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eût été le xvIIIe siècle embrassé dans tout son cours, et trouvant son terme avant la révolution on serait né vers la fin de Louis XIV, on serait mort à la veille de 89 (1); on aurait parcouru ainsi toute une carrière paisible, éclairée, avec des perspectives de civilisation indéfinies et croissantes qu'aucune catastrophe n'aurait désembellies. On aurait cru jusqu'à la dernière heure au bienfait ininterrompu des lumières, à l'excellence naturelle des hommes. Sans doute, dans ce libre vœu rétrospectif, M. Daunou ne songeait plus à se replacer tout à fait à l'Oratoire, mais n'importe; on ne parle point ains d'une époque où l'on aurait été décidément malheureux.

Quatre-vingt-neuf, en éclatant, vint couper court à ce genre de vie modérément animé, le rendre impossible en même temps que le faire sembler insuffisant. Le dernier écrit purement littéraire que nous trouvions de M. Daunou à ce moment est une Épître à Fléchier, imprimée dans le Journal encyclopédique (juin 1789). Ce sont les seuls vers que je connaisse de lui; ils ne semblent guère propres à démentir ce qu'on a dit des vers de certains autres prosateurs excellents (2). Si on se de

(1) Comme M. d'Argental, par exemple, qui, né en 1700, mourut en janvier 1788.

(2) M. Guérard indique encore deux autres pièces de vers inérées dans le même journal. M. Daunou n'avait point reçu de la nature ce qu'il faut pour dégager l'élément poétique proprement dit, pour saisir la poésie en tant qu'elle se sépare nettement de la prose, et qu'elle en est quelquefois le contraire; la poésie, comme il l'entendait, et comme l'entendaient presque tous ses contemporains, n'était que de la prose plus noble, plus harmo

mande pourquoi cet hommage si particulier à Fléchier, on y peut voir plusieurs sortes d'à-propos et de convenances, soit relativement à l'Académie de Nîmes qui avait couronné M. Daunou, et dont Fléchier était lat grande gloire, soit dans le souvenir de la tolérance de Fléchier envers les protestants, au moment où ceux-ci recouvraient leurs droits civils. Mais la plus réelle de ces convenances se trouve dans le talent même de l'auteur : M. Daunou écrivain va droit à Fléchier par goût, comme il est allé à Boileau; ils représentent à la fois pour lui le double modèle littéraire de ce judicieux et de cet ingénieux qu'il aime dans la pensée et dans l'expression.

« Un style grave, sérieux, scrupuleux, va fort loin, » dit La Bruyère; cela peut parfaitement s'appliquer au style de M. Daunou, si l'on n'oublie pas que, chez lui, le châtié et l'orné font constamment partie du scrupule,

nieuse, de la prose dans ses plus riches conditions. Voici le début de son Épître :

Je ne viens pas, Fléchier, t'ennuyer de ta gloire.

Il suffit que la France adore ta mémoire;

Elle est juste envers toi, puisqu'elle te chérit :

Ton éloge en nos cœurs est assez bien écrit.
Naguère, de tes soins encor reconnaissante,
Nimes se retraçait l'histoire attendrissante

Des bienfaits qu'un hiver (de 1709), dans nos fastes fameux,
Te vit verser jadis sur tant de malheureux.

D'un semblable fléau nous respirons à peine;

Mais on suit ton exemple, et la France est humaine.

A ton amour, Fléchier, notre siècle a des droits.

Tes vertus sont ses mœurs. Le plus juste des rois, etc.

C'en est assez pour juger du ton. M. Daunou avait alors vingtbuit ans.

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et que le Nicole (pour prendre des noms) s'y relève du Fléchier.

