صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

même et le défi de ces sommations incessantes. Tous les matins, surtout à dater du mois de juillet, le Natio-. nal agite, discute avec sang-froid et retourne sous toutes les faces cette hypothèse imminente du coup d'État. Le coup d'État sera-t-il remis après les premières discussions avec la Chambre? Aura-t-il lieu avant la convocation? Sera-ce demain? ou bien ne sera-ce que dans six semaines? Tous les matins, on a ainsi des nouvelles du coup d'État; c'est un coup de cloche perpétuel, assourdissant; c'est le cauchemar du ministère, c'est l'abîme qu'on lui montre toujours ouvert sous ses pas. Il y avait de quoi jeter hors des gonds de moins pauvres têtes, de quoi pousser de guerre lasse tout ce triste cabinet, ainsi enfermé sous clef dans la Charte, à sauter en effet par la fenêtre, non pas seul, hélas ! mais avec sa dynastie.

Je suis à la fin de ce siége de sept mois terminé par un véritable assaut; j'en ai hàte, car, après tout, je ne veux pas franchir d'un pas en politique le seuil de juillet 1830. Un mot seulement sur le dernier acte qui couronne chez M. Thiers le journaliste, je veux dire la protestation du 27 juillet.

Les ordonnances avaient paru le 26 au matin; dans la journée on se réunit au National, dont les salons élégants et vastes s'offraient commodément rue NevveSaint-Marc; c'étaient les journalistes de l'opposition, du Constitutionnel, du Courrier, du Temps, du Globe, etc., qui se trouvaient là, et aussi quelques députés qui sortaient de chez M. Dupin. Dans cette réunion, la part et l'influence de M. Thiers furent très-nettes, très-déci

dées. Sans prétendre diminuer le rôle de personne, je résumerai le sien en peu de mots quant au sens et au mouvement, sinon pour les paroles mêmes :

Eh

« bien ! qu'allez-vous faire ?... de l'opposition dans les « journaux, des articles?... Allons donc! il faut un acte. «Et qu'entendez-vous par acte?-Un signal de déso« béissance à une loi qui n'en est pas une ; une protesta<< tion. Eh bien! faites-la. » On nomma, en conséquence, une commission composée de MM. Châtelain, Cauchois-Lemaire et Thiers. Ce fut lui-même qui rédigea la protestation; il y mit l'idée essentielle : « Les écrivains des journaux, appelés les premiers à obéir, doivent donner l'exemple de la résistance. » Là était le signal. Cela fait et approuvé, quelques-uns dirent : « Bon! nous mettrons la protestation comme article dans nos journaux. »> - Non pas, il faut des noms au bas, répondit le rédacteur, il faut des têtes au bas. » Une assez longue discussion s'ensuivit avant d'obtenir toutes les signatures, mais la plupart s'étaient empressés généreusement.

Cet acte de protestation, rédigé en ce sens, est le dernier mot très-précis, très-sagace et à la fois trèsrésolu de toute la polémique du National, et de la carrière de M. Thiers en tant que journaliste d'opposition. Sa conduite, en ces grands moments décisifs (du 26 au 31 juillet), peut se résumer en deux traits : il contribua plus que personne à l'acte initial (la protestation), et autant que personne à l'acte final (Orléans). Le détail de ces journées, leur lendemain, et la carrière aussitôt commençante de l'homme de gouvernement, ne nous concernent plus ici, et sortent de notre por

tée dans cette simple esquisse littéraire que nous essayons.

Puisque nous en sommes à refeuilleter ces souvenirs du National, il y a pourtant quelque chose à dire sur la littérature proprement dite et sur la place qu'elle tint dans ce journal influent. Elle n'y joua jamais qu'un rôle assez secondaire. Malgré l'excellence des plumes politiques, malgré la distinction de quelques collaborateurs littéraires, tels que Mérimée, Peisse, la critique fine, la culture délicate eut peu d'accueil et d'accès ; la poésie surtout s'y trouva presque toujours traitée avec rigueur et un peu rudoyée comme dans un camp. Les esprits nets, précis, applicables, de ce groupe historique, répugnaient à des tentatives modernes dont les résultats n'étaient point assez dégagés sans doute, mais qui auraient peut-être mérité dans le détail attention et indulgence. Carrel malmenait Hernani (1) avec un surcroît de logique et une verdeur de séve qui n'avait pas encore trouvé son issue. En général, le tondu journal, à cet endroit littéraire, était chagrin, et la mauvaise humeur dominait.

