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Parmi les morceaux épars de M. Thiers, je signalerai encore, dans la Revue française (novembre 1829), un article développé sur les Mémoires du maréchal Gouvion Saint-Cyr, qui parut, au premier abord, n'avoir pu être écrit que par un homme du métier, et qui valut à l'auteur les compliments du guerrier mourant. C'est tout simplement un des plus beaux morceaux de haute critique qui se puisse lire en telle matière. L'auteur y commence par exposer les qualités complexes qui font le grand homme de guerre : ingénieur, géographe, connaissant les hommes, sachant les manier, puis administreur en grand et presque un commis dans le détail, il faut que l'homme appelé à commander aux autres sur les champs de bataille soit préalablement tout cela; mais ce n'est rien encore :

<< Tout ce savoir si vaste, ajoute M. Thiers en couronnant le merveilleux portrait, il faut le déployer à la fois et au milieu des circonstances les plus extraordinaires. A chaque mouvement, il faut songer à la veille, au lendemain, à ses flancs, à ses derrières; mouvoir tout avec soi, munitions, vivres, hôpitaux; calculer à la fois sur l'atmosphère et sur le moral des hommes; et tous ces éléments si divers, si mobiles, qui changent, se compliquent sans cesse, les combiner au milieu du froid, du chaud, de la faim et des boulets. Tandis que vous pensez à tant de choses, le canon gronde, votre tête est menacée; mais ce qui est pire, des milliers d'hommes vous regardent, cherchent dans vos traits l'espérance de leur salut. Plus loin, derrière eux, est la patrie avec des lauriers ou des cyprès; et toutes ces images, il faut les chasser, il faut penser, penser vite, car une minute de plus, et la combinaison la plus belle a perdu son à-propos, et, au lieu de la gloire, c'est la honte qui vous attend.

<< Tout cela peut sans doute se faire médiocrement, comme toute chose d'ailleurs, car on est poëte, savant, orateur médiocre aussi; mais cela fait avec génie est sublime. Penser fortement, clairement, au fond de son cabinet, est bien beau sans contredit; mais penser aussi fortement, aussi clairement, au milieu des boulets, est l'exercice le plus complet des facultés humaines. >>

Thomas, si l'on s'en souvient, en son Eloge de Duguay-Trouin et dans une page qu'on dit éloquente, a décrit les difficultés et les dangers des combats de mer, plus terribles que ceux de terre; mais ici que le Thomas est loin! Ce n'est pas un morceau de rhétorique, un beau lieu-commun académique, on a la réalité grande et simple. M. Thiers, qui loue chez le maréchal Saint-Cyr la beauté du récit militaire, définit ainsi cette expression qui s'applique si souvent à lui-même: « Nous considérons, dit-il, comme beauté dans un récit militaire, la clarté, la précision, et le degré de couleur qui s'accorde avec une exposition savante. >> M. Thiers, qui par goût est moins de l'école de l'armée du Rhin que de celle de l'armée d'Italie, sait joindre à ces qualités du récit la rapidité de l'éclair.

Cependant, au sortir de cette longue Histoire de la Révolution, l'esprit actif de M. Thiers, excité encore et accéléré par un exercice continuel, avait besoin d'un champ nouveau et d'une vaste entreprise. On le poussait dès lors à passer outre et à raconter sans désemparer le Consulat et l'Empire; mais c'était prématuré, et le train de ses idées le portait ailleurs. En étudiant les cartes stratégiques, sa passion favorite, et à force

