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at fond, mais stoïcien compatissant et sensible, un stoïcien orné de bienveillance, voilé de scepticisme, et d'une teinte très-adoucie.

J'aime à me figurer, pour tout comprendre, que, presque au même moment où il interrogeait son ami Cabanis sur la grande question des causes premières, il était où il allait être lui-même discrètement touché par son ami Manzoni à cet endroit délicat de la croyance religieuse. Mais n'anticipons point ici sur cette autre liaison si à part et qui viendra en son lieu.

La Lettre de Cabanis à Fauriel sur les Causes finales peut être signalée comme le premier symptôme d'un changement prochain dans la manière d'envisager ces hautes questions : une ère nouvelle se prépare; un germe d'impartialité vient de naître jusqu'au cœur même de la doctrine rigoureuse; au lieu de l'aigreur habituelle et de la sécheresse négative qui accueillaient trop souvent ces mystérieux problèmes, voilà qu'il arrive des allées d'Auteuil comme un souffle plus calme et bienfaisant; c'est une parole lente et circonspecte, révérente jusque dans ses doutes, et qui monte autant qu'elle peut, d'un effort sincère. Honneur à Fauriel pour avoir provoqué l'effort!

Fauriel, lorsqu'on l'interrogeait sur Cabanis, n'en parlait jamais que comme de l'homme le plus parfait moralement qu'il eût connu. Dans les derniers temps. de sa vie, Cabanis avait quitté Auteuil pour habiter la campagne près de Meulan, c'est-à-dire non loin de la Maisonnette; ce voisinage resserra encore les liens. Avant même de s'établir au hameau de Rueil, Cabanis

était souvent à Villette, chez son beau-père, M. de Grouchy « Oui, venez voir nos riches prairies, écrivait-il de là à Fauriel au printemps de 1804, nos blés admirables, notre verdure aussi riche que fraîche et riante. Les insectes qui bourdonnent appellent la rêverie et invitent à un calme heureux. Ceux qui carilionnent ailleurs ne produisent pas toujours le même effet. » Lorsque Cabanis mourut, en mai 1808, ce fut une profonde douleur pour Fauriel; il avait d'abord eu le projet de payer à son ami sa dette dans une notice étendue, mais ce trop grand désir de la perfection qu'il portait en toutes choses, qu'il eût porté surtout en un sujet si cher à son cœur, et aussi l'excès de sa sensibilité, s'y opposèrent; il finit même par se détourner peu à peu des études philosophiques auxquelles le souvenir de cette perte se mêlait trop étroitement. Bien des années après, M. Daunou, au moment de sa mort, préparait une biographie développée de Cabanis, qu'il n'a pas eu le temps d'écrire. Cette lacune n'a donc pas été remplie, et la tradition s'est rompue avant que l'esprit en ait pu être fixé par un héritier fidèle dans le portrait du sage. Benjamin Constant écrivait de Suisse à Fauriel, le 22 juillet 1808:

« Je me suis informé souvent de vous cet hiver. J'ai espéré plusieurs fois, d'après ce qu'on me disait, que vous viendriez à Paris, et je comptais au moins vous rencontrer à une triste cérémonie, où j'aurais bien sincèrement mêlé mes regrets aux vôtres. Je conçois que la perte de Cabanis, qui aurait été dans tous les temps une juste cause d'affliction pour ses amis, vous ait été doublement sensible, dans un moment où

les hommes de cette espèce semblent disparaître de la terre. A peine aperçoit-on encore quelques débris de cette classe qu'assurément la génération qu'on forme et qu'on veut former ne remplacera pas. >>

Pour exprimer cette fleur de bonté, de douceur et d'affection qu'il avait reconnue dans l'ami de son ami, Manzoni ne trouvait rien de mieux qu'un mot qui dit tout et plus que tout: parlant de lui avec Fauriel, il l'appelait cet angélique Cabanis.

