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publia en 1810. Pour l'ensemble de ses études secrètes, Fauriel n'avait à suivre que sa pente naturelle et l'inspiration même qui lui venait, lente et puissante, en présence des choses; mais, pour se décider à mettre la dernière main et à publier, il lui fallait presque toujours le stimulant de circonstances accidentelles et le désir surtout de complaire à l'amitié. C'est ainsi qu'il fit plus tard en introduisant parmi nous les deux tragédies de Manzoni; c'est ainsi qu'il fit d'abord pour la Parthénéide de Baggesen.

Cette traduction, précédée d'un Discours préliminaire très-remarquable, parut, après bien des retards et des ajournements, dans l'été de 1810; c'est le seul ouvrage proprement dit que Fauriel ait publié avant l'époque de la Restauration, et, fidèle à son rôle modeste, il le publia sans même se nommer. L'introduction pourtant mérite de compter dans l'histoire de la critique littéraire en France.

L'auteur de cette Parthénéide ou Parthenaïs, Baggesen, poëte danois des plus distingués, l'avait composée en allemand et avait su heureusement lutter en cette langue étrangère avec la Louise de Voss, avec l'Her-· mann et Dorothée de Goëthe; son charmant poëme donnait la main aux leurs pour compléter le groupe pastoral. Baggesen était personnellement un caractère plein de saillie, d'imprévu, et d'une bizarrerie qui ne devait pas déplaire; il avait parfois dans l'esprit une gaieté très-originale qui contrastait avec ses tourments perpétuels et ses mésaventures réelles ou imaginaires. Il passait volontiers de l'exaltation au découragement;

tantôt les calamités de son pays, tantôt ses gênes domestiques, ou même des riens et ce qu'on appelle les mille petites misères de la vie humaine, le jetaient dans des abattements extrêmes, d'où il se relevait tout d'un coup avec vivacité. Il aimait beaucoup la France, et sa femme était Française ou du moins Genevoise. Il était venu à Paris dans sa première jeunesse, il y revint à l'époque du Consulat et fut accueilli avec cordialité dans les cercles d'Auteuil et de la Maisonnette. Un-jour qu'il se lamentait de n'avoir pu se loger l'été à SaintGermain, à portée de Meulan, il écrivait à Fauriel, après une page toute de doléances, ce correctif aimable qui nous le peint naïvement:

<< N'allez pourtant pas croire, mon bien aimable ami, que ces maux soient sans remède, et ne vous attristez point trop, en oubliant de rabattre tout ce que mon imagination fiévreuse ajoute au mal réel. Je suis toujours plus à plaindre que je ne suis malheureux (1); mais cela doit consoler l'ami qui voit plus loin, car, sachant une fois pour toutes que je mesure tout avec une aune essentiellement fausse, il doit se défier de mon calcul. En vérité je ne l'ai jamais trouvé juste que pour moi-même. Plaignez-moi donc, mais ne vous inquiétez pas... Jouissez, excellent homme, jouissez doublement de la campagne cet été, prenez-en ma part afin que je puisse me dire qu'elle n'est pas perdue. »

Baggesen avait fini pourtant par trouver à se loger près de Marly; du premier jour il avait baptisé son ha

(1) Ce mot de Baggesen pourrait servir de devise à toutes ces sensibilités de poëtes et de rêveurs qui se dévorent, comme JeanJacques, et à toutes les âmes douloureuses.

bitation nouvelle du nom de Violette, et il s'était hâté de donner cette adresse de son invention à ses amis; mais les lettres qu'on lui adressait (c'était tout simple), ne lui parvenaient pas :

