vençale qui s'impriment à cette heure, et qui paraî tront vers l'automne prochain (1). Il nous suffira donc aujourd'hui de nous arrêter aux principaux articles et à ceux qui ont fait bruit. Les plus importants, de tout point, sont les douze leçons qu'il inséra en 1832 dans la Revue sur l'Origine de l'épopée chevaleresque au moyen âge. Guillaume de Schlegel, qui en prit occasion pour envoyer au Journal des Débats des considérations sur le même sujet (2), reconnaît à la publication de M. Fauriel toute la portée d'une découverte. Jusqu'alors on accordait volontiers aux poëtes et troubadours du midi la priorité et la supériorité dans les genres lyriques, et l'on réservait aux poëtes et trouvères du nord la palme du roman épique et du fabliau. M. Raynouard, qui avait tant fait pour remettre en lumière l'ancienne langue classique et les productions du midi de la France, n'avait guère dérangé cette opinion reçue. M. Fauriel, le premier, par toutes sortes de preuves et d'arguments d'une grande force, vint réclamer pour les Provençaux l'invention et le premier développement de la plupart des romans de chevalerie, non-seulement de ceux qui roulent sur les traditions de la lutte des chrétiens contre les Sarrasins d'Espagne ou sur les vieilles résistances des chefs aquitains contre les monarques carlovingiens, et qui forment le principal fonds de ce qu'on nomme le cycle de Charlemagne, mais encore de ces autres romans d'une branche plus (1) Ces trois volumes comme on l'a déjà dit, ont paru. (2) Le morceau de Schlegel est reproduit dans son volume d'Essais littéraires et historiques (Bonn, 1842). idéale, plus raffinée, et qui constituent le cycle de la Table ronde. Grande fut la surprise au premier moment, grande fut la clameur parmi les érudits d'en deçà de la Loire, parmi tous ceux qui tenaient pour l'origine bretonne ou pour l'origine normande de ces épopées. Nous ne voulons pas réveiller, nous osons constater à peine d'ardentes querelles où l'on vit de spirituelles plumes courir aux armes pour la défense de leurs frontières envahies (1). On aurait dit qu'il s'agissait de repousser une invasion du Midi redevenu à l'improviste conquérant. Le fait est que M. Fauriel, pour commencer, réclamait tout le butin d'un seul coup, et avec un ensemble de moyens, avec une hardiesse de sagacité tout à fait déconcertante: «M. Fauriel, dit Schlegel (rapporteur ici impartial et le plus éclairé), veut que la France méridionale, féconde en créations poétiques, ait toujours donné à ses voisins et qu'elle n'en ait jamais rien reçu. N'étant pas placé dans l'alternative ou d'adopter en entier son système ou de le rejeter de même, nous allons en examiner un à un les points les plus essentiels. » Or, en abordant successivement ces points, Schlegel donne gain de cause à M. Fauriel sur un bien grand nombre. N'ayant pas d'avis propre et personnel à exprimer en telle matière, je dois me borner à signaler en ces termes généraux l'état de la question. Il en est un peu des critiques les plus sagaces, les plus avisés et les plus circonspects, (1) Voir la préface du roman de Garin le Lohérain, par M. PauHn. Paris (1833). comme des conquérants : ils veulent pousser à bout leurs avantages. Il est très-possible que, sur quelques endroits de la frontière, M. Fauriel ait en effet forcé sa pointe et réclamé plus qu'il ne lui sera définitivement accordé. Il ne se contentait pas de passer la Loire et la Seine, il franchissait le Rhin et les Alpes, et s'efforçait d'asseoir en Allemagne, comme en Italie, l'influence provençale, d'en faire pénétrer le souffle jusqu'au nord de l'Europe. Sera-t-il fait droit, en fin de compte, à une si vaste ambition civilisatrice? On m'assure qu'il ne lui sera pas concédé tout ce qu'il prétend en Italie, en Souabe; on m'apprend que les Bretons résistent opiniâtrément, selon leur usage, et ne se laissent pas arracher une portion du cycle d'Arthur. La prochaine publication complète de son Cours fournira une base