Beaucoup moins intimement et moins tendrement uni à M. de Tracy qu'à son cher Cabanis, Fauriel entretint pourtant avec l'éminent auteur des Éléments d'Idéologie de sérieux et fréquents rapports, très-cimentés de confiance et d'estime. Je n'oserais affirmer que la Lettre de Cabanis sur les Causes finales n'ait pas un peu mécontenté M. de Tracy, comme une excursion beaucoup trop indulgente et presque compromettante dans la région de la conjecture. Dans sa dissidence avec Villers, Fauriel se tint plus strictement rapproché de la droite ligne idéologique et de l'ordre d'objections qui s'y appuyaient; il dut satisfaire M. de Tracy. Celui-ci montra de tout temps une grande confiance dans les lumières et les conseils du jeune ami de Cabanis, et il y recourut plus d'une fois ; il prenait un grand intérêt aussi à l'achèvement de cette histoire des stoïciens qui ne devait jamais voir le jour, et que ce démon de la procrastination (1), trop cher à l'auteur, se réservait finalement de nous dérober. Ayant confié à Fauriel le ma

(1) Le mot est de Benjamin Constant.

nuscrit de son traité d'économie politique ou de la Volonté, M. de Tracy lui écrivait ces lignes bien honorables pour tous deux :

«..... Avant de me remettre à travailler, j'ai besoin de savoir positivement si je dois tout jeter au feu et m'y reprendre d'une autre manière, moins méthodique peut-être, mais plus pratique. C'est de vous, monsieur, et de vous seul, que je puis espérer ce bon avis, et cela me fera risquer de vous envoyer ce fatras à la première occasion. Au reste, usez-en bien à votre aise et commodité. Prenez-le, laissez-le; ditesmoi sincèrement si vous n'avez pu l'achever. C'est ce que je crains car je ne crains pas trop que vous ne trouviez pas qu'au fond cela est vrai. Sur toutes choses, que ce soit absolument à vos moments perdus. S'ils n'y suffisent pas, cela ne vaut rien; car vos moments perdus valent mieux que ceux employés par bien d'autres. Et surtout encore que cela ne dérobé pas un seul instant à vos chers stoïciens. J'en suis bien plus empressé que de tout ce que je peux jamais rêver. Oh! que c'est un beau cadre! et que ce sera un beau tableau, quand vous y aurez mis vos idées! Cela fera bien du bien; à qui? A un monde qui n'en vaut guère la peine, d'accord; mais nous n'en avons pas d'autre; et il n'y a moyen d'y exister qu'en rêvant à le rendre meilleur. Il n'y a que quelques êtres comme vous qui me raccommodent avec lui. (Et en post-scriptum): Ma tête est bien mauvaise; c'est par elle que je commence à médire de tout ce que je vois. »

M. de Tracy, le solitaire d'Auteuil, comme il s'intitulait volontiers depuis le départ de Cabanis, éprouvé en ces années par des pertes cruelles, était lui-même sujet à de longs accès de découragement; on aime à surprendre ces natures philosophiques sous un jour affec

tueux et attendri. Annonçant à Fauriel son Commentaire sur Montesquieu, qui n'était qu'une occasion pour lui, disait-il, d'agiter une foule de questions, il écrivait encore avec une grâce aimable, mais cette fois avec une certaine verdeur d'espérance :

« Je voudrais surtout ne pas me croiser avec vous; mais, puisque vous dépendez d'événements lointains, je pense toujours que le mieux est de vous aller chercher. Je risquerai de vous parler beaucoup de Montesquieu; car dans un gîte on rêve, et vous m'y avez encouragé. C'est pour moi le voyage de Rome. J'y profite peu; mais c'est une façon de jouir que de voir combien les hommes ordinaires de notre temps, tant maudit et même avec justice, voient nettement de bonnes choses que les hommes supérieurs d'un temps très-peu ancien ne voyaient que très-obscurément. Cela me fait enrager d'être vieux. Il vaudrait mieux s'en consoler; mais chacun tire de ses méditations le fruit qu'il peut; et cela dépend de l'arbre sur lequel elles sont greffées. Le mien est bien sauvageon: celui de l'amitié est le seul qui porte des fruits toujours doux, disent les Orientaux, et ils ont raison. »

Ne croit-on pas sentir sous ce ton un peu bref, un peu saccadé, et à travers ce sourire du grondeur, le contraste d'un esprit ferme et même rigoureux qui s'allie avec la sensibilité de l'âme ?

Au sein de tant de relations si fructueuses pour l'intelligence comme pour le cœur, au milieu des profonds travaux de divers genres que Fauriel poursuivait et qui bientôt vinrent tous concourir et aboutir dans sa pensée à l'histoire, un premier épisode littéraire se détache, la traduction de la Parthénéide de Baggesen, qu'il

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