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à enregistrer les retours de nos jugements après les écarts. C'est surtout là où nous nous étions trop avancé d'abord qu'il nous a fallu revenir ensuite et dégager notre première fougue d'enthousiasme, pour la réduire à ce qui nous a semblé plus tard justesse et vérité. Il se trouve de la sorte que les poëtes, certains poëtes, et de ceux qui avaient le plus enlevé nos premières amours, peuvent sembler moins bien traités en définitive que des critiques, des historiens, des hommes. que nous estimons et que nous admirons sans doute, mais dont tous pourtant ne sont pas à beaucoup près placés au même degré que les premiers dans notre évaluation des talents. Oh! que du moins les poëtes le sachent quels que soient les ravissements et les prudences de l'âge mûr, c'est d'eux encore que nous nous préoccupons le plus. Les inégalités mêmes et les brusqueries du retour ne sont pas au fond une preuve d'indifférence. Ces graves études d'historiens, ces portraits aux teintes plus sombres qui ont insensiblement succédé aux premières et poétiques couleurs, en attachant sévèrement notre attention, ne suffisent pas toujours à satisfaire en nous ce qui s'y remue encore du passé. Quand nous relisons et récitons, de Lamartine, son Lac immortel, de Victor Hugo, sa passionnée Tristesse d'Olympio le souvenir sacré renaît vite en nous, et tout cet ordre de notre laborieuse sagesse d'hier est ébranlé. Et même dans de moindres élans, dans des notes plus simples, si elles sont vives, mélodieuses et sincères, il nous arrive d'hésiter. Nous donnerions toujours bien des choses, et (qui sait?) la critique elle

même tout entière peut-être, pour savoir rouvrir la source de quelques élégies adorées. Qu'une page première du poëte d'Elvire soit venue nous rendre au hasard quelqu'une des douces plaintes connues: Lorsque seul avec toi, pensive et recueillie, etc., etc...; Ramenezmoi, disais-je, au fortunė rivage, etc...; que Victor Hugo ait proféré, à une heure brûlante, cet hymne attendri: Puisque j'ai mis ma lèvre à ta coupe encore pleine, etc...; qu'Alfred de Musset lui-même, à travers son léger récit d'Emmeline, ait modulé à demi-voix : Si je vous le disais pourtant que je vous aime, etc., etc.; ces notes vraies, tendres, profondes, nées du cœur et toutes chantantes, nous paraissent, aujourd'hui encore, autrement enviables que bien des mérites lentement acquis. Tout ceci est uniquement pour dire qu'en nous appliquant de plus en plus aux matières dites sérieuses, il nous est pourtant difficile de ne pas regretter et saluer, au moment de les voir disparaître, les premiers rivages et les statues que nous avions une fois couronnées. Si critique et si rassis que nous devenions par le cours des choses, qu'il ne nous soit jamais interdit de nous écrier avec le poëte:

Me juvat in prima coluisse Helicona juventa!...

Mars 1846.

M. DAUNOU".

(Cours d'Études historiques.)

Je voudrais parler assez à fond d'un homme respectable que j'ai beaucoup connu, que j'ai pratiqué durant des années, et aussi familièrement que ce mot peut convenir à des relations où la déférence et, par moments, la dissidence sous-entendue avaient tant de part. Il semblera peut-être que ce soit venir bien tard aujourd'hui, et qu'il y ait peu de chose à ajouter aux hommages de plus d'une sorte qui lui ont été publiquement rendus. Nulle mémoire, en effet, autant que celle de M. Daunou, ne s'est vite couronnée de ce concert florissant d'éloges auxquels sa modestie échappait de son vivant. Il avait défendu qu'aucun discours ne fût prononcé sur sa tombe, mais il n'a pu réprimer

(1) Ici commençait le III volume de l'édition de 1855. Il portait en tête ce court Avertissement : « Ce volume est le complément naturel de tous ceux que nous avons précédemment publiés on y trouvera tour à tour des portraits de femmes, d'historiens ou de poëtes, et il contient de plus quelques études de l'antiquité (5 mars 1846). »

également les voix du lendemain. Peu après sa mort, M. Natalis de Wailly a parlé de lui dans le Journal des Savants et a retracé avec une précision affectueuse comme une première esquisse de cette grave figure. M. Taillandier, exécuteur testamentaire de M. Daunou, n'a pas tardé à publier, sous le titre de Documents biographiques, un excellent volume où le texte tout entier de cette vie si pleine est, en quelque sorte, établi, où toutes les pièces à l'appui sont compulsées, mises en œuvre, et les moindres curiosités littéraires soigneusement indiquées : on n'a plus guère, pour le fond, qu'à puiser là. L'examen des écrits a été repris ensuite et développé dans une Notice de M. Guérard avec le soin et la rectitude qui distinguent ce consciencieux érudit. Au sein des compagnies académiques, M. le baron Walckenaer, successeur de M. Daunou comme secrétaire-perpétuel des Belles-Lettres, a discouru de lui avec diversité et effusion (1); M. Mignet, l'éloquent organe des Sciences morales et politiques, lui a consacré un de ses cadres majestueux. M. Victor Le Clerc enfin, en tête du vingtième volume de l'Histoire littéraire, a plus particulièrement apprécié le continuateur des Bénédictins. Que reste-t-il à dire après tant d'habiles gens? A les résumer peut-être, à creuser (ce qu'ils n'ont pu faire) de certains replis, mais aussi, je crois, à aborder M. Daunou par un côté qu'il n'entrait pas dans leur office principal de rechercher et de cé

(1) On me fait remarquer que c'est peut-être une faute d'impression, et que c'est plus probablement diffusion que j'ai voulu dire.

lébrer, je veux dire le point de vue de l'écrivain proprement dit. M. Daunou aurait pu être membre de 'Académie française, il en aurait été infailliblement si sa modestie ne l'avait tenu à l'écart; c'est là un aspect de son talent qu'il nous reste à démêler: l'homme de style en lui, le critique littéraire, le connaisseur en fait de langage. Nous n'interdirons pourtant pas à nos souvenirs la liberté d'excursion sur les autres points.

Que si, chemin faisant, nous sommes conduit, en louant ce qu'il était, à marquer du même trait ce qu'il n'était pas, et ce qu'il ne voulut pas être, ce que d'autres eussent pu considérer comme un développement légitime, ou du moins glorieux, et comme une conquête, aurons-nous besoin d'excuse? Lui-même, dans ses jugements littéraires les plus bienveillants, il n'apporta jamais de complaisance, et il sut relever le prix du moindre de ses éloges en les retenant toujours dans la limite de ce qu'il croyait la vérité.

Pierre-Claude-François Daunou naquit à Boulognesur-Mer, au mois d'août 1761. Son père, chirurgien estimé, sorti de l'Agenois, était venu prendre femme dans le Boulonnais et s'y établir. M. Daunou me paraît avoir combiné quelque chose des deux patries. Sans doute on aurait peine à lui trouver ce je ne sais quoi d'entreprenant et d'insinuant qui est le facile apanage, dit-on, des enfants issus de la Guyenne; lui, il se borna à la douce malice du sage, à la finesse demi-souriante. Mais son accent, travaillé peut-être en vue de l'enseignement public et des nécessités oratoires, était cer

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