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dans ses rangs. Il y avait, vers cette époque, dans le pays, une petite société dite de Chambarans, telle sans doute que les jeunes gens en forment d'ordinaire dans leur vue anticipée du monde et dans leurs rêves d'utopie première : « C'est là, lui écrivait après des années l'un des membres de cette petite coterie, c'est là que je sus vous apprécier et que vous m'apprîtes à lire les Ruines de Volney. Une conformité d'âge et de goûts m'attacha à votre personne, et une liaison s'établit entre nous, malgré la supériorité que vous conserviez sur moi. » Il se mêlait à ces causeries ardentes des courses pleines de joie et de fraîcheur à travers la campagne; car Fauriel aimait la nature, et il l'étudiait comme toutes choses; la botanique fut d'abord et resta longtemps une de ses passions favorites. Lui si sobre de souvenirs, il aimait à se rappeler, après un bien long intervalle, ses excursions d'enfance dans les sites pittoresques et sauvages, voisins de son berceau :

« C'était sur les bords de la Loire, écrivait-il à un ami, très-près des montagnes où elle prend sa source; je vois encore les deux énormes murailles de rochers entre lesquelles roule le fleuve naissant; je vois encore son eau limpide glisser sur des rochers qu'elle a pelés et dont elle laisse apercevoir toutes les veines; je vois flotter sur son cours des laves de volcans éteints qui y nagent comme feraient de grandes éponges noires. Je vous dis que vous trouverez cela trèsbeau. J'aurai souvent l'occasion de faire ce voyage en idée, et de vous conduire ou de vous suivre à travers ces belles campagnes où le souvenir de trois civilisations différentes ajoute un nouveau charme aux beautés de la nature. >>

Ce souvenir des trois civilisations différentes, gau

loise, romaine et romane, s'ajoutant après coup, pour la compléter et la couronner dans sa pensée, à son impression première; l'érudition chez lui empruntait et rendait de la vie aux choses; mais tout cela, prenez-y garde, ne sautait point aux yeux et restait aussi discret que profond.

Il aimait en tout à étudier, à saisir les origines, les fleuves à leur source, les civilisations à leur naissance, les poésies sous leurs formes primitives, et de même en botanique, quand il herborisait, il cherchait de préférence les mousses.

Mais ces études pacifiques devaient s'ajourner encore; les dangers de la patrie le réclamaient. Une lettre du ministre de la guerre Beurnonville adressée au Citoyen Fauriel, à Saint-Etienne, à la date du 26 mars 1793, lui donnait avis qu'il était nommé à une sous-lieutenance vacante dans le 4o bataillon d'infanterie légère de la Légion des montagnes en garnison à Perpignan, et il s'y rendit aussitôt. D'autres pièces, qui indiquent que sa démission fut envoyée au ministre Bouchotte, successeur de Beurnonville, donneraient à croire qu'il ne resta à l'armée qu'une année environ; mais il put y retourner ou y demeurer indépendamment de cette démission du grade. Ce qui paraît certain, c'est qu'il fut attaché quelque temps à Dugommier comme secrétaire, et qu'il servit dans la compagnie dont La Tour-d'Auvergne était capitaine. Bien qu'il revînt rarement, je l'ai dit, sur ses souvenirs, et qu'il eût pris l'habitude de les ensevelir plutôt en silence, il lui arrivait quelquefois de raconter des anecdotes de ce temps, à l'es

prit duquel il était resté foncièrement fidèle. On parlait un jour du courage à la guerre, et l'on demandait si les braves fuyaient jamais. Fauriel en souriant raconta ce qu'il avait vu faire à La Tour-d'Auvergne pour aguerrir ses jeunes recrues qui avaient plié : « J'ai fui autant que vous la première fois, leur disait le héros; mais faisons un marché : avançons jusque-là, jusqu'à cet arbre que vous voyez. Si la cavalerie espagnole, qui est encore loin, avance jusqu'à cet autre arbre, oh! alors vous fuirez, il sera encore temps; mais voici ce qui arrivera : si elle vous voit ne pas fuir, elle-même sera la première à tourner le dos. » Et ainsi de proche en proche, d'arbre en arbre, on avançait, et la compagnie entraînée faisait merveille. On s'en revenait maître du terrain et en vieux soldats. Pour ceux qui seraient tentés de s'étonner de la forme du conseil, moins héroïque que le résultat, nous ferons remarquer que Tyrtée en personne n'usait guère d'une autre méthode que La Tour-d'Auvergne, lorsqu'il disait aux jeunes guerriers « Tour à tour poursuivants ou poursuivis, ô jeunes gens, vous savez de reste ce qui en est : ceux qui tiennent ferme, s'appuyant les uns les autres, et qui marchent droit à l'ennemi, ceux-là meurent en moins grand nombre et ils sauvent les autres qui sont derrière; mais ceux qui fuient en tremblant ont toutes les chances contre eux. »

