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« Courtois a fait de ce personnage un portrait beau« coup plus horrible encore, et s'est attaché surtout à <«<lui contester toute espèce de talent. Nous convenons « que Robespierre n'a été ni un philosophe, ni un lé<«< gislateur, ni un éloquent écrivain, ni même un ora«<teur supportable : il avait infiniment peu de con<< naissances, et il était d'ailleurs trop occupé à haïr « pour avoir le temps de penser. Nul talent ne lui « manqua davantage que celui d'improviser: si l'on excepte une ou deux occasions où il fut assez heu<< reusement inspiré par ses affections vindicatives, « tout ce qu'il a dit sans préparation n'a été que le « plus insensé verbiage que l'on ait entendu sur la «< terre, depuis que des paroles et des phrases y sont « proférées par des hommes et par des oiseaux: per«<sonne autant que lui n'a contribué à effacer parmi « nous jusqu'à l'idée de la véritable éloquence des tri« bunes. A l'égard de ses écrits, nous croyons qu'ils « n'ont mérité ni les adulations que leur prodiguait << Desmoulins, ni tout le mépris dont Courtois s'est « efforcé de les couvrir. L'art d'écrire est peut-être « celui dont Robespierre eût le plus approché s'il l'eût «< cultivé davantage; c'est le seul où il ait paru faire « quelque progrès. L'on ne peut nier, à ce qu'il nous « semble, qu'il n'ait quelquefois donné aux idées « d'autrui des formes tout à fait tolérables, et que « dans ses derniers discours, par exemple dans celui « sur l'Être suprême, on ne rencontre du moins, au « milieu de beaucoup d'ineptics, certains traits, peut« être même certaines pages qui ne sont pas très-loin

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« du talent. Courtois a cité en preuve dè la médiocrité << de Robespierre les corrections nombreuses, les ratures <«< multipliées dont il surchargeait ses manuscrits : «< cette preuve, nous devons l'avouer, nous a paru bien « étrange; nous aurions pensé, au contraire, que « Robespierre ne savait point assez effacer. »

Remarquez la tendance naturelle de Daunou, et cette appréciation littéraire finale qui est là comme pour mettre le sceau. L'écrivain en Robespierre avait fini pourtant par le fléchir un peu (1). On a d'autres pages de lui sur les souvenirs de ces temps, les deux premiers chapitres d'une histoire de la Convention; il est profondément regrettable qu'il ne l'ait pas menée à fin. Cette histoire-là est au moins à mettre sur la

(1) Et qu'on me permette d'ajouter encore le jugement qu'il porte de Saint-Just; il est de ces choses qui, une fois dites, ne se retrouvent pas, et l'article de Daunou d'ailleurs serait matériellement introuvable : « Courtois a tracé ensuite les portraits de « Saint-Just et de Couthon; le premier, froidement cruel, homi«cide par caractère, n'avait pas eu besoin (comme Robespierre) « d'être humilié pour être méchant. Il y a une disposition senti« mentale qui nous fait compatir aux infortunes des autres hommes et nous empêche au moins de leur nuire sans intérêt pour nous« mêmes; cette disposition n'existait point dans Saint-Just; cette << fibre était déjà paralysée chez lui à vingt-six ans. On ne trouve « dans ses écrits aucune trace de sensibilité; ils en sont plus dé« pourvus encore que ceux même de Robespierre, auxquels ils sont << très-supérieurs sous les autres rapports; car, si l'on veut être « sincère, il faut avouer aussi que Saint-Just n'était point sans « talent, et qu'il apercevait quelquefois, avec une précision assez « forte, sinon l'ensemble de l'organisation sociale, du moins quel« ques-unes des relations qui existent entre les éléments dont elle se compose. Pour Couthon, il mérita tous les mépris: il est indigne de tout souvenir... »

même ligne que celle de l'Oratoire ou de Boulognesur-Mer, qu'il regrettait de n'avoir pas retracées. On ne conçoit pas qu'un homme aussi laborieux que Daunou, et qui savait si bien que le style seul fait vivre, n'ait pas exécuté un tel projet une fois entrepris; mais, sans parler du découragement qui s'empara de lui à un certain jour, il n'avait pas non plus le sen-. timent de l'art en grand, l'idée passionnée de l'œuvre, de l'œuvre individuelle et originale, du monument. L'étude et des articles bien faits, enfouis dans de gros recueils, suffisaient à son soin modeste; il y avait à cet égard du bénédictin en lui.

