer tout d'un coup qu'on lui manquait de respect, qu'on l'insultait, que sais-je? de le faire arrêter immédiatement. Sa tête se montait, il n'y tint plus. Bonaparte, tourné vers la fenêtre, parlait sans le voir Daunou avise dans un coin son chapeau, qu'il avait posé; tandis que le Consul achève une phrase, il y court, enfile les appartements e sort du palais. Tout ceci est vrai à la lettre, et je n'ajoute rien. Ce n'est pas ce jour-là que Bonaparte lui dit : Daunou, je ne vous aime pas, mais en une autre occasion, dans quelque comité. Impatienté des objections de Daunou, il le fit taire en lui disant: « Vous, Daunou, je ne vous aime pas; » et il se reprit, en disant : "Au reste, je n'aime personne... excepté ma femme et ma fa- « Et moi, répliqua Daunou, j'aime la république. » (Voir, sur l'opposition de Daunou au Consul dans les an..ées du Tribunat, le Journal et Souvenirs de Stanislas Girardin, l. I, p. 247, 249, 252, 258; la présentation de Daunou pour le Sénat

« mille. »

furent là contre Daunou ses seules malices et ses seules vengeances. L'ancien garde des Archives impériales n'était pas juste pour Napoléon. Ceux qui l'ont entendu à ce sujet savent qu'il lui refusait, non-seulement toute perception morale (ce qui se concevrait), mais presque toute espèce de talent civil. Quant aux talents de guerrier, il se rejetait, pour n'en point parler, sur son incompétence, et, lorsqu'il avait épuisé les qualifications les plus sévères, il concluait le plus souvent ainsi : « Enfin, c'était un homme qui ne savait ni le français ni l'italien. » L'écrivain chez Daunou reparaissait dans ce trait final, qui, selon lui, était peut-être la plus grande injure.

A peine remis de la secousse politique, Daunou se dédommageait, et cherchait à se consoler par de bons travaux académiques et littéraires. Son Analyse des Opinions diverses sur l'origine de l'Imprimerie (1802) est du lendemain de ses luttes au Tribunat. Après avoir nettement exposé les diverses conjectures probables sur cette origine si voisine et déjà obscure, le sage examinateur conclut en toute humilité: « Il est assurément « des objets sur lesquels le doute n'est qu'ignorance << et obstination; mais le doute éclairé est aussi une « science, et c'est la plus pacifique. Il me semble au << moins que le scepticisme que certaines discussions « historiques provoquent ou entretiennent n'est ni la « moins douce ni la moins saine habitude que l'esprit

fut considérée comme un acte d'hostilité déclarée contre Bonaparte. Le nom de Daunou était un signal de guerre).

<«< humain puisse contracter. » Bien des nobles cœurs qui veulent de la foi à tout prix se pourront scandaliser de cette conclusion à la Montaigne, qui met la santé de l'esprit là où d'autres voient son plus grand mal; elle me plaît et me touche chez Daunou, elle est conforme à la nature de cet esprit judicieux et craintif, au moment où, battu des orages, il se retrouve dans la sphère paisible de l'étude et où il respire.

Sa Notice des travaux de la Classe des sciences morales et politiques, lue la même année 1802 (séance du 15 germinal an X), contient une fine satire d'un mémoire de Mercier contre l'histoire, et cela par le simple fait d'une analyse où le rapporteur choisit malicieusement ses points. Mercier put être content, et tout l'Institut avec le public avait souri. Daunou préludait ainsi à ses petites notes du Journal des Savants, même à ses extraits de l'Histoire littéraire : en maintenant l'extrait littéral et fidèle, il sut en faire un genre de critique fine, ingénieuse, qui parle tout bas.

Il publiait en 1803 un Mémoire sur les Élections au scrutin, lu précédemment à l'Institut, et dans lequel il s'attachait à déterminer mathématiquement le moyen de recueillir, de vérifier avec le plus d'exactitude l'expression de la volonté générale, au moment même où toute liberté de suffrages était ravie: un pur problème, en effet, de récréation mathématique. A partir de cette publication, on remarque une certaine lacune dans ses travaux. C'est le temps de son découragement profond et de cette maladie dont nous avons parlé. En 1807, M. Daunou, qui était devenu garde des

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