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tout à fait à l'aise, l'étude de l'attaque, au point de vue tout à fait stratégique, nous devient singulièrement curieuse rien de plus instructif, de plus drama. tique aujourd'hui que cette lecture du National. Je n'ai pas ici à savoir si M. Thiers, homme politique, a toujours vu de près les choses aussi nettement qu'il les a devinées alors; mais on peut affirmer qu'on n'a jamais deviné avec plus de perspicacité, de certitude. Jamais officier d'artillerie n'a établi une batterie de brèche ni pointé avec plus de précision qu'il ne dressa alors cette batterie du National; jamais effet ne fut plus prévu, mieux calculé, plus justifié aussi (c'est trop évident aujourd'hui) par l'incurable et immuable ineptie des hommes funestes qui s'identifiaient à ce moment avec la Restauration finissante, de ces hommes qui, selon une expression énergique (de M. Royer-Collard), avaient, dès leur avénement, les ordonnances écrites sur le visage. C'est contre eux, c'est en vue de leur démence, que se fit cette vigoureuse et vigilante entreprise du National, un vrai modèle en son genre, et l'on a pu dire spirituellement du tacticien en chef qui la dirigea « C'est son siége de Toulon. »

Quelque efficace qu'ait été, en effet, l'assistance de ses collaborateurs et particulièrement de M. Mignet (Carrel, à cette date, n'était pas tout à fait encore au rang qu'il conquit depuis), l'idée qui prévalut au début du National et en dirigea toute la polémique appartient surtout à M. Thiers; il l'introduisit le premier et en démontra vivement l'usage; cette idée, en deux mots, la voici : « Enfermer les Bourbons dans la Charte,

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dans la constitution, fermer exactement les portes; ils sauteront immanquablement par la fenêtre. » nons bon, disait encore M. Thiers à ses amis plus exagérés ; soutenons que la monarchie représentative est le plus beau système possible (et M. Thiers le pensait en effet), définissons-la et circonscrivons-la dans toutes ses branches; usons de tous nos moyens légaux : vous n'aurez pas un seul procès, et eux, ils n'auront plus qu'à faire leurs folies pour leur compte; gardez-vous d'en douter, ils les feront. » Cette idée, que je traduis ainsi tout net, s'énonçait en des termes très-approchants au sein même du journal. Dès le premier numéro, dans le programme d'ouverture, le mot hardi était lâché: « Aujourd'hui, est-il dit, cette position (des « adversaires) est devenue plus désolante. Enlacés dans «< cette Charte en s'y agitant, ils s'y enlacent tous les « jours davantage, jusqu'à ce qu'ils y étouffent ou « qu'ils en sortent comment? nous l'ignorons; c'est << un secret inconnu de nous et d'eux-mêmes, quoique «< caché dans leur âme. »

Homme pratique, voilà donc M. Thiers qui, pour mieux l'être, fait le spéculatif par moments; on croirait, à de certains jours, avoir affaire à un pur métaphysicien constitutionnel; il se retranche dans les questions de forme et de théorie du gouvernement représentatif, sachant bien que c'est là, dans le cas présent, l'arme immédiate. Sous air de reprendre et de professer Delolme, il est aussi révolutionnaire qu'il le faut.

L'habileté était de dire qu'on ne l'était pas; la vé

rité et l'honnêteté étaient de ne l'être que dans la me sure nécessaire, inévitable. Tandis que des hommes de l'opposition, en cela peu politiques (Benjamin Constant, par exemple), voulaient essayer, à la discussion, de faire réduire les services publics, M. Thiers conseillait, au contraire, le rejet pur et simple du budget; « ne pas affaiblir le gouvernement, le changer de mains. » La théorie que soutint constamment le National était celleci : « Il n'y a plus de révolution possible en France, la révolution est passée; il n'y a plus qu'un accident. Qu'est-ce qu'un accident? Changer les personnes sans les choses. » Ce que nous résumons en ces termes se lit avec très-peu d'adoucissement en dix ou vingt endroits du National:

