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Mme de Staël, transformant ingénieusement le siècle accompli et s'essayant à le rajeunir, allaient semer les aperçus et pousser la découverte en bien des sens et sur bien des voies. Ces premiers essais, ces éclats brillants, un moment interrompus ou contrariés par le despotisme de l'Empire, devaient, quelques années après, porter fruit et donner en plein leurs conséquences. Dans toutes les branches de la pensée, dans toutes les directions de l'étude et de la connaissance humaine, on vit bientôt, aux premières heures de soleil propice et de liberté, des produits heureux, originaux, attester la fertilité du champ ouvert et l'efficacité de l'entreprise. MM. Guizot, Augustin Thierry, et d'autres après eux dans l'explication ou le tableau des époques reculées, M. Victor Cousin dans l'intelligence historique des philosophies, M. Raynouard dans le défrichement des littératures du moyen âge, donnèrent le signal aux générations ardentes et dociles. Qu'est-il besoin de prolonger l'énumération de ce qui nous est si présent? on eut bientôt dans tous les sens une émulation d'études et un concert d'efforts qui constituèrent une époque littéraire tout à fait nouvelle, et distincte par l'esprit comme par les résultats de ce qu'avait été et de ce qu'avait produit le xvme siècle; on eut le xixe siècle en un mot. Or, entre ces deux régimes intellectuels, sorti du cœur de l'un, tenant aux origines et à la formation première de l'autre, il y eut un esprit précoce, sagace, infatigablement laborieux, qui, sans faire éclat et rupture, sans solution apparente de continuité, mais par voie de développement et de progression paisible, si

lencieuse, résuma en lui presque tout ce travail intérieur et nous permet de l'étudier comme dans un profond exemple. M. Fauriel (car c'est de lui qu'il s'agit) nous représente le xvi siècle devenant naturellement le xixe, le devenant avec énergie, avec simplicité, avec originalité. Parti du xviure en ce que ce siècle avait conservé de plus entier et de plus vital, il pénètre tout d'abord au XIXe en ce que celui-ci a de plus neuf, de plus particulier et de plus distinct. En parlant de la sorte, nous ne le surfaisons à l'avance en rien, et le lecteur va juger tout à l'heure par lui-même de l'exactitude de notre jugement. M. Fauriel, l'élève et le rejeton, ce semble, de la société d'Auteuil, l'ami filial de Cabanis, sera le devancier, l'initiateur secret, mais direct, l'inoculateur de la plupart des esprits distingués de ce temps-ci en histoire, en méthode littéraire, en critique. D'autres ont eu la notoriété, l'apparence, l'éclat; ils l'ont mérité et ils l'ont eu, je salue au front des talents la couronne. Lui modeste, tout entier aux choses, indifférent à l'effet, il a été (je suis obligé d'emprunter à la physiologie une image), il a été comme un organe profond intermédiaire entre des systèmes d'esprits différents. Pour qui veut étudier les origines du XIXe siècle dans toutes ses branches, et comme dans ses racines, il faut s'adresser de près à M. Fauriel. C'est ce que nous allons faire avec suite et avec profit, nous l'espérons. Lorsqu'on étudie des talents glorieux, brillants, on est volontiers ébloui; on se trouve obligé, si l'on veut rester exact, de faire avec eux comme en physique avec les rayons qu'on dépouille d'abord de

leur vivacité d'éclat pour mieux apprécier leurs autres propriétés, et l'on n'y réussit pas toujours. Ici on n'a rien à redouter d'un semblable prestige; c'est le fond même, c'est la chose toute pure qu'on étudiera, et la valeur, la qualité de ce rare et fin esprit en ressortira non exagérée, mais bien entière.