A l'un de ses retours de l'armée, Fauriel eut occasion, pour je ne sais quelle affaire, de visiter Robespierre, rue Saint-Honoré, en sa petite maison proche de l'Assomption; un jour qu'il passait par là, il en fit la re

marque à un ami. Une note imprimée dans le Bulletin de Saint-Etienne (1), et dont le contenu prêterait à discussion, indique qu'il était rentré dans ses foyers pendant l'année 1794, et qu'il y remplissait des fonctions municipales, lorsqu'eut lieu l'épuration de la municipalité aux environs du 9 thermidor: « Pignon (est-il dit dans la note du Bulletin), le plus chaud des républicains, le premier de la république, comme l'appelait un de ses partisans, fut même poursuivi, et l'officier municipal Fauriel en quitta son écharpe de dépit. » Cette seconde démission donnée par Fauriel lui ressemble trop pour que nous ne le reconnaissions pas à ce mouvement et comme à ce geste naturel. Quant à la qualification de républicain exalté, que le Bulletin attache à son nom, nous n'y pouvons voir qu'une expression exagérée de ce qui, à un certain jour, dut être en effet le vrai de ses sentiments. M. Fauriel était et (puisque nous sommes amené à le dire) resta toujours républicain au fond, sans trop entrer dans les nuances, et comme il convenait à un ancien sous-lieutenant de La Tour-d'Auvergne. Sous la discrétion extrême de ses paroles en politique, sous l'aménité parfaite de ses manières, on aurait pu distinguer jusqu'à la fin en lui cette noble fibre persistante et la chaleur d'une conviction patriotique intime survivant même à toutes les étincelles. Nous sera-t-il permis, comme indice à cet égard, de noter son goût très-vif pour Carrel? Qu'on veuille bien nous comprendre, ni plus ni moins il y

(1) xvII année (1839), page 314,

avait tout au fond de la pensée de Fauriel en politique comme un certain coin réservé, nous n'entendons pas autre chose. Il disait d'ailleurs dans l'intimité et avec cet esprit libre d'illusions: « Je suis volontiers pour la république, à condition qu'il n'y ait pas de républicains. >>

Que fit le jeune Fauriel durant les années du Directoire, de 1795 à 1799, époque où nous le retrouverons? Il disparaît pendant ce laps de temps, et il ne nous reste à supposer qu'une chose à peu près certaine, c'est qu'il vécut dans son pays, travaillant et étudiant sans relâche. Il faut bien qu'il en ait été ainsi, puisqu'on le rencontre, tout au sortir de là, sachant extrêmement bien le grec, l'italien, l'histoire, la littérature, déjà enfin un savant. La Décade philosophique n'aura pas de rédacteur plus compétent, plus avancé en tous les ordres de connaissances. Une lettre d'un de ses camarades de jeunesse nous montre qu'il avait même songé, durant ces années du Directoire, à étudier la langue turque, et il avait donné commission à cet ami qui partait pour Constantinople de lui envoyer grammaire et vocabulaire. Il écrivait dès lors beaucoup, comme il fit toute sa vie, sans projet aucun de publication, sans autre but que de fixer ses idées, et il se contentait de lire à ses amis particuliers ses essais d'ouvrages. Un séjour de plusieurs mois qu'il fit à Paris, peu avant le 18 brumaire, dut le remettre en relation étroite avec quelques compatriotes, personnages influents d'alors. Français (de Nantes), qui était natif du Dauphiné, cet homme excellent dont on retrouve la

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