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donc pas, à moins que votre ministre ne vous le dise cordialement. »

Et quelques jours après, reprenant plus en détail cette distinction dans les divers degrés d'amitié, Mme de Staël lui écrivait en des termes charmants, qui sont l'expression comme ingénue de sa nature, et qui nous rendent un peu le mouvement de sa conversation même :

Ce vendredi soir (fin d'été de 1801).

« J'ai donné ce matin une lettre pour vous à Girod de l'Ain, notre député, qui doit vous recommander un descendant de Corneille. Faites honneur au crédit que je me suis donné l'air d'avoir sur vous. Vous m'avez écrit une lettre où il y a des phrases charmantes; mais nous ne nous entendons pas. Il y a une amitié qui passe à 25 lieues de vous sans venir vous voir, qui est paresseuse d'écrire, comme vous le dites vous-même de vous, qui vous envoie une lettre tous les mois, et n'en est pas moins très-dévouée dans les occasions importantes de la vie; cette amitié, je crois avec plaisir que vous l'avez pour moi; mais celle qui ne s'excuse de rien que de son empressement, qui est beaucoup plutôt insistante que négligente, celle qui se retient d'écrire au lieu de s'exciter, cette amitié-là est beaucoup plus aimable, et je vous l'aie crue pour moi; mais à présent j'en doute, et j'ai raison d'en douter. Ce qui fait donc que, si nous parlons sérieusement, solidement, comme deux bons vieux hommes, je suis très-reconnaissante de ce que vous êtes pour moi; mais, si je reviens à ma nature de femme encore jeune et toujours un peu romanesque, même en amitié, j'ai un nuage sur votre souvenir que vos arguments ne dissiperont pas. Écrivez-moi, c'est ce qui vous obtiendra mon sincère pardon; ce n'est jamais dans l'excuse qu'est la justification, croyez-moi. — Benjamin est arrivé; je suis bien moins au

fait de ce qui se passe. N'oubliez pas mon ministre protestant (1) et moi en même temps sur l'adresse seconde, car je n'ai pas compris comment vous pouviez penser que je vous proposais de mettre un tiers entre vous et moi; cette idée ne me serait jamais venue. Notre Suisse va assez mal; on a fait les élections tout de travers; on a choisi les municipalités pour électeurs, on évite les choix populaires, et l'on veut cependant avoir l'air de faire émaner les pouvoirs du peuple; c'est une subtilité qui n'aboutit à rien qu'à éviter à la fois les avantages de la démocratie et de l'aristocratie. Je ne finis point parce que je suis fâchée; mais j'attends plusieurs lettres de vous qui remettent mon affection bien à l'aise, afin d'écrire de longues pages qui ne pourront contenir, dans ma solitude, que des détails sur mes impressions, mes occupations, mes enfants; et il faut que je sache tout de vous pour vous parler de moi. Auguste vous écrira; il dit que vous êtes ce qu'il aime le mieux à Paris. Pictet parle de vous aussi avec beaucoup d'intérêt. Tout ce qui m'entoure vous aime; me laisserai-je gagner par l'exemple?

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L'hiver suivant (1801-1802), Fauriel, encore attaché au cabinet de Fouché, était déjà très-produit dans le monde; il vit beaucoup Mme de Staël durant cette saison, il avait quelque chose envers elle à réparer. Il voyait aussi le monde philosophique proprement dit, il était initié au groupe d'Auteuil, et commençait à cultiver Mme de Condorcet. Il avait rencontré celle-ci pour la première fois un matin au Jardin des Plantes, où leur goût commun de la botanique les avait conduits. Du côté de Mme de Condorcet et de Cabanis, Fauriel

(1) Fauriel devait adresser ses lettres sous le couvert d'un ministre protestant, M. Gerlach.

entrevoyait plutôt la retraite, la méditation suivie, l'étude habituelle et profonde partagée entre les livres et la nature. Quant au cercle de Mine de Staël, c'était autre chose, c'était la vie sociale dans toute sa diversité et son mélange, le jaillissement et la fertilité des idées dans tout leur éclat. Nous pourrions le suivre cet hiver-là d'assez près. Les détails imprévus de société, quand on les peut ressaisir à distance, intéressent comme une découverte; on est toujours tenté de s'étonner que d'autres aient vécu comme nous vivons, et qu'il y aiteu tant de vivacité, tant de mouvement, dans ce qui est loin, dans ce qui n'est plus. Alors, tout comme aujourd'hui, on se hâtait en bien des sens, on s'écrivait en courant au moment de partir pour une loge aux Bouffons, au moment d'aller à la Lodoïska de Chérubini ou à l'Henri VIII de Chénier. L'amitié, le cœur, l'intérêt sérieux avaient des instants, le monde avait les heures. Il y avait de ces rencontres qui font envie. Un jour, Mme de Staël arrangeait pour Fauriel un petit dîner avec M. de Chateaubriand, et celui-ci lui envoyait son Génie du Christianisme, tout frais de l'impression, par les mains de Mme de Staël elle-même. Mais surtout, grâce à sa position auprès de Fouché, Fauriel était inépuisable en bons procédés, en services à rendre, comme l'atteste ce petit billet entre vingt autres. Il est de Mine de Staël encore, et dénonce la bienveillance active de tous deux :

