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« celui-là. C'est, j'ose n'en douter aucunement, c'est « l'épellation actuelle qui donne le premier faux pli à « la pensée, qui transporte les esprits loin du sentier « de l'analyse, et qui met l'habitude de croire à la << place de la raison. J'invoque donc une réforme « d'un plus grand caractère que celles qui ont été <«< introduites jusqu'ici dans l'enseignement de la «<lecture. Je réclame, comme un moyen de raison «publique, le changement de l'orthographe nationale, <«<< et je ne crois pas cette proposition indigne d'être «< adressée à des législateurs qui compteront pour << quelque chose le progrès, ou plutôt, si je puis m'ex« primer ainsi, la santé de l'esprit humain. » Et il continue d'expliquer parfaitement la réforme proposée, et dont quelques portions ont prévalu, m'assure-t-on, dans l'abécédaire d'aujourd'hui. Il paraît qu'on apprend mieux à lire aux enfants qu'autrefois. Mais n'était-ce pas, je le demande, s'exagérer fabuleusement l'influence des méthodes? N'était-ce pas recommencer à la lettre un symbole de foi en même temps qu'on rejetait tous les autres avec horreur? Qu'on y voie du moins combien Daunou était radicalement de son siècle, et, sous ses airs timides, aussi rénovateur que Condorcet.

Ceux qui ne l'ont vu et connu que comme académicien des Inscriptions, et dans ses travaux littéraires des dernières années, ont pu goûter ses meilleurs fruits et les mieux élaborés à notre usage; mais l'arbre tout entier, le tronc, les racines sont là-bas.

Dans les premiers jours d'octobre 93, décrété d'ar

restation avec les soixante-treize députés signataires de la protestation contre les événements des 31 mai et 2 juin, Daunou entrait dans les cachots pour n'en sortir qu'en octobre 94, après un an révolu. Transféré successivement dans diverses maisons, et finalement à Port-Royal de Paris, qu'on appelait Port-Libre, il supporta cette terrible année avec la constance du sage, prompt à ressaisir des heures pour l'étude, et comme s'il n'avait fait presque que retrouver un cloître plus étroit. Ses compagnons de captivité en ont tous parlé en ces termes. Il lisait Tacite seul, il relut tout Juvénal avec Dusaulx, aux moments où celui-ci (grand joueur, et qui avait écrit contre la passion du jeu) ne jouait pas au bouchon avec le marquis de ***. Mercier, autre incorrigible, ancien adversaire de Daunou sur Boileau, maintenant son compagnon d'infortune, ne le faisait plus que sourire. L'égalité d'âme était complète. Il profita de ce loisir pour étudier les éléments de géométrie avec suite; il composa même alors une grammaire générale qu'il écrivit sur des cartes. Cependant le 9 thermidor avait sonné, et la prison ne se rouvrait pas; les douze représentants du peuple détenus à Port-Libre adressèrent à la Convention une réclamation énergique que Daunou rédigea; il y a de l'éloquence: « Si l'anarchie et la « tyrannie ont rassemblé dans le cercle étroit d'une « année plus de forfaits et de désastres que l'histoire des « calamités du genre humain n'en avait dispersė jus« qu'ici dans l'espace de plusieurs siècles; si nous avons « prévu et cherché à prévenir les malheurs du peuple dont nous sommes les représentants, pourquoi et de

« quel droit nous retient-on dans les fers? » Et arrivant à l'accusation de fédéralisme, dont ils sont victimes, celui qui vient de flétrir les bourreaux retrouve ses anathèmes de grammairien-idéologue contre les expressions mal définies : « Les tyrans ont eu constam«<ment recours à certaines dénominations odieuses, à « de vains noms qui, répétés sans cesse et jamais expli« qués, semblaient désigner de grands crimes et n'é<< taient réellement que les mots d'ordre des assassi<«< nats. La funeste puissance de ces expressions magi«ques est un vieux secret d'oppression... » L'éditeur de Boileau trouvera plus tard des flétrissures presque aussi vives pour caractériser les conséquences désastreuses qu'il attribuait à une littérature vague et indėfinissable: toujours le même pli.

