صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

A cette lettre de Fauriel, Villers répondit aussitôt :

« Ce n'est point de votre bienveillance et de l'amitié personnelle que vous m'accordez, mon cher Fauriel, que j'ai jamais douté; mais j'avoue que j'ai été affecté, dans l'explication que nous eûmes chez vous, un matin, de vous voir m'accuser, avec une très-grande vivacité, de déprécier gratuitement la France, de relever outre mesure l'Allemagne, etc. Ce n'est pas, comme vous le dites, une partialité peu philosophique qui me fait incliner pour la culture morale et intellectuelle de l'Allemagne protestante: c'est, j'ose le dire, un sentiment de préférence très-motivé, fondé sur dix ans d'études et d'observations. Si vous connaissiez mieux les bases de ma conviction, si nous avions vécu davantage ensemble, vous y trouveriez peut-être quelque chose de plus noble et de plus raisonnable que ce qu'on a coutume de désigner par l'odieux nom de partialité. Convenez qu'il a dû être pénible pour moi de les voir ainsi méconnaître par vous, que j'avais cru plus capable que personne de les apprécier.

« Quant à l'extrait que vous avez commencé de mon ouvrage dans la Décade, et dont je suis très-loin d'être mécontent, je vous prie sincèrement de vouloir bien le continuer. Je vous ai fait une observation sur le code prussien, au sujet duquel vous aviez pris le change, une autre au sujet de l'orientalisme des théologiens protestants, sur lequel vous preniez aussi le change (1). Mais que cela ne change rien au reste de votre travail. Vous m'avez dit, il est vrai, en termes fort clairs, que vous croyez beaucoup moins que moi à l'influence de la Réformation. J'y croyais aussi beaucoup moins quand j'ai commencé à l'étudier sérieusement, et j'imagine qu'alors j'aurais nié et traité de chimère ce qu'on m'aurait dit à ce sujet. Ce n'est qu'en y regardant de très

[ocr errors]

(1) Fauriel, dans son article, tint compte de ces deux observations et retira les critiques qui s'y rapportaient.

près, et en remontant à toutes les sources, que s'est découverte à mes yeux toute la fertilité de ce grand événement, qui a occupé presque exclusivement les cabinets et les têtes pensantes de l'Europe entière, depuis 1520 jusqu'en 1648.Il se fait de la besogne pendant 128 ans d'activité; mais, deux ou trois siècles après, on le perd de vue. Adieu. Ne pensez pas qu'il y ait rien de changé dans mon attachement et mon estime pour vous. »

Villers, dans cette discussion, n'était pas en reste, on le voit, de raisons plausibles : il avait vu de près l'Allemagne, et s'il en était très-préoccupé comme de ce qu'on sait bien, il avait, pour appuyer ses conclusions favorables, une série de faits positifs. Fauriel se tenait au point de vue plus général et plus philosophiques Villers entrait davantage dans la donnée protestante et la croyait fertile en résultats de tout genre, comme elle l'a été en effet au delà du Rhin. Il avait été trèsfrappé de la force des études religieuses, et de ce que produisait de lumières historiques cette critique circonscrite et profonde, appliquée aux textes sacrés. C'est en ce sens qu'il attribuait à l'orientalisme biblique des théologiens protestants plus de portée et plus d'effet que Fauriel n'avait consenti d'abord à en reconnaître.

« Dévoiler par la plus savante critique les secrets de l'histoire, de la chronologie, de la culture, de l'état politique, moral, religieux, des peuples et des lieux où s'est passée la scène des événements de l'Ancien Testament, voilà, lui disait ́ Villers, la tâche qu'ils ont remplie, et qui est un peu plus intéressante que vous ne semblez le croire. Vous en penseriez, sans nul doute, autrement si vous aviez, par exemple, sous les yeux l'Introduction à l'Étude de l'Ancien Testa

ment, par Michaëlis de Goettingue, ou les travaux d'Eichhorn sur le même objet, ou les dix volumes de sa Bibliothèque orientale, ou que vous eussiez assisté à un cours de critique sur Jérémie par le vieux Schnurrer de Tubingue... >>

Villers était initié à cette forme de doctrine et à cette méthode d'outre-Rhin qui, pour arriver à des résultats purement philosophiques, tels que les a vus sortir notre siècle, devait passer graduellement par les lentes stations d'une exégèse successive; il appréciait ce mélange indéfinissable de rationalisme et de foi, de hardiesse scientifique et de réserve sincère, qui s'est maintenue si longtemps en équilibre dans ces têtes pensantes, qui n'aurait pas subsisté un quart d'heure chez nous, et dont l'exemple le plus élevé s'est rencontré avec une admirable mesuré dans la personne de Schleiermacher.