plus ample au débat. Mais ce qui est déjà hors de doute, c'est que, par lui, le sol indépendant de la poésie et de l'épopée provençale demeure singulièremen agrandi et en partie créé. On a dit de M. Raynouard qu'il avait retrouvé une langue, M. Fauriel a retrouvé une littérature. La Revue des Deux Mondes a eu l'avantage encore dɩ publier deux de ses plus excellents et de ses plus achevés morceaux biographiques, la vie de Dante (octobre 1834), et celle de Lope de Vega (septembre 1839). Cette derniè biographie a donné lieu à une assez vive discussion. Voulant raconter la vie et les aventures de jeunesse de Lope, M. Fauriel crut pouvoir tirer directement parti, à cet effet, du roman dramatique de Dorothée, dans lequel il était convaincu que le poëte espagnol avait consigné à très-peu près sa propre histoire. L'histoire est intéressante, romanesque, mais entremêlée d'incidents qui ne sauraient faire absolument honneur à la moralité du personnage. Un littérateur instruit, consciencieux et particulièrement versé dans l'étude de la littérature espagnole, M. DamasHinard, qui s'occupait vers ce même temps de traduire Lope de la Vega, vit dans la supposition de M. Fauriel une témérité gratuite de conjecture, et surtout une atteinte portée à l'honneur du poëte. Il s'en exprima avec chaleur, avec émotion, dans sa notice sur Lope (1). M. Magnin, avec sa modération scrupuleuse et sa balance, s'est fait le rapporteur de ce procès dans un article du Journal des Savants (novembre 1844); je demanderai pourtant à ajouter ici quelque chose de plus en faveur de l'opinion de M. Fauriel. Celui-ci, dans son premier article sur Lope, n'avait point déduit les preuves de sa conviction concernant la Dorothée; il n'avait point dit d'après quel ensemble de circonstances et de signes distinctifs il croyait pouvoir assigner à cette pièce l'importance réelle d'une espèce de biographie. Il l'a fait depuis dans son travail intitulé les Amours de Lope de Vega (2). Ces preuves, je l'avoue (et je parle ici d'après ma plus vraie pensée, indépendamment de ma fonction d'avocat naturel), me paraissent fort satisfaisantes et de celles dont les critiques sagaces n'hésitent pas à se prévaloir d'ordinaire (1) En tête des Chefs-d'œuvre du Théâtre espagnol. Vega. · Première série (1842). (2) Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1843. Lope de en cet ordre de conjectures. Si certains faits contenus dans la Dorothée n'allaient pas jusqu'à entacher la jeunesse de Lope, je ne doute point que tout biographe en quête de documents ne s'accommodât volontiers de cette source, qu'une foule d'indices, très-bien relevés par M. Fauriel, concourent à désigner. Et quant à ce qui est de la moralité de Lope, qui se trouverait compromise par cette interprétation, j'avoue encore ne point m'émouvoir à ce propos aussi vivement qu'on l'a fait. N'oublions pas que la mesure de la moralité varie singulièrement avec les siècles et selon les pays; l'imagination des poëtes a été de tout temps très-sujette à fausser cette mesure. Il arrive souvent à un poëte de s'éprendre si tendrement de son passé, même d'un passé douloureux, même d'un passé déréglé et coupable, qu'il s'y attache davantage en vieillissant ; qu'il le ressaisit étroitement par le souvenir; qu'au risque de perdre plus tard en estime, il sent le désir passionné de le transmettre, et qu'il a la faiblesse d'en vouloir tout consacrer. Je recommande cette considération à ceux qui ont sondé dans quelques-uns de ses recoins secrets cette nature morale des poëtes. Ajoutez-y, dans le cas présent, que l'imagination romanesque espagnole, en particulier, s'est toujours montrée d'une excessive complaisance sur le chapitre des fragilités de jeunesse et des situations équivoques où elles entraînent; il suffit d'avoir lu le Gil Blas pour s'en douter. Par cette polémique, quoi qu'il en soit par cette vivacité de riposte qui accueillait de graves écrits sur des sujets anciens, le pacifique M. Fauriel -- |