« Un homme des amis de Mathieu (1), M. de La Trémouille,

(1) Mathieu de Montmorency.

est arrêté de ce matin; faites-moi le plaisir avant diner, mon cher Fauriel, de savoir, sans vous compromettre, tout ce qui peut être relatif à lui. Venez un peu de bonne heure, car je vais à Henri VIII. Mille amitiés. Vous ne vous lasserez pas de faire tout le bien que vous pourrez (1). »

Pour clore cet épisode si honorable à Fauriel, et qui ne saurait être indifférent au lecteur, pour achever de couronner le souvenir de cette liaison avec Mme de Staël, je ne veux plus citer d'elle à lui que deux petites lettres encore, l'une de 1803, quelques mois après la publication de Delphine, l'autre de février 1804, lorsque, dans les commencements de son exil, elle était entrain de faire son premier voyage d'Allemagne. On voit dans la première de ces lettres en quels termes affectueux et pleins d'une tendre estime Mme de Staël renoue une correspondance interrompue, et passe outre à une négligence :

Ce 8 avril (1803).

« Quoique votre long silence m'ait fait beaucoup de peine, mon cher Fauriel, je n'ai pu me persuader que Delphine ne vous eût pas intéressé, ni que vous eussiez entièrement oublié son auteur. Il me semble que nous sommes faits pour être amis, et je l'attends, votre amitié, comme cette moitié d'une lettre déchirée qui peut seule expliquer l'autre. Vous ne m'invitez pas beaucoup à revenir; mais j'ai un tel dégoût du pays que j'habite, que je ne puis suivre ce conseil, et

(1) Et le lendemain : « Voilà la lettre de Mathieu. Je vous prie de tâcher de lui avoir son rendez-vous pour demain. Réponse ou non, venez me voir à quatre heures. Je dine en ville; je vous mènerai où vous allez. Avez-vous ouï dire qu'on fût bien en colère contre le Tribunat? »

j'espère une fois, quand nous nous reverrons, vous expliquer un peu cette disposition. Si j'ai une campagne près de Paris, vous m'y donnerez quelques jours; nous lirons, nous causerons, nous nous promènerons ensemble, et je croirai moins de mal de la nature humaine, quand votre âme noble et pure me fera sentir au moins tout le charme et tout le mérite des êtres privilégiés. Adieu, mon cher Fauriel; à présent que je ne saurai plus de vos nouvelles par Benjamin, vous devriez m'écrire directement. >>

Dans la dernière lettre qu'on va lire, et qu'elle lui écrit d'Allemagne, elle lui jette de loin ces noms de Goëthe et de Schiller, comme à celui qui, presque seul alors en France (1) savait les comprendre :

« Weimar, ce 29 février (1804).

« Voulez-vous vous charger, mon cher Fauriel, de ce petit mot pour Brown? Nous venons de passer, Benjamin et moi, deux mois et demi assez doux entre Goëthe et Schiller, et un prince homme de beaucoup d'esprit, ce qui n'est pas commun maintenant. Je vais maintenant terminer mon voyage d'Allemagne par deux mois à Berlin, et Benjamin retourne en France; mais il a pris tant de goût pour l'Allemagne, qu'il n'y voyage pas rapidement. Quand on aime comme moi l'esprit de société, quand on a pris l'habitude de se laisser distraire par ce genre d'amusement, la France seule peut plaire; mais toute conversation qui a pour but l'instruction et une analyse singulièrement fine et ingénieuse. des idées et des sentiments solitaires, il faut la chercher ici. Schiller va donner une nouvelle pièce, Guillaume Tell, où il y a des beautés bien originales. Je vous rapporterai tout cela si j'ai le bonheur de vous revoir et si nous causons jamais quelque part à loisir. Adieu, mon cher Fauriel.

(1) Joignez-y, si vous voulez, Villers, Vanderbourg; je cherche en vain d'autres noms.

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