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plaisir mêlé d'envie le public de Paris applaudir en masse aux comédies de Molière; cette communication immédiate et intelligente de tout un peuple avec les productions du génie, et qui, seule, peut attester à celui-ci sa vie réelle, lui semblait refusée à une nation trop partagée et comme cantonnée par dialectes; lui qui devait réunir un jour toutes les intelligences élerées de son pays dans un sentiment unanime d'admiration, il ne croyait pas assez cette unanimité possible, et en tout cas il regrettait que la masse du public n'en fît pas le fond.

Fauriel l'encourageait avec autorité et par d'illustres exemples empruntés à l'Italie même, dont les grands écrivains avaient eu de tout temps à triompher de difficultés plus ou moins semblables. Manzoni d'ailleurs, en ces années de jeunesse, recueillait ses idées et les mûrissait tour à tour sous les soleils de France et de Lombardie, plutôt qu'il ne se hâtait de les produire. SC petit poëme d'Urania était commencé en 1807; il méditait un peu vaguement quelque projet de long poëme, tel que la Fondation de Venise, par exemple; mais surtout il vivait avec abondance et sans arrièrepensée de la vie morale, de la vie du cœur ; il perdait son père en 1807, il se mariait en 1808 il s'occupait d'agriculture et d'embellir sa résidence de Brusuglio, près de Milan; il revenait voir en France ses bons amis de la Maisonnette, et donnait Fauriel pour parrain au premier-né de ses enfants, à sa fille Juliette-Claudine, comme on l'avait nommée. Les saisons ainsi se passaient pour lui entre la famille, les arbres et les

vers et encore ces derniers semblaient-ils tenir la moindre place dans son attention. Le Grec Mustoxidi écrivait de Milan à Fauriel : « Alexandre (Manzoni) et le reste de la famille se portent bien et parlent souvent de vous lui, tout entier aux soins domestiques, il me semble s'éloigner trop fréquemment des Muses, qui pourtant lui furent si prodigues de leurs dons (1). » Manzoni ne s'éloignait pas autant de la poésie qu'il le paraissait, et elle devait revenir, après quelque retard, avec de nouvelles et plus saines douceurs. Adonné à la famille comme un Racine qui se serait retiré un peu trop tôt, converti, vers 1810, aux idées religieuses et à la pratique chrétienne, père, époux, ami, il se livrait de bonne foi aux sentiments humains régularisés, aux habitudes naturelles et pures; il y plongeait comme en pleine terre. Patience! l'imagination avec lui retrouvera son jour; âme non moins ardente que délicate, elle ne le laissa jamais. Il était de ceux en qui allait se vérifier un mot que lui avait dit Fauriel au début : « L'imagination, quand elle s'applique aux idées morales, se fortifie et redouble d'énergie avec l'âge, au lieu de se refroidir. »>

Manzoni s'occupait donc, sinon à produire de la poésie en ces années, du moins à jouir de tout ce qui en fait le sujet même et la meilleure part. Si l'architecture et les plans de villa dignes de Palladio semblaient

(1) « Alessandro e gli altri della famiglia godono salute, e spesso vi ricordano. Tutto dedito alle cure domestiche, mi pare che s'allontani troppo di frequente dalle Muse le quali pur gli furono liberali di oro favori. » (Milan, 20 décembre 1811).

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parfois usurper un peu magnifiquement sur ses rêves, l'agriculture et ses charmes innocents remplissaient plus à souhait et plus sûrement ses loisirs. Il recevait de Fauriel des graines choisies, des assortiments nombreux de semences, qui allaient remplir le vœu de l'amitié en tombant sur une terre heureuse; mais les vers à soie surtout et les mûriers étaient sa grande affaire dès la fin de mai, car on filait les cocons au logis. Un certain jour, dès les premiers temps de son installation à la campagne, un essaim d'abeilles vint élire domicile dans le jardin et se prêter à son observation familière, comme pour fournir une suite de plaisirs et d'occupations classiques à ce fils de Virgile. C'étaient là des joies pures, et la poésie ne pouvait être loin.

