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personne, et je rassemble avec inquiétude, pour les objets de mon amitié, tous les moyens de bonheur que je découvre ou que j'imagine. »

Constant ne pouvait manquer d'entretenir Fauriel de cet ouvrage Sur les Religions qui subissait en ce moment une métamorphose essentielle, et dans lequel l'auteur introduisait enfin le sentiment, le souffle religieux :

<< Pour la quatrième fois, lui écrivait-il (26 messidor an x), j'ai recommencé mon ouvrage. Je crois qu'il gagnera à la refonte à laquelle je me suis déterminé. Je désire le rendre le moins imparfait possible; il faut qu'il ait assez de mérite pour se soutenir durant cette époque de dégoût pour les sujets dont je traite, de manière à se retrouver lorsque ce dégoût sera passé. »

Ce dégoût du public pour les sujets religieux n'était pas si absolu que Constant le supposait, et le succès du Génie du Christianisme lui aurait pu fournir une mesure meilleure de l'état théologique des esprits. Il est vrai qu'à son point de vue philosophique il considérait ce succès plutôt en adversaire, et qu'il en passait volontiers à cet égard par les jugements amers que portait Guinguené dans la Décade (1). Constant accueillait

.....

(1) A propos de ces articles de Guinguené contre le Génie du Christianisme, Benjamin Constant écrivait à Fauriel : «< ... Je « viens de lire dans la Décade avec un bien grand plaisir l'Extrait « de Chateaubriand, par Guinguené. On voit que l'auteur de cet << extrait avait commencé avec le désir de n'être pas trop sévère et « de ne pas blesser l'auteur, et qu'il a été graduellement emporté « par la force de la vérité et par l'amour de la philosophie et de « la République. J'attends avec impatience la troisième partie de

plus indulgemment le livre de Cabanis (Traité du Physique et du Moral), qui paraissait à cette fin de 1802, et qu'il recevait de Paris en même temps que Fauriel y recevait Delphine. Ce jugement sur Cabanis confine de trop près aux opinions et aux affections de Fauriel à cette époque, et il exprime trop bien aussi le fond des pensées de Constant sur ces sujets délicats, pour être dérobé au lecteur :

<< (Genève, ce 3 frimaire an XI.) Je lis, autant que mon impuissance de méditation me le permet, le livre de Cabanis, et j'en suis enchanté. Il y a une netteté dans les idées, une clarté dans les expressions, une fierté contenue dans le style, un calme dans la marche de l'ouvrage, qui en font, selon moi, une des plus belles productions du siècle. Le fond du système a toujours été ce qui m'a paru le plus probable, mais j'avoue que je n'ai pas une grande envie que cela me soit démontré. J'ai besoin d'en appeler à l'avenir contre le présent, et, surtout à une époque où toutes les pensées qui sont recueillies dans les têtes éclairées n'osent en sortir, je répugne à croire que, le moule étant brisé, tout ce qu'il contient serait détruit. Je pense avec Cabanis qu'on ne peut rien faire des idées de ce genre comme institutions. Je ne les crois pas même nécessaires à la morale. Je suis convaincu que ceux qui s'en servent sont le plus souvent des fourbes, et que ceux qui ne sont pas des fourbes jouent le jeu de ces derniers, et préparent leur triomphe. Mais il y a une partie mystérieuse de la nature que j'aime à conserver comme le domaine de mes conjectures, de mes espérances, et même de mes imprécations contre quelques hommes. >>

Il y aurait bien à épiloguer sur ce jugement; l'idée

■ cet extrait que je n'ai pas lue encore. (Genève, 28 messider « an x.) »

la plus choquante, du moins de la part d'un homme politique, est-celle ci: qu'il n'y a rien à faire des idées spiritualistes et religieuses à titre d'institutions; mais l'espèce de protestation quand même qui termine, cette réserve expresse en faveur de la partie mystérieuse de notre être, est noble autant que sincère; elle honore Constant, et elle va le caractériser de plus en plus dans cette seconde moitié de sa vie (1).