M. Thiers, lui, n'en eut jamais. Naturellement passionné pour le grand et le simple, amoureux de ses propres études et vivant dans l'abondance des pensées, il ne s'occupait guère de ces tentatives d'alentour qui remuaient, plus qu'il ne le croyait, des intelligences sérieuses; et si, à la rencontre, son regard venait à s'y arrêter, il y opposait aussitôt un tel idéal de simplicité

(1) 8, 24 et 29 mars.

et de pureté, que les contemporains le plus souvent n'avaient rien à faire en comparaison. En une seule circonstance, il sortit de son indifférence habituelle à cet égard, et fit une éclatante exception pour M. de Lamartine. Tous deux bienveillants d'imagination et optimistes par nature, tous deux larges, faciles de talent, également alors ennemis de l'affectation, et tout au plus négligés, ils n'étaient pas, au milieu de leurs nombreuses différences, sans quelque rapport d'inclination et de manière. Le célèbre poëte, après une longue absence, était revenu se fixer à Paris au commencement de 1830; il publiait ses Harmonies poètiques et obtenait place enfin à l'Académie française. M. Thiers en prit occasion pour de gracieuses avances; il voulut rendre compte lui-même, dans le National, de la séance de réception et de la publication des Harmonies. Dans l'un et l'autre article (1), il s'exprimait, sauf de légères réserves, sur le ton de l'admiration et de l'attrait. Cet attrait alors était réciproque; ces deux grands esprits, partis de deux rivages opposés, se traitaient comme des hôtes d'un jour qui se font fête et qui s'honorent. On a vu par degrés cette bonne harmonie s'al· térer, à mesure que le poëte s'est senti devenir un politique, et depuis qu'il a son drapeau sur la même rive.

Dans un article du National (24 juin) sur les Mėmoires de Napoléon, M. Thiers exprime plus formellement qu'il n'a fait nulle part ailleurs son idéal de style moderne, tel qu'il l'entend.

(1) 3 avril et 21 juin.

« Nous ne pouvons plus avoir, dit-il, cette grandeur tout à la fois sublime et naïve qui appartenait à Bossuet et à Pascal, et qui appartenait autant à leur siècle qu'à eux; nous ne pouvons plus même avoir cette finesse, cette grâce, ce naturel exquis de Voltaire. Les temps sont passés; mais un style simple, vrai, calculé, un style savant, travaillé, voilà ce qu'il nous est permis de produire. C'est encore un beau lot quand, avec cela, on a d'importantes vérités à dire. Le style. de Laplace dans l'Exposition du système du monde, de Napoléon dans ses Mémoires, voilà les modèles du langage simple et réfléchi propre à notre âge. »

Et il finit par risquer ce mot qui, depuis, a tant fait fortune « Napoléon est le plus grand homme de son « siècle, on en convient; mais il en est aussi le plus « grand écrivain. » Il faudrait bien de la pédanterie pour venir contester, contrôler un jugement si piquant, si vrai même, à l'entendre d'une certaine manière. Oui, sans doute, comme M. Cousin l'écrivait récemment (1), « le style n'est rien que l'expression de la pensée et du caractère : quiconque pense petitement et sent mollement n'aura jamais de style; quiconque, au contraire, a l'intelligence élevée, occupée d'idées grandes et fortes, et l'âme à l'unisson de cette intelligence, celui-là ne peut pas ne pas écrire de temps en temps des lignes admirables, et, si à la nature il ajoute la réflexion et l'étude, il a en lui de quoi devenir un grand écrivain. » Napoléon, certes, réunissait en lui plusieurs de ces hautes conditions, et, toutes les fois qu'il a parlé de ce qu'il savait à fond, il a dit les

(1) Jacqueline Pascal (1815), page 29,

« السابقةمتابعة »