« Nous ne savons pas l'avenir, disait M. Thiers dans le numéro du 29 janvier, nous ne savons que le passé; mais, puisqu'on cite toujours le passé, ne pourrait-on pas citer plus juste? On rappelle tous les jours l'échafaud- de Charles Ier, de Louis XVI. Dans ces deux révolutions qu'on cite, une seule est entièrememt accomplie, c'est la révolution anglaise. La nôtre l'est peut-être, mais nous l'ignorons encore. Or, dans cette révolution anglaise, que nous connaissons tout entière, y eut-il deux soulèvements populaires? Non, sans doute. La nation anglaise se souleva une première fois, et, la seconde, elle se soumit à la plus avilissante oppression, elle laissa mourir Sidney et Russel, elle laissa attaquer ses institutions, ses libertés, ses croyances, mais elle se détacha de ceux qui lui faisaient tous ces maux. Et quand Jacques II, après avoir éloigné ses amis de toutes les opinions et de toutes les époques, se trouva isolé au milieu de la nation morne et silencieuse; quand, éperdu, effrayé de sa solitude, co prince qui était bon soldat, bon officier, prit la fuite, per

sonne ne l'attaqua, ne le poursuivit, ne lui fit une offense : on le laissa fuir en le plaignant.

<< Il est donc vrai que les peuples ne se révoltent pas deux fois. >>

M. Mignet, insistant sur le même rapprochement historique, écrivait le 12 février:

« Elle (la nation anglaise) fit donc une simple modification de personnes en 1688, pour compléter une révolution de principes opérée en 1640, et elle plaça sur un trône tout fait une famille qui avait la foi nouvelle. L'Angleterre fut si peu révolutionnaire à cette époque, que, respectant autant qu'il se pouvait le droit antique, elle choisit la famille la plus proche parente du prince déchu. »

Tout ceci visait de près à la prophétie. Comme si ce n'était pas assez clair, la Quotidienne, irritée, posait. là-dessus au National plusieurs questions insidieuses, auxquelles M. Thiers répondait fort agréablement le 14 février; il repoussait toujours cette idée d'une révolution à la façon de 89:

<«< Un autre motif nous portait à repousser l'idée d'une pareille répétition : c'est la gravité de l'événement. Une révolution est une chose si terrible, quoique si grande, qu'il vaut la peine de se demander si le Ciel vous en destine une. Examinant sérieusement la chose, nous nous sommes dit qu'il n'y avait plus de Bastille à prendre, plus de trois ordres à confondre, plus de nuit du 4 août à faire, plus rien qu'une Charte à exécuter avec franchise, et des ministres à renverser en vertu de cette Charte. Ce n'est pas là sans doute une besogne bien facile, mais enfin elle n'a rien de sanglant, elle est toute légale; et bien aveugles, bien coupables seraient ceux qui lui donneraient les caractères sinistres qu'elle n'a pas aujourd'hui. »>

Le 19 février, il allait plus loin et se découvrait davantage :

« La France, osait-il dire, doit être bien désenchantée des personnes : elle a aimé le génie, et elle a vu ce que lui a coûté cet amour. Des vertus simples, modestes, solides, qu'une bonne éducation peut toujours assurer chez l'héritier du trône, qu'un pouvoir limité ne saurait gâter, voilà ce qu'il faut à la France! voilà ce qu'elle souhaite (1), et cela encore pour la dignité du trône beaucoup plus que pour elle: car le pays, avec ses institutions bien comprises et pratiquées, n'a rien à craindre de qui que ce soit.

<< La question est donc uniquement dans les choses. Elle pourrait être un jour dans les personnes, mais par la faute de ces dernières. Le système est indifférent pour les personnes; mais si elles n'étaient pas indifférentes pour le système, si elles le haïssaient, l'attaquaient, alors la question deviendrait question de choses et de personnes à la fois. Mais ce seraient les personnes qui l'auraient posée ellesmêmes. »

Cet article du 19 février et un autre de Carrel du jour précédent fournirent matière à un procès et à une condamnation, qui ne ralentirent en rien l'audace polémique du National. On était lancé; il n'y avait plus ni repos ni trêve, et il faut avouer que si, par impossible, le ministère avait eu la velléité de renoncer à son coup d'État, il en eût été fort empêché par le harcellement

(1) Il est juste de remarquer qu'à l'époque où M. Thiers écrivait ces phrases, il n'avait jamais eu l'honneur de voir M. le duc d'Orléans; il avait suivi de bonne heure en cela le conseil que lui avait donné Manuel, et aimait mieux aller ainsi de l'avant, sans se lier. Il ne vit M. le duc d'Orléans pour la première fois que dans la nuit du vendredi au samedi 31 juillet 1830.

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