Dès le 4 septembre 89, on voit M. Daunou prononcer un discours sur le patriotisme dans l'église de l'Oratoire à Paris, durant le service funèbre que ce district faisait célébrer pour les morts du 14 juillet; quelques mots de ce discours se retrouvent exactement les mêmes que la dernière phrase d'une petite brochure anonyme intitulée le Contrat social des Français, et publiée le 23 juillet précédent; ce qui, indépendamment des autres preuves, achèverait d'indiquer que ce Contrat est bien de lui: « Quel touchant spectacle que celui qu'offrait un peuple aimable lorsqu'il faisait avec tant d'harmonie les premiers pas vers la liberté ! » Style du temps, on le voit; les plus sages ne l'évitaient pas. Nous nous garderons de trop insister sur cette époque essentiellement transitoire de la vie de M. Daunou, dans laquelle ses paroles, si rapides et si empressées qu'il les fasse, sont encore devancées par les événements. Diverses brochures et articles de journaux, de sa façon, nous le présentent essayant de concilier le caractère sacré que lui et ses amis de l'Oratoire n'ont pas dépouillé, avec les circonstances sociales nouvelles; il s'applique à démontrer que la Constitution civile du clergé, telle que la veut l'Assemblée constituante, est sincèrement d'accord avec les principes de la foi catholique et avec les conditions de cette Église, y compris la primauté du pape et la supériorité de la juridiction épiscopale. Est-ce un simple vœu qu'il exprime ? est-ce un conseil de prudence et d'accommodement qu'il

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propose à ses amis de l'Oratoire et du clergé? ou bien enfin, est-ce une conviction vraiment sérieuse qu'il espère de faire prévaloir? En ce dernier cas, on aurait lieu de trouver qu'il n'appréciait pas suffisamment les deux forces aux prises, ni dans leur ensemble ni dans leur caractère; qu'en s'attachant à la stricte définition des termes, il ne tenait pas assez compte de l'esprit des choses; qu'il méconnaissait le vieil établissement catholique d'une part, et de l'autre semblait ne pas voir la marée philosophique montante, qui, ayant suscité un moment cette première réforme, devait aussitôt la déborder. Je suis toujours tenté d'en vouloir, je l'avoue, à cette méthode logique, à celle de Condillac en particulier, qui faisait ainsi appareil et illusion, à force de clarté, devant des yeux si bien organisés d'ailleurs. On affectait d'abord de tout définir, de réduire le problème à ses termes les plus nets, les plus précis, identifiant les idées et leurs signes, afin de raisonner ensuite au pied de la lettre; on simplifiait tout pour tout mieux résoudre, tandis que, dans la réalité, les choses vont se grossissant, se compliquant sans cesse par suite des passions, des intérêts, des intentions cachées. Il arrivait ainsi que la conclusion logique était en raison inverse du résultat que rendaient les événements, et qu'un coup d'œil plus étendu eût fait présager: cette conclusion si nettement déduite eût été triomphante, si les hommes eussent formé une classe de logique et de géométrie, une classe docile, et non pas un peuple. Quoique ce défaut, qui tient à l'abus de la méthode dite d'analyse, n'ait pas laissé de restreindre, j'ose le

croire, la portée de M. Daunou comme homme politique et public et comme philosophe, j'aime mieux pourtant ici, dans ses démonstrations en faveur de la Constitution civile du clergé, ne voir qu'un simple vœu honorable et de convenance, un mode d'interprétation utile qu'il propose jusqu'à la dernière extrémité, sans trop espérer de le faire accepter, et en se consolant luimême très-aisément d'avoir à marcher au delà. « Phi«<losophes, s'écrie-t-il en faisant sous le masque ano<< nyme la leçon aux deux partis, philosophes, loin de «< vous des procédés injustes ou des mesures impru<< dentes qui détacheraient de la cause commune à << tous les Français une classe de citoyens qui, après << tout, a servi cette cause en y attachant sa destinée! «< Et vous, prêtres dociles à la loi, ne calomniez pas la « philosophie; c'est de ce nom qu'on appelle le plus « digne usage de la raison de l'homme; c'est un nom « sacré, ne le prononcez qu'avec respect; le plus sûr << moyen de discréditer vos doctrines religieuses et « d'accélerer la chute de vos autels serait de renou«veler le scandale de ces déclamations fanatiques << devenues si ridicules, depuis un demi-siècle, dans la « bouche de vos prédécesseurs. Ah! soyez plutôt les << apôtres de la morale, les propagateurs du patrio«tisme, les prédicateurs et les modèles de la tolé<«<rance, et vous forcerez longtemps encore les amis de << la liberté de rendre hommage à l'utilité de votre « ministère. » Ce longtemps encore est significatif : l'oratorien de la veille ne voyait au mieux dans le christianisme qu'une forme temporaire et provisoire ;

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