de considérer la surface de l'Europe et la configuration du sol, il s'était fait un ensemble d'idées, tout un système qui, selon lui, expliquait l'histoire, et il déduisait de la connaissance précise des divers bassins, non-seulement les migrations et le cours, mais aussi les caractères et les mœurs des peuples. Il ne projetait donc rien moins, à cette époque, qu'une Histoire générale d'après ce système. Pour exécuter un tel projet, il fallait sortir de chez soi et de dessus les cartes, voyager tout de bon, voir le monde : il y songea sérieusement. Mais n'admirez-vous pas cette activité en tous sens, et comment cet esprit curieux, entraîné, se portant d'instinct aux grands sujets comme à son niveau, jette tout son feu d'universalité avant d'entrer dans l'œuvre pratique? Quand je dis qu'il le jette, je me reprends, il saura bien en garder toujours quelque chose. Tous ceux qui ont le plaisir de connaître depuis longtemps M. Thiers se rappellent encore, et non sans charme, cette phase, en quelque sorte, scientifique de sa vie. Il étudie Laplace, Lagrange, il les étudie plume en main, en s'éprenant des hauts calculs et en les effectuant; il trace des méridiens à sa fenêtre ; il arrive, le soir, chez ses amis, en récitant d'un accent pénétré cette noble et simple parole finale du Système du Monde : « Conservons, augmentons avec soin le dépôt de ces hautes connaissances, les délices des êtres pensants; » et il l'admire comme il fera tout à l'heure pour telle parole de Napoléon. On le croirait uniquement fait, tant il les comprend, pour habiter en ces clartés sereines de l'intelligence. Enfin, il veut décidé

ment partir avec le capitaine Laplace pour le voyage de circumnavigation qui se préparait. Ce dernier projet fut, de sa part, en voie d'exécution; il en parla à M. de Bourqueney, qui, à son tour, en dit un mot à M. Hyde de Neuville. Celui-ci consentit très-volontiers à voir M. Thiers, et lui fit même proposer d'être le rédacteur du voyage; M. Thiers ne demandait que le passage. M. Hyde de Neuville est le seul ministre de la Restauration qu'il ait vu. L'historien de la révolution française faisait déjà ses adieux à ses amis et allait s'embarquer, quand le ministère Martignac tomba. « Ah! çà, il s'agit bien de partir, lui dit-on de toutes parts; restez et combattons! »

N'est-ce pas ainsi que Cromwell (ce souvenir, bon gré, mal gré, saute tout d'abord à l'esprit) faillit partir un jour pour l'Amérique, à la veille de 1640? il avait déjà le pied sur le vaisseau quand un ordre de la cour y mit obstacle. Si on le laissait faire, le puritanisme religieux l'emportait au bout du monde, comme la curiosité scientifique emmenait M. Thiers. Je ne compare pas, on le sent bien, celui-ci à Cromwell; mais le fait est que le National ne nuisit pas, je pense, à l'événement de 1830, et que de toutes les machines de siége d'alors, ce fut la mieux dressée et la mieux servie.

Quelques années après, M. Thiers, ministre de l'intérieur, donnait à dîner au capitaine Laplace, qui revenait de son expédition avec son monde décimé par les fatigues et les maladies. Il y a de ces jeux de la

fortune.

Nous voici au moment où commence l'œuvre prati

que de M. Thiers: il fonde le National avec ses amis, Mignet, Carrel, Sautelet, et le premier numéro paraît le 3 janvier 1830. Laissons de côté des voiles inutiles, qui n'en sont plus pour personne : le ministère Polignac avait été constitué exprès pour lancer les ordonnances; le National fut créé exprès, et le cas prévu échéant, pour renverser la dynastie parjure; tout y fut dirigé dans ce but, et avec le soin vraiment patriotique de ne frapper qu'à la tête, en respectant autant que possible le corps de l'État. Le National mit dès son premier numéro la Restauration en état de siége, avant qu'elle nous y mît elle-même en juillet; c'est qu'elle nous y avait déjà mis in petto dès le premier jour de ce ministère de surprise qui, le 8 août 1829, consterna la France.

A mon sens, la légimité de l'entreprise du National ne saurait être l'objet d'un doute auprès de ceux qui, même sans en vouloir radicalement à la Restauration, exigeaient d'elle avant tout la sincérité du régime constitutionnel. Bien des choses se sont passées depuis, bien des espérances et des rêves ont été déçus, bien de nobles croyances ont pu être flétries; eh bien! je crois que tous ceux qui participèrent alors à l'œuvre d'opposition et bientôt de délivrance, qui y mirent plus ou moins du leur, soit de leurs actes, soit de leurs vœux, ont encore droit de se dire : « Non, nous n'avons pas erré, » et qu'ils ont aussi le devoir d'ajouter : « Si nous avions à recommencer, même en sachant l'avenir, ce serait encore à refaire. »

Ceci dit une fois et pour nous mettre la conscience

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