On a dit et il est à croire que ce fut en effet pendant un séjour à Paris, vers les premiers mois de 1810, qu'arrivèrent à Manzoni les premières idées et les lumières déterminantes dans lesquelles il lui sembla voir une indication divine; son changement de direction religieuse data de ce moment. Toute recherche à ce sujet serait indiscrète. On peut conjecturer seulement qu'il y eut là pour l'amitié une épreuve assez délicate à traverser. Fauriel était le plus équitable, le plus tolérant, le moins décisif assurément des penseurs; mais il demeurait dans ses propres voies; il était occupé, hier encore, à étudier la sagesse humaine dans la personne de ses plus orgueilleux représentants. Manzoni pouvait craindre pour cette science de son cher historien du stoïcisme qu'elle ne fût un obstacle à ce qui est surtout révélé aux petits et aux simples. Que

se passa-t-il là à un certain moment, entre ces deux cœurs, entre le philosophe toujours modeste et le croyant d'autant plus aimant? Si ce dernier s'essaya jamais à toucher au sein de l'autre un coin de cette chose, à ses yeux la plus importante, ce dut être avec une discrétion bien tendre. Nul auprès d'eux n'en a su le mystère. En résultat, leur intimité n'en ressentit aucune diminution, aucun refroidissement.

Les événements de 1813-1814 apportèrent forcément une grande interruption dans le commerce des deux amis. C'est vers cet intervalle que Manzoni publia ou composa les Hymnes sacrés dans lesquels il tâchait, disait-il, de ramener à la religion ces sentiments nobles, grands et humains, qui découlent naturellement d'elle (1). Cette époque fut celle de sa transformation entière, même en poésie; l'étude et le temps firent éclore et développèrent au sein de son talent les germes lentement préparés; sans doute le souvenir médité des anciens entretiens avec son ami y contribua beaucoup. Au printemps de 1816, nous trouvons Manzoni s'occupant avec ardeur d'écrire sa tragédie de Carmalogna, et le lien littéraire qui le rattache à Fauriel se renoue

(1) Les quatre ou cinq hymnes qui sont publiés n'étaient, dans la pensée du poëte, qu'un commencement; son projet était d'en faire une douzaine, en célébrant les solennités principales de l'année. Ces hymnes, par leur succès populaire, donnèrent un heureux démenti aux méfiances qu'exprimait Manzoni sur le rôle possible de la poésie italienne; Mustoxidi écrivait de Venise à Fauriel, en février 1824 : « Mille tenere cose al nostro Alessandro: egli avrà veduto l'edizione de' suoi inni fatta in Udine, ed io mi rallegro nell' udirli ripetere dai giovanetti con vivo entusiasmo. »

étroitement. Les deux tragédies de Carmagnola et d'Adelchi, c'est-à-dire ce que le drame romantique a produit de plus distingué en Europe durant cette période de 1815 à 1830, ne sauraient sans doute se considérer comme un appendice de l'histoire littéraire du romantisme en France sous la Restauration ; mais il nous suffit que ces deux œuvres remarquables y tiennent par plusieurs de leurs racines. L'Italie, aux diverses époques, a toujours tant influé sur la France par sa littérature, qu'il était bon qu'à un certain moment la France le lui rendît en la personne d'un si noble poëte dramatique.

En s'appliquant à la composition de ses tragédies historiques indépendamment de toute règle factice, en combinant l'étude sévère et la passion, la fidélité à l'esprit, aux mœurs et aux caractères particuliers de l'époque, et les sentiments humains généraux s'exprimant dans un langage digne et naturel, Manzoni ne faisait autre chose que réaliser avec originalité le vœu déjà ancien de son ami, et donner la vie poétique aux idées qu'ils avaient autrefois agitées ensemble. Lorsque Fauriel vit l'œuvre et lut ce Carmagnola à lui dédié, il put aussitôt reconnaître son idéal et s'écrier : Le voilà! La critique, évidemment, avait préexisté ici, et, jusqu'à un certain point, présidé à la tentative de l'art, mais une critique sage, ramenée aux notions premières du bon sens, y dirigeant et y réduisant sa réforme. La vieille critique ayant comme à plaisir encombré la scène de toutes sortes d'appareils et de barrières qui étaient autant de ressorts pour la médiocrité et de piéges pour le talent, il avait fallu déblayer

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