Fauriel, dans cette discussion avec Villers, reprend d'ailleurs ses avantages par la justesse et la précision des critiques qu'il dirige aux endroits essentiels. En même temps nous le saisissons bien exactement dans son progrès d'esprit, dans sa marche propre, tenant encore par ses racines au xvme siècle, et lui qui va devenir si historique de méthode, et qui l'est déjà, nous le surprenons quelque peu idéologue encore jusque dans l'appréciation de l'histoire. Fauriel a eu cela de particulier et d'original, nous ne saurions assez le rappeler, qu'issu du pur xvme siècle et comme en le prolongeant, il a rencontré et entamé presque toutes les recherches du XIXe, sans avoir dit à aucun jour : Je romps. Assez d'autres, sur le devant de la scène, se

hâtent d'emboucher la trompette en ces heures de renouvellement, et s'écrient avec fanfares à la face du soleil :

Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo!

Fauriel disait moins, tout en faisant beaucoup. En lui les extrémités, les terminaisons de l'âge précédent se confondent, se combinent à petit bruit avec les origines de l'autre ; il y a de ces intermédiaires cachés, qui font qu'ainsi deux époques, en divorce et en rupture à la surface, se tiennent comme par les entrailles.

Dans le critique de Villers, il nous a été possible de reconnaître l'ami de Cabanis. Fauriel eut, en effet, avec Cabanis une de ces liaisons étroites, de ces amitiés uniques, qui font également honneur à l'une et à l'autre des deux âmes. On peut dire que les deux hommes peut-être que Fauriel a le plus tendrement aimés furent Cabanis et Manzoni : il y a bien à rêver, comme dirait Mme de Sévigné, sur le rapprochement de ces deux noms.

Cabanis (et je n'entends hasarder ici que mon opinion personnelle) n'est pas encore bien jugé de nos jours; malgré un retour impartial, on ne me paraît pas complétement équitable. Les plus justes à son égard font l'éloge de l'homme et traitent un peu légèrement le philosophe. Cabanis l'était pourtant, si je m'en forme une exacte idée, autant qu'aucun de son temps et du nôtre; il l'était dans le sens le plus élevé, le plus honorable et le plus moral, un amateur éclairé et passionné de la sagesse. Je ne prétends pas le moins du

monde, en m'exprimant de la sorte, m'engager de prè3 ni de loin dans l'appréciation d'un système qui a peu de faveur, qui n'en mérite aucune à le juger par certains de ses résultats apparents, et dans lequel on es: heureux de surprendre à la fin les doutes raisonnés de Cabanis lui-même : mais ces doutes vraiment supé rieurs ne sont-ils pas plus sérieusement enchaînés et peut-être plus considérables qu'on ne l'a dit (1)? Quoi qu'il en soit, nous devons en toucher quelque chose en passant. Il est un seul aspect par lequel Cabanis nous importe et nous revient ici, c'est le côté sur lequel nous retrouvons Fauriel agissant, et agissant jusqu'au point de modifier son ami; car le même esprit qui a exercé de près tant d'action sur les débuts de beaucoup d'hommes distingués de l'âge nouveau a eu l'honneur non moindre d'influer sur l'un des personnages les plus caractéristiques du vieux siècle : il a comme inspiré le dernier mot de Cabanis finissant.

Fauriel avait entrepris une Histoire du Stoïcisme; il avait amassé dans ce but une quantité de matériaux, et avait sans doute poussé assez avant la rédaction de certaines parties. Il ne nous est resté de son projet que des cadres très-généraux, des listes de noms et des notes biographiques, la masse des autres papiers ayant péri pour avoir été enterrée dans un jardin à la cam

(1) Dans un éloquent et savant morceau sur la Philosophie de Cabanis, inséré dans la Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1844, M. de Rémusat en a jugé et a prononcé avec plus de rigueur; c'est l'adversaire le plus équitable, le plus généreux, le plus indulgent, mais c'est un adversaire.

« السابقةمتابعة »