(1) Lisant l'Histoire du Consulat de M. Thiers en même temps que ces lettres de Constant, je trouve à chaque pas dans ces dernières des sentiments en contraste et en lutte avec la marche des choses; on y surprendrait, dans ses mouvements intimes, dans ses aveux, et jusque dans ses frémissements, la pensée de cette minorité politique comprimée pour laquelle l'historien a pu être sévère, mais qui, vue de près, intéresse par ses convictions anticipées, par ses ardeurs et par la déception de ses espérances. Ainsi, Camille Jordan avait fait imprimer, dans l'été de 1802, une brochure où il plaidait la cause de la monarchie constitutionnelle. Benjamin Constant en écrivait à Fauriel (de Suisse, 26 messidor an x) : « On m'écrit de Paris de grands éloges sur la brochure de Camille. Je trouve qu'elle les mérite. C'est une action courageuse et un écrit de talent; et la manière dont elle a été lue subrepticement me parait l'indice d'une époque nouvelle dans l'opinion. Je m'arrête, parce que je n'aime pas les dissertations par lettres. Quel plaisir j'aurai à causer cet automne avec vous! >> Et quelques mois après, un jour qu'il était plus souffrant des nerfs que de coutume, il laissait échapper ces mots irrités, dont l'allusion est assez sensible : " Lorsque les maux physiques surviennent, on a peine à concevoir avec quel acharnement les hommes se créent des maux d'une autre espèce; et l'on éprouve surtout une indignation vive de ce que la nature, si féconde en douleurs, ne les dirige pas contre les ennemis de l'humanité. Je vois ici une quantité d'êtres innocents, harmless creatures, qui souffrent des douleurs qui mettraient tels esprits tracassiers et violents que je connais, hors d'état de remuer et de tourmenter le monde. C'est un scandale de voir la douleur si mal appliquée. »

Il ne cessa point, à diverses reprises, et malgré les interruptions de Fauriel, qui était plus prompt à servir ses amis qu'à leur écrire, de lui faire part de ses travaux, de le consulter en mainte occasion et de recourir à ses lumières. Chaque fois qu'il revenait, après des années, à son grand ouvrage, c'était à Fauriel bien vite qu'il s'adressait, pour se remettre au courant de la science et apprendre de lui ce qui, dans l'intervalle, avait paru tant en Allemagne qu'en Angleterre sur l'Inde et sur Bouddha. En 1809, lorsqu'il publia son imitation de Walstein, il réclama et reçut de lui des observations détaillées pour en faire son profit en vue d'une seconde édition; c'était le moment même où Fauriel allait publier de son côté sa traduction de la Partheneide de Baggesen. On en a assez pour bien voir déjà comment tous deux furent précurseurs en littérature dès les années de l'Empire, et Fauriel tout aussi précoce que Constant.

Avant de nous engager dans la succession des travaux qui font de notre auteur un des maîtres les plus originaux du temps présent, un de ceux qui ont avancé d'au moins vingt ans sur les idées courantes et, à vrai dire, le premier critique français qui soit sorti de chez soi, nous avons à noter encore quelques essais qu'on n'est guère disposé à attendre de sa plume, et qui le montrent s'occupant simplement de la littérature nationale et domestique, comme on pouvait le faire à cette date. Les petites notices anonymes qui se lisent en tête des poésies de Chaulieu et de La Fare dans les stéréotypes d'Herhan, et qui parurent en

1803, sont de Fauriel. Il y a loin d'une appréciation de Chaulieu au recueil des chants grecs populaires; pourtant, même dans ce petit nombre de pages sur une matière qui peut sembler si légère, on devine un esprit qui en tout va droit aux choses et sait naturellement s'affranchir du lieu-commun et des formules convenues. Les quelques lignes finales de la notice sur Chaulieu portent avec elles ce cachet de pensée qui, simple et peu saillant aux yeux, équivaut néanmoins déjà à une signature :

« On a comparé Chaulieu, dit-il, tantôt à Horace, tantôt à Anacréon. Heureusement, il n'est pas nécessaire, pour sa gloire, que ces comparaisons soient justes. Ce n'est pas qu'il n'y ait quelque analogie entre ces trois poëtes, mais elle existe beaucoup plus dans le sujet général de leurs vers que dans le caractère de leur talent. On a trop souvent jugé Anacréon d'après des traductions qui ne permettent pas même de soupçonner la grâce parfaite, l'originalité piquante, l'inimitable légèreté de style. Quant à Horace, il est peutêtre plus difficile encore d'être son semblable que son égal, et Chaulieu n'a été ni l'un ni l'autre. »>

Qu'on essaye de lire, après cette petite notice, celle de Lemontey sur Chaulieu également, et l'on sentirá aussitôt la distance qui sépare le goût substantiel et sain de Fauriel et tout ce qui est apprêt littéraire, académique. Dans son aversion de l'apprêt, il restait même assez volontiers en deçà de l'ornement.

Un autre travail plus considérable, qui date du même temps, est une Notice sur La Rochefoucauld; elle n'a jamais été publiée. Destinée peut-être dans l'ori

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