Il est une disposition que la vue finale du xvin siècle engendra en plus d'un jeune esprit, et qui avait été complétement étrangère à ce siècle lui-même, je veux dire l'impartialité, l'ouverture à tout comprendre, à ne rien sacrifier par passion dans les aspects différents de chaque objet. Pour se souvenir à quel point les érudits, à cette fin du siècle, en étaient loin, on n'a qu'à se rappeler Dupuis et Volney. Fréret, leur maître à tous, s'y rangeait mieux, ou il y avait en quelque sorte suppléé par la force d'un excellent esprit appliqué expressément à sa matière. Cette disposition récente, résultat final de tant de spectacles contradictoires, et qui se traduisait en indifférence chez les témoins blasés, méritait un noble nom chez les jeunes esprits curieux et désintéressés à la fois : elle mit tout d'abord son cachet à quelques essais distingués d'alors. L'impartialité fut ne qualité essentielle et principale chez M. Fauriel, et d'autant plus méritoire en lui qu'elle trouvait un fonds de convictions philosophiques et politiques anté ́rieures; mais, à un si haut degré qu'il la possédât, seule elle ne suffirait pas pour expliquer et caractériser tout ce qu'il y eut de nouveau et d'inventif dans les points de vue auxquels une étude continuelle le porta successivement. Il faut donc admettre qu'il y eut en

lui, comme en tout esprit inventeur, une initiative originale, un germe inné de génie historique et critique que développa une infatigable application, et que l'impartialité favorisa, mais qu'elle n'eût point suscité. On en jugera d'ailleurs à le voir à l'œuvre, et par l'exposé même des faits où nous avons hâte d'entrer. Nous serons plus hardi à conclure sur ses mérites incontestables, après que nous aurons fourni les preuves surabondantes.

Claude Fauriel, né le 21 octobre 1772, à Saint-Étienne, d'une honnête famille d'artisans qui ne paraît pas avoir manqué d'aisance, fut élevé avec soin au collége des oratoriens de Tournon. On sait seulement qu'il eut pour maître, soit à Tournon, soit auparavant à SaintÉtienne, un M. Dagier, homme estimable, qui, depuis, a écrit l'histoire de l'Hôtel-Dieu de Lyon (1). Les qualités du cœur se déclarèrent de bonne heure chez le jeune Fauriel à l'égal de celles de l'esprit. Il était naturellement si bon que, dans son enfance, s'étant fait au sourcil une brûlure grave qui lui laissa cicatrice, comme il en souffrait beaucoup, il dissimulait tout à fait cette douleur devant sa belle-mère, qu'il aimait tendrement; il triomphait sans trop d'effort de l'égoïsme si ordinaire à cet âge, et, dès que sa belle-mère s'approchait de son lit, il ne sentait plus son mal. Ce trait d'enfance qui s'est conservé est bien du même homme qui, savant et vieilli, a pourtant vécu jusqu'à la fin par

(1) Voir les Études sur les Historiens du Lyonnais, par M. Collombet, seconde série, page 30.

la vie du cœur et par les affections: on s'apercevait, en le rencontrant, du retour de certains amis qui lui étaient chers, sans avoir besoin de lui en faire la question, et rien qu'à son visage plus éclairé. Tout en étudiant plus particulièrement en lui l'historien et le critique, nous ne nous interdisons pas d'y rencontrer l'homme.

Le jeune Fauriel achevait ses études à Tournon au moment où la révolution de 89 éclatait. Le souffle de la tempête généreuse courait par toute la France et y enflammait les âmes. Les écoliers, à ce qu'il paraît, jouaient entre eux à l'Assemblée nationale; on répétait à Saint-Étienne ou à Tournon, on parodiait avec sérieux le grand drame de Paris; l'un était Mirabeau, l'autre Barnave, un autre M. Necker: chacun avait son rôle et faisait sa motion. Un jour que M. Fauriel racontait ce souvenir en présence de M. Guizot, son ami de tout temps, celui-ci, l'interrompant, lui dit : « Ah! vous, Fauriel, je ne suis pas embarrassé du rôle que vous avez eu, je le vois d'ici. Et qu'y faisais-je donc? répliqua Fauriel. - Ce que vous avez fait? dit M. Guizot,

vous avez donné votre démission. » C'est en effet ce que M. Fauriel était toujours tenté de faire, homme de pensée et nullement d'action, toujours pressé de sortir de la vie extérieure pour se réfugier dans l'étude secrète, profonde et sans partage; nous le verrons, toutes les fois qu'il le pourra, donner sa démission.

Il eut pourtant, en ces années de jeunesse, son ardeur de prosélytisme et son essor impétueux; la cause patriotique et philosophique l'enrôla du premier jour

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