« Je ne comprends point (écrivait-il à Fauriel d'un ton qui fait bien sentir son genre d'humour) comment les lettres dont vous me parlez ne me sont pas parvenues. Le facteur de Marly m'en a trop apporté dès le commencement pour ne pas me connaître..... Le nom de Violette n'y fait rien; c'est Marly-la-Machine qui décide, qui depuis longtemps ne s'appelle plus Marly-le-Roi, et qui n'est pas encore appelé Marly-l'Empereur. Continuez toutefois d'omettre la Violette pour l'avenir; ce n'était naturellement qu'un badinage de ma part de vous donner cette adresse, une mauvaise plaisanterie, si vous voulez, en pensant à Villelle (1), d'où je m'imaginais que vous pourriez de temps en temps dater vos lettres. J'aime d'ailleurs les noms propres : j'ai toujours été bien aise de porter un nom à moi, et je ne saurais vous dire combien de plaisir il me fait que personne ne s'appelle Fauriel, hors mon ami... Pour ce qui regarde ma Violette, j'y renonce dès à présent dans tous les actes publics, mais rien au monde ne m'y fera renoncer dans les cas privés. Je dirai là-dessus comme disait certain évêque : « En public, madame, « vous serez obligée de m'appeler monsieur, mais en parti« culier vous pouvez m'appeler monseigneur. » N'ai-je pas fait planter une quantité innombrable de violettes au pied de la butte que je viens de faire moi-même dans le jardin, uniquement pour justifier ce nom? Et n'ai-je pas daté toutes les lettres que j'ai écrites depuis un mois, de Violette, par cette même raison? Il est vrai que, jusqu'à présent, il n'y a que vous, Mme de C..., ma femme et moi, qui sachions ce nom; mais mes trois fils grandissent et le sauront un jour,

(1) C'était la terre de M. de Grouchy.

mon meilleur ami M... le saura, et puis la postérité; c'est tout ce qu'il me faut. Les violettes craignent le grand jour; c'est au sein de l'amour, de l'amitié et de la poésie qu'elles se cachent. >>

Fauriel s'était épris tout d'abord du poëme de la Parthénéide, et s'était dit de le traduire; mais il y avait des difficultés plus grandes qu'on ne le supposerait aujourd'hui, à risquer cette traduction devant un public très-dédaigneux de goût et très en garde sur le chapitre des admirations étrangères. Fauriel fit là ce qu'on le vit renouveler depuis en d'autres circonstances il s'associa à l'auteur même qu'il interprétait, entra intimement dans l'esprit du poëme, dans le goût inhérent aux deux poésies et aux deux langues qu'il s'agissait de concilier, provoqua des changements dans l'ouvrage original pour une future édition, et se fit pardonner auprès du poëte ami, qu'il voulait avant tout servir, ses conseils judicieux de remaniement, ou, qui plus est, ses propres retouches exquises et délicates. Mais qu'ai-je dit pardonner? L'excellent Baggesen n'en était pas là avec lui, et il le suppliait, bien au contraire, d'en agir de la sorte, il le lui répétait chaque jour avec une vivacité et une sincérité intelligente, qui prouve autant pour son esprit que pour son cœur :

« Mais que je vous dise au moins à la hâte (lui écrivait-il) un petit mot sur l'extrême plaisir que m'a fait votre annonce de la traduction des premier, deuxième et quatrième chants de la Parthénais, et surtout votre raisonnement sur la méthode que vous avez adoptée, et sur la manière dont vous pensez continuer ce travail généreux. Je brûle d'impatience

de lire ce commencement, sûr de la satisfaction la plus complète. Je ne doute nullement, mon cher Fauriel, que votre traduction, en vous permettant toutes les libertés que vous demandez, ne devienne la meilleure possible, et que, si l'original est un ouvrage manqué, la traduction au moins ne soit un chef-d'œuvre. Rendez-moi comme vous me sentez, c'est-à-dire bien plus beau que je ne suis... ›

Et encore:

« Moi, mon cher ami, je ne vous demande qu'une chose, comme à mon traducteur, c'est de ne pas l'être dans le sens ordinaire, mais dans le sens réel, c'est-à-dire de rendre l'âme et non pas le corps de mon ouvrage. Dites les choses, non pas comme je les ai dites, mais comme vous auriez voulu les dire, pour qu'elles deviennent effectivement, non pas les mêmes, mais plus belles. En un mot, coulez ma matière, fondue par la chaleur de votre sentiment, dans la forme de votre goût (1). Plus vous me changerez, pour ce qui regarde la façon, plus ie serai charmé, car vous ne me donnerez par là que plus de grâces. est pas moi qui parle, c'est la petite Parthenaïs, jalouse de paraître un peu comme il faut dans le beau monde de Paris. »

Il y avait même des moments où la reconnaissance exaltée de Baggesen aliait plus loin, et où, ravi des conseils si appropriés de son ami, il voyait déjà en lui un poëte, que sais-je ? un poëte épique, un des maîtres et des rois prochains de l'idéal; mais il suffisait à Fauriel, pour remplir ici tout son office, d'être un critique éminent, le plus ingénieux et le plus sagace.

(1) N'oublions pas que c'est un étranger qui écrit: l'image d'ailleurs est parfaitement exacte, et elle vient rappeler à propos combien en effet le goût des nations diffère.

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