صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

nant de l'habileté avec laquelle plusieurs d'entre eux se mettent à l'abri de ces inconvénients. Contredire des opinions qui, naguère encore, n'étaient que philosophiques, mais qui, tous les jours, deviennent plus nationales, leur semblerait téméraire. Que font-ils ? Ils adoptent ces opinions, mais ils s'en font une arme contre des idées qui ne sont encore que celles de plusieurs hommes supérieurs. Ils cherchent dans les victoires mêmes de la philosophie des obstacles à ses progrès futurs. »

Ces opinions, si fermement et si prudemment exprimées par l'écrivain de vingt-huit ans, nous paraissent être demeurées toujours les siennes; et c'est sur cette base primitive, sur ce fond recouvert, mais subsistant, que son impartialité historique et critique si étendue, si nourrie d'études, se vint superposer année par année, comme une riche terre végétale, en couches successives.

Mme de Staël, à son prochain retour à Paris, dans l'hiver de 1800-1801, attira beaucoup le jeune critique, qu'elle n'avait que légèrement distingué jusqu'alors. Cette timidité qui voilait, comme elle le lui disait agréablement, certaines parties de son esprit, se leva par degrés sous un regard accueillant; elle put l'apprécier dans cette nuance affectueuse et cette originalité simple qui se confondaient en lui et qui demandaient à être observées de près. « Ce n'est pas assurément que votre esprit aussi ne me plaise, lui écrivait-elle un jour, mais il me semble qu'il tire surtout son originalité de vos sentiments. » Fauriel, à cet age, était doué de toutes les qualités que nous lui avons

connues, mais de ces qualités en leur fleur; sa physionomie, qui ne fut jamais très-vive, était aimable; cette physionomie sensible, expressive, inquiétait même parfois sur la délicatesse de sa santé. Il avait une teinte de pensée douce et triste tout à la fois, qui se gravait au cœur de l'amitié au lieu de s'effacer. Lorsqu'on a connu les hommes dans la seconde moitié seulement de leur vie, déjà un peu vieux et tout à fait savants de renom, enveloppés de cette seconde écorce qu'on ne perce plus, on a peine à se les représenter tels qu'ils furent une fois, eux aussi, pendant les saisons de jeunesse et de grâce. Nous retrouverons du moins quelques-uns de ces traits intéressants du Fauriel jeune dans les lettres suivantes, qui sont si honorables pour lui, puisqu'elles montrent combien il fut goûté d'une femme, la première de toutes en esprit et en bonté, de celle qui, selon une expression heureuse, sut avoir la supériorité si charmante. J'ai dit que la santé de Fauriel, un peu altérée par la fatigue de la vie administrative et par l'excès du travail, l'avait décidé à un voyage dans le Midi pendant l'été de 1801; il y accompagna son protecteur Français de Nantes, qui allait en tournée de conseiller d'État. Mme de Staël était repartie de bonne heure pour la Suisse cette même année; elle comptait un peu y attirer le jeune voyageur qui passait à la frontière, et lui faire les honneurs de Coppet, en causant avec lui de toutes choses. Fauriel lui avait écrit en route des lettres qu'elle n'avait pas toutes reçues. Elle lui répondait de ce ton d'exigence aimable qui est la flatterie du cœur, et avec cet

attrait naissant de bienveillance qui jette comme des rayons dans les perspectives de l'amitié.

< Coppet, ce 17 prairial (1801).

« Je n'ai point reçu votre lettre écrite sur le Rhône, et je la regrette; il me semble qu'elle devait exprimer une douce disposition pour moi. Benjamin avait reçu une lettre de vous. Il vous a écrit à Aix; j'ai mis un petit mot dans cette lettrelà. Je reçois votre lettre de Toulon; elle est datée du 6. J'y réponds le jour même arrivera-t-elle à temps chez votre ami? Cette incertitude me gêne. Est-ce à vous que je parle? est-ce à je ne sais quel individu qui lira une fois cette lettre (1)? Je trouve vos raisons bien mauvaises pour ne pas venir ici, ou plutôt je voudrais que rien ne pût vous en empêcher. Cet hiver je vous dis une fois d'aller au bal, et vous ne m'entendites pas. Je vous ai dit de venir ici; si vous ne venez pas, jamais au milieu de Paris nous n'aurons l'un pour l'autre la confiance qu'inspirent la solitude et les Alpes. Vous pourriez venir ici et rejoindre Français à Lyon. Enfin, vous le savez, les excuses ne sont bonnes que dans la proportion du désir; et, quoi que vous me disiez, je croirai toujours qu'un mouvement de plus vous aurait conduit vers moi. J'avais dit à mon père votre projet, et il se faisait plaisir de vous reccvoir. Auguste vous appelle à grands cris. Négligerez-vous ces affections diverses qui, combinées ainsi, ne se retrouveront peut-être jamais? Français n'est-il pas homme à comprendre qu'on peut venir voir M. N. (Necker) et sa fille? Et, s'il ne le comprenait pas, ne vous suffit-il pas de votre ministre, à qui je l'ai dit, et qui vous en estimera davantage? J'insiste trop, car je me prépare une peine de plus si vous

