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avait su faire. Dans tout ce qui suit, nous ne craindrons pas de nous étendre à plaisir sur les relations avoisinantes de Fauriel, et d'y introduire le lecteur à son sujet. Nous serons en cela fidèle à l'esprit même de l'homme dont presque toute la vie se passa à répandre ses lumières et à verser ses idées au sein de l'amitié. L'action de Fauriel sur le public se fit longtemps et surtout à travers ses amis. Il faut revenir par eux à lui, pour le connaître tout entier.

Coppet, par Genève, ce 12 thermidor (an vin).

« Vous avez fait un extrait de mon ouvrage, monsieur (lui écrivait Mme de Staël), qui est un ouvrage lui-même ; et ce que vous dites en particulier sur la manière dont j'aurais dû traiter le chapitre de la philosophie est plein d'esprit et de justesse. Je ferai quelques changements dans la seconde. édition qui va paraître, et je répondrai, dans les notes et dans une courte préface, à quelques objections de Fontanes, laissant de côté les insinuations personnelles, ces jouissances de l'esprit de parti. Si vous pouvez naturellement faire annoncer dans un journal que je me propose de réfuter, dans les notes de ma seconde édition, quelques objections de fait en littérature par d'autres faits avérés, j'en serai bien aise, mais seulement si cela se peut sans vous donner trop de peine. Que pense-t-on de ce Mercure en général? Vaut-il la peine de le citer dans un ouvrage? Vous voyez avec quelle confiance je vous adresse toutes ces questions; mais j'espère que vous prenez quelque intérêt à ma réputation depuis que vous avez si efficacement contribué à l'augmenter. - Nous espérons la paix ici, et nous admirons beaucoup Bonaparte (1); mais nous sommes un peu fâchés, nous autres

(1) Mme de Staël était sous cette impression entièrement vraie à ce moment (juillet 1800).

protestants, de ce qu'il appelle les Anglais des hérétiques. Avez-vous pensé de même à Paris? L'adresse ne peut être généralement approuvée dans un empire de trente millions d'hommes; on regarde de partout, il faut bien qu'on aperçoive tout; mais le succès est une parfaite réponse. - Je me fais un grand plaisir de vous voir beaucoup cet hiver, monsieur; il me semble qu'en écrivant vous m'avez fait encore mieux sentir tout le charme de votre esprit; votre timidité en voilait quelques parties. Je vais bientôt, à mon grand regret, vous renvoyer Benjamin; vous avez bien voulu lui promettre de lui envoyer la Clef du Cabinet, où il est question de moi. J'attends l'arrivée de ces deux numéros pour remercier Daunou (1). Me permettez-vous aussi de vous prier de dire à votre ministre quelques mots obligeants de ma part? Je n'oublierai jamais la manière dont il s'est conduit pour moi. — Comment sont les ministres ensemble? Je vous importune de questions, mais les solitaires sont trèscurieux; et vous, quoique habitant de la ville, vous écrivez de longues et de jolies lettres.

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<< Agréez, monsieur, l'assurance des sentiments que je vous ai voués. >>

Cette lettre ne nous indique que le premier degré d'une liaison qui se resserra au prochain retour de Mme de Staël à Paris, et qui devint tout à fait de l'amitié. Les articles pour lesquels Mme de Staël remerciait Fauriel avec tant de grâce étaient trois extraits, en effet très-remarquables, publiés dans la Decade des 10, 20 et 30 prairial an VIII. Lorsqu'il y a une dizaine d'années j'écrivais dans cette Revue même sur Mme de Staël, j'avais rencontré en chemin ces

(1) La lettre de Mme de Staël à M. Daunou se trouve imprimée dans les Documents biographiques sur Daunou, publiés par M. Taillandier.

trois extraits anonymes, et j'avais dû en rechercher curieusement l'auteur, car ils expriment des opinions et décèlent des résultats qui ne pouvaient alors appartenir qu'à très-peu d'esprits en France. Ossian, Shakspeare, Homère, y sont présentés, en passant, sous un jour vrai et sans vague lueur; on sent un esprit au courant de tous les systèmes et les jugeant sans s'y livrer; on devine quelqu'un qui a lu Wolf et qui sait à quoi s'en tenir sur Ossian. Il n'y avait, encore une fois, qu'infiniment peu d'hommes en France capables à cette date de penser ainsi : il n'y en avait que trois tout au plus peut-être, Benjamin Constant, Charles de Villers et Fauriel. Dans mon désir extrême de découvrir l'auteur anonyme de ces articles, je m'étais adressé à l'ancien rédacteur en chef de la Décade, alors encore existant, M. Amaury Duval, dont la mémoire ne put me fournir rien de précis (1). Je cherchais bien loin. celui qui était alors tout près de nous, et qui semblait avoir oublié ses premiers essais de jeunesse.