Le bénédictin aussi avait des jours de soleil. Le rôle de Daunou, à l'Institut, dès l'origine et lors de sa formation, fut des plus marquants; son nom sans faste n'échappa point aux honneurs du frontispice: c'est lui qu'on chargea de prononcer le discours d'ouverture à la première séance publique, à celle d'installation (4 avril 1796). Il s'y montra tout à fait à la hauteur de sa mission et parla comme le pouvait faire le premier élève politique et philosophique de Sieyès et de Condorcet, et plus littéraire que tous deux, plus maître en l'art d'écrire, véritable secrétaire-perpétuel et comme rédacteur testamentaire du XVIIe siècle finissant. Dans ce grave discours encyclopédique, un certain souffle d'espérance circule « Les orages mêmes que nous << venons de traverser, ce vaste ébranlement, ces dé<< sastres dont le souvenir doit être interdit à la ven« geance, et ne doit pas être perdu pour l'instruction, « deviendront sans doute aussi une grande époque

« dans l'histoire de l'esprit humain. » L'enthousiasme n'y est plus retranché, proscrit, comme nous l'avons vu en d'autres endroits de Daunou; il dit de la philosophie, en indiquant ses relations et son alliance avec les beaux-arts : « Elle sentira tout le prix de l'enthou<«<siasme qu'ils propagent et sans lequel il ne s'est .« opéré rien d'utile et de grand sur la terre. Si, dans «<les sciences même les plus sévères, aucune vérité « n'est éclose du génie des Archimède et des Newton « sans une émotion poétique et je ne sais quel frémis << sement de la nature intelligente, comment, sans le « bienfait de l'enthousiasme, les vérités morales saisi«raient-elles le cœur des humains? Comment circule «raient-elles privées de ce véhicule? comment, dé«nuées de cette chaleur animatrice, pourraient-elles, <«< au sein d'un grand peuple, se transformer en des << sentiments, en des habitudes, en des mœurs, en un « caractère? Que deviendraient tant de maximes so«ciales, tant de généralités abstraites, si les beaux<< arts ne s'en emparaient pas pour les replonger dans <«< la nature sensible, les rattacher aux sensations d'où « elles dérivent, et leur redonner ainsi des couleurs et <«< de la puissance? » Les sensations se retrouvent là pour fixer la date et signer la théorie, mais le mouvement est juste et beau.

Deux ans après, le 18 septembre 1798 (fin de l'an vi), Daunou, président du Conseil des Cinq-cents, répondait au nom de l'assemblée à une députation de l'Institut qui venait à la barre rendre compte de ses travaux pendant l'année; il exhortait l'illustre corps à la pro

pagation des idées et des sentiments qui conviennent le plus aux hommes libres, et laissait échapper cette parole tant contestée : « Il n'y a point de philosophie sans patriotisme, il n'y a de génie que dans une âme républicaine! >>

Si c'est un vœu que Daunou entendait exprimer, à la bonne heure! Si c'est un fait et un jugement, comme on aurait droit de l'attendre d'un écrivain si précis, son désir assurément ici l'abusait; cet axiome-là n'est ni plus vrai ni plus faux que celui qu'il énonçait ailleurs, que la vérité est toujours du côté de l'analyse, et l'erreur du côté de la synthèse. Approchait-il davantage de la vérité, lorsque, dans son Cours d'Études historiques, il disait avec plus de réserve : « A fort peu d'exceptions près, les noms honorables dans l'histoire des lettres le sont aussi dans celles des mœurs privées et publiques; les plus grands écrivains sont à compter au nombre des meilleurs hommes de leurs siècles? >> Mais, ce qu'il nous importait de noter, nous retrouvons dans ces élans, dans ces éclats imprévus de l'an vi, un Daunou auquel nous sommes moins accoutumés.

Quelque temps auparavant, le 10 vendémiaire an vi (1er octobre 1797), il avait prononcé, en plein Champde-Mars, l'oraison funèbre de Hoche. Ce jour-là, par un beau soleil d'automne, le Directoire en grand costume, La Revellière-Lépeaux en tête, sortit à pied de l'École militaire, précédé de tous les ministres, grands fonctionnaires, et des principaux corps de l'État; chaque membre du cortége tenait à la main une branche de

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