(1) Le secret des lettres était très-peu respecté à cette époque, et l'on s'écrivait le plus souvent sous le couvert d'autres personnes : d'ailleurs, Fauriel étant en voyage, cette précaution devenait presque nécessaire.

ne venez pas, l'inutilité de mon insistance. Je suis bien aise que votre santé soit rétablie; j'étais inquiète de vous la veille de votre départ, et j'ai été triste de votre silence. Vous vous étiez montré à moi sous un aspect sensible qui m'avait intéressée, et j'ai été fâchée de voir s'évanouir l'image que je m'étais faite de vous. Pictet m'a demandé de vos nouvelles. Ici, j'ai interrogé M. Dillers, un Marseillais, sur la route et les projets de Français de Nantes. Il m'a cru très-amie de ce conseiller d'État; j'ai pourtant eu soin de lui dire que son jeune compagnon, sans crédit et sans dignité, était l'objet de mes questions. Je suis ici dans la plus parfaite solitude, car ceux qui la troublent m'importunent, et je les écarte volontiers. Je m'occupe de mon père, de l'éducation de mes enfants, et de mon roman (Delphine) qui vous intéressera, je l'espère. Vous aimez les sentiments exaltés, et, quoique vous n'ayez pas, du moins je le crois, un caractère passionné, comme votre âme est pure, elle jouit de tout ce qui est noble avec délices (1). J'ai vu beaucoup l'auteur d'Atala depuis votre départ; c'est certainement un homme d'un talent distingué. Je le crois encore plus sombre que sensible; mais il suffit de n'être pas heureux, de n'être pas satisfait de la vie, pour concevoir des idées d'une plus haute nature et qui plaisent aux âmes tendres (2). Adieu, mon cher Fauriel;

(1) On ne saurait, ce me semble, donner de l'âme de Fauriel une plus juste et plus intime définition.

(2) Mme de Staël manifesta dès l'abord, et malgré les dissidences de plus d'un genre qui avaient déjà éclaté, un vif intérêt pour la personne et pour les écrits de M. de Chateaubriand; il faut noter qu'à la date de cette lettre, le Génie du Christianisme n'avait pas encore paru; M. de Chateaubriand était simplement l'auteur d'Atala. Ai-je besoin aussi de faire remarquer que cette expression, talent distingué, voulait dire alors plus qu'aujourd'hui? On a abusé de toutes les formules. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que cette phrase sur M. de Chateaubriand, jetée dans une lettre familière et presque intime, jetée là à la fin et comme une pensée à laquelle on revient, témoigne, même sous sa réserve,

j'attends votre décision pour vous aimer davantage si elle vous amène ici. Néanmoins, écrivez-moi si vous continuez votre route; j'aurai une illusion de moins, mais il me restera cependant encore une amitié sincère pour vous. »

Fauriel eut le regret de ne pouvoir se rendre à un si engageant et si affectueux appel; il écrivit, en reprenant la route de Paris, une lettre touchée, mais une lettre d'excuses; il ne désespérait pourtant pas d'obtenir de Fouché une permission de départ avant la fin de la saison; à quoi on se hâtait de lui répondre, avec cette grâce suprême où se mêlait une bonté attentive :

<< Vos excuses sont inutiles; elles sont plus que suffisantes pour un certain degré d'amitié, elles ne valent rien pour un degré de plus. Avez-vous besoin que je vous explique cela? Je ne le veux pas. Il ne faut pas que vous veniez ici à présent, vous vous hasarderiez à perdre votre place, et nous serions moins sûrs de passer l'hiver ensemble. Ne venez

Puis,

un intérêt réel et senti, une préoccupation tout aimable. quand le Génie du Christianisme parut, Mme de Staël fut à la fois surprise en un double sens, en bien et en mal; elle y trouva plus de vigueur encore et de hautes qualités qu'elle n'avait attendu, au moins dans l'épisode de René, qu'elle admirait extrêmement; et d'autre part, elle était fort choquée de certaines considérations qui lui paraissaient un défi porté à l'esprit du temps : « M. de Chateaubriand, disait-elle, à un chapitre intitulé Examen de la virginité sous ses rapports poétiques; n'est-ce pas trop compter, même dans ces temps malheureux, sur le sérieux des lecteurs? »> Elle méconnaissait le merveilleux rapport qui liait l'ensemble de l'œuvre à l'époque elle-même : ce qui précisément fait dire à M. Thiers en son histoire : « Le Génie du Christianisme vivra comme ces frises sculptées sur le marbre d'un édifice vivent avec le monument qui les porte. »

« السابقةمتابعة »