Cette adresse remit en mémoire à la Convention le nom de Daunou et rappela ses titres acquis; dès les premiers jours de sa rentrée, il prit un rang, une consistance politique qu'il n'avait pas eu le temps d'établir jusqu'alors, et qu'il soutint pendant toute la durée du Directoire. On peut dire que, depuis le moment de sa rentrée jusqu'au 18 brumaire, il n'est pas, dans les annales civiles et parlementaires de ce temps-là, un rôle plus honorable, plus pur, plus considérable même, que celui de Daunou. S'il n'eut pas son jour comme Boissy-d'Anglas, il eut son tous-les-jours, ce qui n'est pas moins difficile. Victime de la veille, il rentre avec l'âme calme et déterminée à la justice, c'est-à-dire, après de telles horreurs, à la clémence. Quoique sa vertu se tienne plutôt d'ordinaire dans les lignes strictes

de l'équité, de la probité, et que le mot de grandeur semble jurer avec lui, il offre, dans ces moments d'après Thermidor, une sorte de grandeur morale par cette tenue si ferme et si simple en des circonstances de toutes parts si émues. Également opposé aux excès de vengeance et de réaction contre la queue encore menaçante de Robespierre, aux excès de prévention et de rigueur contre les factions nouvelles qui se lèvent au nom de l'ordre, il maintient la doctrine républicaine dans son antique droiture et dans une mesure inaccoutumée; il contribue au salut de la Convention en vendémiaire, et n'aspire qu'au régime des lois. Principal rédacteur et conseiller de la Constitution de l'an m, il mérite que ceux même qui s'en servent pour la combattre, et que Fructidor ira frapper, disent de lui, par exception : « Daunou, du moins, est avec les honnêtes gens. » Retracer sa biographie complète en ces années, ce serait repasser toute l'histoire; elle le montrerait le rapporteur obligé, le promoteur de presque toutes les bonnes mesures, l'orateur officiel, irréprochable, qu'on aimait à présenter aux amis comme aux ennemis dans les grandes et belles circonstances. Il faut choisir : nous nous bornerons à le prendre à deux ou trois moments qui nous le peindront.

Parmi les opinions arrêtées de Daunou qui en avait tant, on n'en aurait pas trouvé de plus fixe et de plus justifiable assurément que celle qu'il s'était formée de la Terreur, des principaux personnages qui y figurent, et particulièrement de Robespierre. Ce n'était point

parce qu'il avait été victime qu'il jugeait ainsi; it savait établir la différence entre les hommes d'alors, faire la part de la lâcheté, de l'ineptie, du fanatisme; mais sur Robespierre il était curieux et inexorable à entendre; le burin de Tacite, pour un instant, avait passé en ses mains. Dans un journal de Mercier, les Annales patriotiques et littéraires, Daunou rédigeait le compte rendu (anonyme) des séances de la Convention. Or, voici en quels termes, dignes de mémoire, il 'exprimait le 18 nivôse an ш (7 janvier 1795), à l'occasion du rapport fait par Courtois au nom de la commission chargée d'examiner les papiers de Robespierre : << Un tempérament bilieux, écrivait Daunou, un esprit «< étroit, une âme jalouse, un caractère opiniâtre, « avaient prédestiné Robespierre à de grands crimes. Ses succès de quatre années, surprenants sans doute « au premier aspect, et lorsqu'on ne les compare qu'à « la médiocrité de ses moyens, ont été les effets natu«rels de ses haines meurtrières, de ses jalousies pro<fondes et ferventes. Il eut, à un degré suprême, le « talent de haïr et la volonté de maîtriser. Il voulut « être tyran, bien plus ardemment que la plupart des << hommes ne savent vouloir être libres, et cette volonté «< vive, inflexible, toujours agissante, a tenu lieu de « génie à bien d'autres oppresseurs de l'humanité... » Je suis forcé, à mon grand regret, d'abréger cette page pour laquelle j'ai presque à demander pardon aux néo-terroristes d'aujourd'hui: mais voici l'adoucissement: « Quelque affreux que soit Robespierre d'après « le portrait que nous en avons tracé, continue Daunou,

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