Les remarques du critique sont d'abord aussi justes que fines sur la littérature grecque, dont Mme de Staël traite avec étendue et soin, mais avec moins de connaissance immédiate qu'elle ne le fait pour les autres littératures. Il montre très-bien qu'elle n'a pas résolu les problèmes qui se rapportent à la perfection de cette poésie merveilleuse et de cette langue déjà si magnifique à son berceau. Lorsqu'il arrive à l'époque

(1) Voir l'article sur Mme de Staël, Revue des Deux Mondes du 1er mai 1835, page 291, et dans le volume des Portraits de Femmes (1852), page 109.

de la décadence du monde antique et à l'invasion des barbares, il semble moins disposé qu'elle à faire exclusivement honneur au christianisme d'une certaine action civilisatrice et de résultats qui lui semblent, à lui, provenir de plusieurs causes combinées : on entre voit, dans une sorte d'arrière-pensée, l'historien futur de cette époque intermédiaire, sur laquelle il avait déjà certainement médité. Il relève encore chez Mme de Staël quelques inexactitudes de détail sur la littérature et la langue italiennes; il croit que les Italiens pourraient avec raison réclamer contre le jugement un peu rapide qu'elle porte sur quelques productions célèbres de leur littérature, entre autres sur l'Aminta; à la façon discrète et sûre dont Fauriel touche ces questions relatives à la langue italienne, on sent le Français qui peut-être la possédait le mieux dans ses nuances, celui que Manzoni, jeune, allait connaître et adopter pour son arbitre chéri, celui que Monti lui-même, arrivé au faîte de la gloire, devait consulter. Lorsqu'il en vient à la seconde partie de l'ouvrage de Mme de Staël, à la partie plus directement philosophique, Fauriel laisse percer, à travers la réserve de son analyse, ses convictions de philosophe et son culte assez fervent d'ami de la vérité. Le jeune secrétaire de Fouché, qui cite avec prédilection Mme de Staël parlant du beau moral, ne craint pas non plus de mettre le doigt sur d'autres points périlleux : « Madame de Staël, dit-il à propos du chapitre qu'elle consacre à la philosophie, paraît avoir bien senti les difficultés réelles de son sujet; peut-être en a-t-elle senti plus vivement encore les in

convénients, relativement aux circonstances actuelles. »> Et dans les pages qui suivent, il prend en main la cause de la philosophie moyennant des considérations qui ne sont nullement vulgaires et qui répondaient à merveille aux attaques du moment. Il voudrait faire comprendre aux détracteurs de la philosophie, à ceux qui sont amis du pouvoir nouveau (et il y en avait beaucoup dans ce cas), que peut-être ils vont contre leur but dans cette proscription un peu aveugle

« Au surplus, dit-il à leur adresse, que gagneraient les ennemis de la philosophie à comprendre exclusivement sous cette dénomination les idées qui répugnent à leurs préjugés ou à leurs intérêts? Rien; car ils ne pourraient manquer de s'apercevoir alors que plusieurs opinions, essentiellement philosophiques, sont aujourd'hui consacrées par quelques institutions sociales; que plusieurs idées journellement attaquées comme des abstractions vides de réalité ne sont que des conséquences plus ou moins immédiates de quelques principes de philosophie devenus des principes de politique. Dès lors, s'en prendre à certaines idées serait attaquer certaines institutions; se permettre certaines discussions ne serait plus argumenter contre des philosophes, mais bien contre des gouvernements...

<< S'ensuit-il de là que nous regardions la garantie de la puissance comme une condition de la vérité? Non, sans doute. Nous pensons seulement que la vérité consacrée par le pouvoir doit avoir moins d'ennemis que la vérité de pure spéculation; car, pour un assez grand nombre d'hommes, l'autorité des faits représente suffisamment celle de la raison.

« Nous ne nous sommes permis ces observations que pour faire sentir quelques-uns des inconvénients qu'il pourrait y avoir pour les adversaires de la philosophie à préciser davantage leurs griefs contre elle. Nous conviendrons mainte

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